DÉCRYPTAGE
La milice chiite, qui a gardé une partie de son armement, devra gérer les critiques de sa base, jetée sur les routes de l’exil par la guerre.
Par Georges Malbrunot
Affaibli mais pas anéanti, le Hezbollah est confronté à plusieurs défis, après la conclusion du cessez-le-feu avec Israël, qu’il a lui-même agréé. Cet accord, qui n’est pas destiné à être rendu public, stipule que son fief du Sud-Liban – entre le fleuve Litani et la frontière israélienne – doit être exempt d’acteurs armés non étatiques. Pendant les soixante jours de son application, les combattants du Hezbollah doivent donc s’en retirer au profit des forces armées libanaises.
« Le Hezbollah va coopérer totalement avec l’armée pour son déploiement dans le Sud », a assuré mercredi à l’AFP Hassan Fadlallah, un député de la mouvance chiite. Mais il a ajouté que ses membres sont des « enfants » des villages du Sud, d’où « personne » ne peut les chasser, un brouillard qui va mécontenter Israël.
Sur le point crucial de son retrait et de sa coopération avec l’armée libanaise, « deux tendances coexistent au sein du Hezbollah », confie au Figaro un notable libanais, joint à Beyrouth.
L’une est favorable à une coopération, et une autre, composée de combattants sur le terrain gorgés de vengeance après la mort de leur chef (Hassan Nasrallah, tué par Israël le 27 septembre), qui entend finasser, comme à l’issue de la précédente guerre, en 2006, lorsque, après l’accord de cessez-le-feu, le Hezbollah avait refait surface rapidement.
Dans son bastion du Sud, détruit par des mois de bombardements israéliens, le Hezbollah doit accepter une nouvelle règle du jeu. Jusqu’à maintenant, un comité tripartite interlibanais, composé du Renseignement militaire, du Hezbollah et de son rival, le parti Amal, gérait, sous la domination de la milice chiite pro-Iran, la situation. Il faut s’attendre à des changements majeurs à court terme puisqu’il reviendra désormais au comité de surveillance de l’application du cessez-le-feu de trancher.
« Or ce ne sera plus le responsable du Hezbollah, mais un général américain qui décidera », avance un diplomate libanais. Dans quelle mesure, le Hezbollah jouera-t-il le jeu ? Comment l’armée, de son côté, composée également de chiites, pourra-t-elle imposer sa loi ? Ce sont quelques-unes des inconnues de l’après-cessez-le-feu.
Un parti face aux critiques
L’autre défi pour le Hezbollah est celui de la reconstruction de ses fiefs (sud du pays, plaine de la Bekaa et banlieue sud de Beyrouth) et, au-delà, de sa capacité à renouer avec sa base. Beaucoup de chiites lui en veulent d’avoir déclenché une guerre qui les a jetés sur les routes de l’exil, après avoir détruit leurs maisons.
« Bien sûr, vous allez voir des gens qui défilent avec un drapeau du Hezbollah en criant à la victoire face à Israël, mais la réalité sur le terrain est beaucoup plus dure qu’en 2006 », explique le notable libanais.
Les dégâts sont énormes, je ne sais pas comment les gens vont réagir quand ils ne vont pas retrouver leur maison ; d’autres vont devoir vivre sans eau ni électricité. Et les moyens financiers pour la reconstruction ne seront pas aussi importants qu’en 2006, quand les pays du Golfe avaient mis la main au pot ; cette fois, les Iraniens, qui défendent le Hezbollah, verseront-ils des milliards de dollars d’aide alors qu’ils cherchent à négocier avec les Américains ?
« Les 30.000 à 40.000 salariés du Hezbollah vont lui rester fidèles. En revanche, ceux qui l’ont soutenu du bout des lèvres pendant la guerre vont parler et puis il y a tous ceux qui sont perdus, submergés par les difficultés », anticipe le notable libanais.
Une capacité d’obstruction politique
Malgré ses vulnérabilités, le Hezbollah conserve d’indéniables atouts, après deux mois de guerre intense face à Israël. D’abord ses capacités militaires. Certes, elles ont été sérieusement amoindries, que ce soit en termes de destruction de missiles, de rampes de lancement, de tunnels et d’élimination de combattants, certainement plus élevés que les chiffres annoncés – en tout moins de 4000 morts.
« Le Hezbollah a démontré qu’il était encore capable d’en tirer plus d’une centaine chaque jour et même parfois de percer le Dôme de fer », constate le diplomate à Beyrouth.
D’autre part, l’essentiel de ses missiles guidés et de plus longue portée se trouvant cachés dans des bunkers sous la plaine de la Bekaa – donc hors de la zone sud où ses combattants doivent se retirer -, le Hezbollah pourra les conserver. Même si, théoriquement, l’accord de cessez-le-feu comprend une surveillance de la frontière libano-syrienne pour empêcher la poursuite de ses approvisionnements en armes.
Interrogé par Le Figaro, un diplomate impliqué dans les négociations reconnaît que « cet accord a vocation à se concentrer sur le sud Liban ».
Une façon de reconnaître que l’arrangement ne consacre qu’un désarmement du Hezbollah au sud du Litani, et non pas sur tout le territoire, comme le réclament de précédentes résolutions de l’ONU.L’arrêt des convois d’armes iraniennes via la frontière syrienne est pourtant une exigence essentielle d’Israël. Mais, « si on veut contrôler la frontière syrienne, cela veut dire mettre l’armée libanaise face au Hezbollah, avertit le diplomate libanais. On entrerait alors dans la phase deux de la guerre israélienne c’est-à-dire une guerre civile, un piège dans lequel nous ne devons pas tomber, sachant qu’au final le Hezbollah soumettrait ses adversaires. »
Politiquement, également, le Hezbollah reste un acteur important du jeu libanais. À court terme, la priorité est l’élection du président de la République, permettant la désignation d’un gouvernement, puis la mise en place des indispensables réformes pour redresser le pays. Si « le Hezbollah et ses députés n’ont plus les moyens d’imposer un candidat à la présidentielle, comme il le faisait avant, il gardera son mot à dire, tout comme dans la désignation du commandant en chef de l’armée, qu’il pourrait bloquer si notre armée se montrait trop intrusive dans son fief du Sud-Liban », prévient le diplomate. Comme si la milice chiite avait réussi à limiter les dégâts.
Rédigé par Georges Malbrunot, pour Le Figaro.