À Gaza, le Hamas accusé de représailles contre ses opposants

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Par Julie Connan

L’ONG Amnesty International dénonce dans une note publiée mercredi 28 mai les menaces, actes d’intimidation et de harcèlement, et passages à tabac imputables aux forces de sécurité dirigées par le Hamas contre les Gazaouis qui protestent pacifiquement contre le mouvement islamiste.

« Dehors le Hamas, dehors ! » « Le peuple de Gaza n’est pas le Hamas ! » Malgré les bombardements israéliens, la peur et la faim, de nouvelles protestations spontanées se sont tenues ces derniers jours dans la bande de Gaza pour réclamer l’arrêt de la guerre, mais aussi la fin de l’emprise du mouvement islamiste sur l’enclave palestinienne. À Khan Younès, dans le sud, la manifestation s’est déclenchée quand la population a reçu un ordre « d’évacuation » de l’armée israélienne, le 19 mai.

Des centaines de manifestants sont apparues pendant trois jours sur des vidéos publiées sur les réseaux sociaux. Leurs cris font écho aux premières protestations qui avaient éclaté le 25 mars dans le nord de la bande de Gaza, à Beit Lahiya, puis dans le camp de réfugiés de Jabaliya, et à Khan Younès.

Ce premier élan de contestation a depuis entraîné des représailles du Hamas, dénonce Amnesty International dans une note publiée mercredi 28 mai. L’ONG a recueilli depuis deux mois plusieurs témoignages : ceux de 12 habitants ayant organisé ou participé à ces marches pacifiques, et des proches de trois manifestants menacés par les forces de sécurité du mouvement, qui contrôle le territoire depuis 2007.

« Ils m’accusaient d’être un traître »

À la lumière de cette enquête menée auprès d’habitants de Beit Lahiya notamment, Amnesty révèle les menaces, actes d’intimidation et de harcèlement, et autres passages à tabac. « Il est ignoble et honteux de voir que la population à Gaza, qui subit déjà les atrocités commises par Israël, est en proie à des souffrances exacerbées par les autorités du Hamas, qui multiplient les menaces et les actes d’intimidation à l’égard de ceux qui osent dire : « Nous voulons vivre » », dénonce dans un communiqué Erika Guevara-Rosas, directrice générale à Amnesty International.

« Les gens manifestent parce qu’ils ne peuvent plus vivre, ils veulent du changement… explique un habitant de Beit Lahiya, dans le rapport. Les forces de sécurité sont arrivées pour nous menacer et nous frapper, nous accusant d’être des traîtres, simplement pour avoir osé revendiquer », ajoute cet homme emmené avec d’autres dans un bâtiment de Mashrou Beit Lahiya transformé en centre de détention improvisé, où une cinquantaine d’hommes armés en civil les ont passés à tabac. « Ils m’accusaient d’être un traître, un collaborateur du Mossad (l’agence de renseignement israélienne, NDLR) », raconte cet habitant libéré au bout de quatre heures et à qui on a « interdit » de participer à d’autres manifestations.

Amnesty International affirme que sept manifestants interrogés ont dit avoir été qualifiés de « traîtres » par des hommes en civil après les manifestations ou au cours d’un interrogatoire. D’après un habitant cité dans la note, « c’était une protestation contre l’occupation et aussi contre le Hamas. Nous voulions être entendus ». Ayant refusé de se rendre à des convocations pour être interrogé, des individus affiliés au Hamas ont débarqué chez lui le 17 avril. « Ils m’ont asséné des coups de bâton et des coups de poing au visage, sans vraiment me rouer de coups, je pense que c’était surtout un avertissement, relate-t-il, en précisant avoir été menacé de tirs dans les pieds s’il protestait de nouveau. »

Près de 48 % de Gazaouis pour ces manifestations

Cette note d’Amnesty n’est pas sans rappeler une enquête réalisée par CNN. Début avril, la chaîne américaine révélait qu’un Palestinien de 22 ans, Uday Rabie, avait été, selon sa famille, torturé et tué par les militants du Hamas pour l’avoir critiqué publiquement et pour avoir manifesté à Gaza-Ville.

Elle fait aussi écho au livre de Jean-Pierre Filiu, tiré du mois qu’il a passé à Gaza, dans lequel l’historien relate les témoignages et images de tirs dans les rotules. « Le Hamas a en effet recours de manière publique et systématique au châtiment qu’il réservait, lors de la guerre civile de 2007, à ses ennemis du Fatah, rappelle-t-il. Il s’agit cette fois de sanctionner les pillards, ou ceux qu’une parodie de justice a désignés comme tels en les mutilant à vie. »

Le Hamas a une longue tradition de répression et de représailles. Son ancien leader Yahya Sinwar, tué par Israël en octobre 2024 à Rafah, avait ainsi été arrêté par le Shin Bet en 1988, accusé d’avoir exécuté 12 « collaborateurs palestiniens ». Celui qu’on surnommait le « boucher de Khan Younès » estimait de son devoir de punir les traîtres.

Encore aujourd’hui, alors que le mouvement est très affaibli par l’élimination de ses chefs – dernier en date, Mohammed Sinwar, qui avait succédé à son frère à la tête du mouvement – et par la destruction quasi-totale de ses capacités militaires, beaucoup d’habitants de Gaza ont toujours peur d’exprimer leur hostilité. « Tout le monde s’est mis d’accord pour nous tuer et nous sacrifier, à commencer par le Hamas », affirme par WhatsApp un Gazaoui qui préfère taire son nom.

Malgré ces récentes manifestations, la popularité du Hamas reste relativement élevée : selon le dernier sondage réalisé par le Palestinian Center for Policy and Survey Research (PSR) entre le 1er et le 4 mai, le soutien au mouvement islamiste est de 37 % (contre 35 % il y a 7 mois). Quant aux protestations, les Gazaouis sont 48 % à les soutenir et 50 % à les réprouver