Nouvelle passe d’arme entre l’Union européenne et Israël au sujet du mouvement BDS (Piotr Smolar – Le Monde)

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Dans un courrier, la haute représentante de l’UE, Federica Mogherini, dénonce les accusations « sans fondement » contenues dans un rapport officiel, prétendant que Bruxelles financerait des ONG liées à des groupes terroristes ou appelant au boycottage d’Israël.

Sous la politesse qui sied à la diplomatie européenne se devine un énervement profond. Le 5 juillet, la haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères, Federica Mogherini, a adressé une lettre au ton ferme, dont Le Monde a eu connaissance, à l’attention du gouvernement israélien. Plus précisément à Gilad Erdan, le ministre de la sécurité publique et des affaires stratégiques. Son administration avait publié, fin mai, un rapport mettant en cause le financement par l’UE, à hauteur d’environ cinq millions d’euros en 2016, d’une douzaine d’ONG accusées d’appeler au boycottage d’Israël et de soutenir le terrorisme. Des « accusations vagues et sans fondement servant seulement à alimenter des campagnes de désinformation », estime Mme Mogherini.
En mai, Gilad Erdan expliquait qu’il était « inconcevable que l’UE donne des millions de l’argent des contribuables européens à des organisations qui promeuvent le boycottage d’Israël, dont certaines sont connectées à des groupes classés terroristes par l’UE. » Le rapport, qui n’avait rien à voir avec le ministère des affaires étrangères, faisait la leçon aux Européens, sans nuance ni diplomatie, mais surtout sans apporter de preuves étayées. Il appelait l’UE à agir « en pleine transparence » et à révéler « l’ampleur de son aide financière à des organisations en lien avec le terrorisme et la promotion des boycottages d’Israël ».
Dans son courrier, Federica Mogherini dénonce « la confusion inacceptable » que le rapport du ministère israélien introduit entre le terrorisme et la question du boycottage. Il passe aussi sous silence, dit-elle, le soutien financier massif accordé, aux Etats-Unis, à ces mêmes organisations. La haute représentante rappelle la position de l’UE, qui consiste à distinguer clairement le territoire israélien des territoires occupés depuis 1967. C’est dans cette perspective qu’a été adoptée en novembre 2015 la notice interprétative sur l’étiquetage des produits fabriqués dans les colonies israéliennes en Cisjordanie. Pour les Européens, il ne s’agit pas d’une sanction contre Israël, mais d’une mesure pédagogique, pour informer les consommateurs.

Fossé entre Israël et l’UE

« L’UE rejette toute tentative pour isoler Israël », rappelle Federica Mogherini. « Toutefois, ajoute-t-elle, le simple fait qu’une organisation ou un individu soit lié aux mouvements BDS ne signifie pas que cette entité soit impliquée dans l’incitation ou la réalisation d’actes illégaux, ni que cela la rendrait inéligible pour prétendre à des fonds de l’UE. » Cette appréciation relève toutefois largement des Etats-membres. En France par exemple, deux arrêts de la Cour de cassation fin 2015 ont estimé illégaux les appels au boycottage d’Israël.
La haute représentante rappelle, pour sa part, l’attachement de l’Union européenne aux libertés d’expression et d’association, qui l’amènera à poursuivre son soutien aux organisations « qui ont un rôle à jouer dans la promotion du droit international, des droits de l’homme et des valeurs démocratiques ». Autant de piques adressées au gouvernement israélien, qui a désigné depuis plusieurs années les ONG de gauche, critiquant l’occupation, comme des représentants d’une « cinquième colonne »fantasmée.
Mais cette lettre ne dérangera sans doute ni Gilad Erdan, ni le reste du gouvernement, tant le fossé entre Israël et l’Union européenne s’est agrandi depuis des années. L’Etat hébreu compte sur ses relations privilégiées avec des pays de l’ancien bloc communiste, comme la Pologne et la Hongrie, pour freiner au sein de l’UE des initiatives qui lui seraient hostiles. C’est dans le cadre de ces relations d’intérêts avec l’Europe orientale que le premier ministre hongrois, Viktor Orban, s’apprête à arriver en Israël, le 18 juillet, pour une visite officielle.

Stratégie offensive contre les partisans du BDS

Gilad Erdan a la charge de piloter la lutte contre le mouvement boycottage-désinvestissement-sanctions (BDS). Les partisans de ce mouvement souhaitent qu’Israël soit puni de différentes façons en raison de la poursuite de l’occupation en Cisjordanie depuis cinquante et un ans. Les autorités israéliennes, elles, considèrent que le BDS est un faux-nez, prétendument plus acceptable, pour des groupes hostiles à l’existence même d’Israël, voire antisémites. Le gouvernement a choisi ces dernières années une stratégie beaucoup plus offensive et proactive contre les partisans du BDS. Elle passe notamment par l’interdiction d’entrée sur le territoire pour certains militants, mais aussi la mise en cause publique d’organisations non gouvernementales, afin de discréditer leurs critiques et leur travail.
La plus importante ONG qui était mise en cause dans le rapport du mois de mai était Norwegian People’s Aid (NPA). Elle est accusée par le gouvernement israélien d’avoir organisé des projets dans la bande de Gaza auxquels ont participé des membres du Hamas et du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP). Au début de l’année, NPA était parvenu à un accord avec le Département de la justice américain, qui dénonçait l’utilisation de fonds de l’Agence américaine pour le développement international (Usaid) pour ces projets, alors que les deux factions palestiniennes sont classées comme organisations terroristes. L’ONG norvégienne dit qu’elle a estimé plus sage de trouver un compromis avec les autorités américaines, car elle ne disposait pas des moyens financiers pour contester la procédure devant la justice.