À la frontière libanaise, le cessez-le-feu mis à mal : le récit de l’envoyé spécial du Figaro

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RÉCIT – Pour les habitants du nord d’Israël, où plusieurs roquettes ont été tirées dernièrement, le retour dans des localités exposées reste un défi.

Par Guillaume de Dieuleveult, envoyé spécial à la frontière entre Israël et le Liban

Publié le 2 avril 2025 à 07h30, Mis à jour le 2 avril 2025 à 10h41

Une frappe israélienne à la frontière avec le Liban, le samedi 22 mars. Karamallah Daher / REUTERS

Israël Liban Hezbollah

Après 541 jours de réserve, Lior Shelef va enfin pouvoir retirer son uniforme. « C’est un moment historique ! », se réjouit cet habitant de Snir, un kibboutz situé dans l’extrême nord d’Israël, à une centaine de mètres du Liban. Il a été mobilisé

le 7 octobre 2023 et, depuis, il est sous les drapeaux. « Demain, je vais m’habiller en civil, mais je garde mes armes à la maison », précise-t-il. Né à Snir, cet homme de 49 ans, sait combien la situation reste instable dans cette partie du pays. Surnommée « le doigt d’Israël », la vallée de la Houla, où il habite, s’enfonce comme un coin entre le Liban et la Syrie.

Ici, les séquelles de 14 mois de guerre avec le Hezbollah sont encore bien visibles. Les frontières ne sont pas figées et la zone reste aussi explosive qu’un baril de poudre. Le cessez-le-feu avec la milice chiite vient de connaître de nouveaux accrocs, les plus inquiétants depuis son entrée en vigueur, fin novembre. Mardi matin, Israël a bombardé le quartier sud de Beyrouth : la deuxième série de frappes en quelques jours. L’État hébreu affirme a visé un responsable du Hezbollah, Hassan Bdair, alors que les tirs de roquette ont repris ces derniers jours en direction de la zone frontalière.

Vendredi matin, les sirènes ont sonné à Kiryat Shmona. Deux roquettes ont été tirées vers cette ville, la plus grande de la région, située à quelques kilomètres de Snir.

L’une a été interceptée par le Dôme de fer, le système de défense israélien, l’autre est tombée côté Liban. Elles auraient toutes deux été envoyées depuis une zone située au nord du fleuve Litani, dans une région non concernée par la résolution 1701 de l’ONU, en vertu de laquelle le Hezbollah ne doit pas déployer de troupes plus au sud.

Tirs d’artillerie, bombardements

Dans la foulée, l’armée israélienne a répliqué par des tirs d’artillerie. Puis, comme aux pires heures de la guerre, elle a bombardé un bâtiment du quartier sud de Beyrouth, le bastion du Hezbollah. La milice chiite a pourtant nié être à l’origine du tir, qui n’a pas été revendiqué. Les soupçons se portent sur des mouvements palestiniens présents au Liban, comme le Hamas. Mais, pour Israël, quoi qu’il arrive, la responsabilité incombe au Hezbollah.

Très vite, le Quai d’Orsay a réagi. « La France observe avec une grande préoccupation la recrudescence des frappes israéliennes au Liban. Elle condamne fermement les tirs de roquette dirigés vers Israël depuis le territoire libanais, dans la matinée du 28 mars, qui ont conduit à la riposte israélienne en cours », a déclaré le porte-parole du ministère des Affaires étrangères. « La France appelle l’ensemble des parties à la plus grande retenue afin d’éviter une escalade dangereuse pour la pérennité du cessez-le-feu conclu le 26 novembre 2024, à l’heure où les efforts internationaux se poursuivent pour permettre de parachever les engagements pris dans ce cadre », conclut le communiqué.

Au lendemain de l’attaque terroriste du 7 Octobre, le Hezbollah est entré en guerre contre Israël depuis le Liban. Fuyant les roquettes, poussées par la peur de subir une agression semblable à celle orchestrée par le Hamas depuis Gaza, environ 60.000 personnes ont quitté le nord d’Israël. La femme et les trois enfants de Lior Shelef sont partis eux aussi, comme les 600 habitants de Snir.

Seule la chienne est restée

Mais leur père, non. En dépit des frappes du mouvement chiite, il est resté sur place avec une trentaine de personnes, consacrant l’essentiel de son temps au travail militaire. « Je suis beaucoup allé au Liban », confie-t-il. Autrement, c’était l’entretien du kibboutz, de ses vergers d’avocats et du bétail, la lutte contre les incendies allumés par les roquettes. « Il y avait deux ou trois départs de feu par jour », assure-t- il. Seule sa chienne est restée avec lui. « Elle est traumatisée par le bruit des explosions, affirme-t-il. Moi, je m’y suis habitué. » Sa femme et ses enfants sont rentrés mi-mars, comme la moitié des habitants du kibboutz.

Si d’autres roquettes tombent, soit on se fait tuer, soit on a le temps de s’enfuir

Moshe Sharvit, un habitant de Kiryat Shmona

Mais le retour est difficile. Malgré le cessez-le-feu, beaucoup ne sont toujours pas rentrés. « Avant, mes enfants étaient insouciants. Maintenant, ils ont peur, même quand ils sont à la maison. Ma femme n’est pas née ici, elle me dit : pourquoi rester ? Allons vivre dans un endroit calme. Mais où est ce que c’est calme dans ce pays ? Le calme, c’est une question de perspective. Et si nous partons, que se passera-t-il ? Si nous ne gardons pas cette terre, quelqu’un d’autre s’y installera et il ne sera certainement pas israélien. Nous devons accepter le fait qu’une roquette ou deux ne sont pas une raison valable pour quitter cet endroit. »

À Kiryat Shmona, la rue Tel Hai a retrouvé un semblant de vie. Pendant des mois, c’était une artère déserte, empruntée à toute vitesse par de rares voitures craignant une nouvelle attaque de roquette, parfois si promptes que les sirènes sonnaient après l’impact. Désormais, les boutiques rouvrent et il y a du trafic. La municipalité, ainsi qu’un supermarché local, a placé des pancartes sur les lampadaires : « C’est bon de vous revoir à la maison ! » Mais entre 30 % et 50 % des habitants seulement, sur une population d’environ 22.000 personnes, sont rentrés. Dans le bloc où vit Moshe Sharvit, c’est le désert. Seuls trois appartements de son immeuble ont été réinvestis.

Les martinets nichent dans les appartements vides. Ils passent en criant à travers les fenêtres soufflées par l’explosion d’une roquette, juste en face. Moshe Sharvit vient de remettre son appartement en état. Il ne partira plus. « On n’a nulle part où aller. Si d’autres roquettes tombent, soit on se fait tuer, soit on a le temps de s’enfuir », assène-t-il, fataliste. Ouvrier en bâtiment, il a vu le hangar où il stockait son matériel partir en fumée dans un tir de roquette. « Le gouvernement ne me rembourse qu’un tiers de sa valeur. Ce sont des ordures et nous, ils nous traitent comme des moins que rien », peste-t-il. L’État a cessé de subventionner les habitants évacués. Mais le retour n’est pas possible partout. Le 22 mars, six roquettes ont été tirées vers le village Metula. C’est le plus septentrional d’Israël et le plus exposé : ici, 60 % des maisons ont été frappées par des tirs de roquettes ou de missiles antitank pendant la guerre.

Metula, village fantôme

Aujourd’hui, Metula garde ses airs de ville fantôme. Personne dans les rues, les trottoirs défoncés, les boutiques et les écoles fermées, des maisons calcinées, des voitures à l’abandon depuis des mois, des bâches de camouflage qui claquent dans le vent. Environ 300 personnes vivent là, contre 2 400 avant la guerre.

Pour les autres, la date du retour est inconnue. Solide sexagénaire, Rami Rabinowicz, un des membres de l’équipe municipale, y travaille depuis le mois d’août. « Je suis revenu, malgré le danger, parce qu’il faut reconstruire la société israélienne. Et cela commence ici. Metula est la porte d’entrée d’Israël. Si la porte n’est pas défendue, on ne pourra pas reconstruire le pays. » L’endroit est toujours dangereux, reconnaît-il.

Mais il espère pouvoir faire revenir les familles cet été. « Nous pourrons peut-être organiser une colonie de vacances pour les enfants ? »

Depuis les hauteurs de Metula, on voit très bien le village libanais de Kfar Kila, tout proche. Du moins, ce qu’il en reste : il a été entièrement ravagé par les bombardements israéliens. Quelque part dans les décombres, un chien aboie. « Plus loin, c’est Deir Mima, un village chrétien, et là-bas, c’est Mazraat Sarda » : Ali Galil et sa femme, Farah Raslane, connaissent parfaitement la région.

Ces Libanais de confession chiite sont nés là. Ils ont fui pour Israël avec leur famille, lors du retrait israélien du sud du Liban, en 2000. Mais Ali Galil ne parvient pas à retrouver sa maison parmi les ruines. « Il n’y a plus aucun souvenir du village où j’ai passé mon enfance », regrette-t-il. En contrebas, des chars israéliens tirent plusieurs salves d’obus vers le Liban et des colonnes de fumée s’élèvent dans les collines.

Dans la voiture, les enfants s’impatientent : ils veulent rentrer à Tel-Aviv, où la famille tient une pâtisserie de knafeh.