Les États-Unis et Israël se sont engagés dans une dangereuse escalade pour «briser les ailes de l’Iran» dans les pays arabes.
Pour Donald Trump, la réélection du premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou va renforcer la paix au Moyen-Orient. Cette affirmation laisse sceptiques la plupart des observateurs, inquiets des dernières initiatives des deux dirigeants. Pour la première fois, les États-Unis viennent de reconnaître l’annexion israélienne du plateau du Golan syrien, tandis que Nétanyahou ne cache plus son intention d’annexer tout ou partie de la Cisjordanie occupée. Et pour souffler sur les braises, l’Administration américaine vient de mettre les gardiens de la révolution iranienne sur la liste des «organisations terroristes étrangères». De l’Irak à la Syrie en passant par le Sud-Liban et la bande de Gaza, les zones d’affrontements directs ou indirects entre l’axe américano-israélien et «l’axe de la résistance» pro-iranien se multiplient. Tour d’horizon des menaces multiformes.
L’Irak va-t-il redevenir le terrain d’affrontement entre Iraniens et Américains
De toutes les zones d’influences irano-américaines – au Liban, en Syrie ou en Afghanistan – l’Irak est le pays où la confrontation entre Iraniens et Américains est généralement redoutée. Les États-Unis y conservent plus de 5000 soldats, retranchés dans plusieurs bases, tandis queTéhéran y exerce une influence multiforme, qui s’étend bien au-delà des miliciens irakiens à sa solde. Depuis l’invasion américaine de 2003, qui renversa Saddam Hussein, plus de 600 GI sont morts dans des attaques imputées par Washington à des relais irakiens pro-iraniens. Grâce à la guerre contre Daech qui les vit combattre avec les États-Unis le même ennemi djihadiste, les miliciens irakiens pro-iraniens sont mieux entraînés et mieux équipés qu’en 2003. Ils constituent une réserve aisément mobilisable contre le reliquat de présence américaine en Irak auquel Donald Trump a assigné la mission de «surveiller l’Iran». Téhéran optera-t-il pour des ripostes asymétriques chez son voisin irakien? Pas sûr. Certes, après l’annonce de Trump de punir les pasdarans, les dirigeants iraniens ont juré que «les troupes américaines ne connaîtraient plus le calme de la Corne de l’Afrique au Levant», mais Téhéran, affaibli par les sanctions et malmené à l’intérieur par une contestation larvée, devrait opter pour une approche moins violente. Recevant le 7 avril le premier ministre irakien, Adel Abdel-Mahdi, le guide suprême Ali Khamenei a appelé ses voisins irakiens à «expulser le plus rapidement possible les troupes américaines d’Irak». Téhéran peut compter sur une motion déposée au Parlement irakien en début d’année appelant à l’annulation de «tous les accords militaires» négociés entre Bagdad et Washington. D’autres chefs de milices, devenus députés, appellent au vote d’une loi sur le départ des troupes américaines de leur pays. Une demande particulièrement délicate. Ni le gouvernement ni le Parlement n’y sont encore prêts. L’Irak a besoin de la coopération militaire américaine dans sa guerre, inachevée, contre les résidus djihadistes dispersés à travers le pays.
L’Iran va-t-il relancer son programme nucléaire?
Le président de la République, Hassan Rohani, en a brandi la menace, après le durcissement américain. «Si hier, vous aviez peur de nos centrifugeuses IR-1, aujourd’hui, nous allons entamer l’installation de vingt cascades de centrifugeuses IR-6, et si vous continuez votre oppression, vous verrez des centrifugeuses plus performantes IR-8», a mis en garde Hassan Rohani. Au-delà des rodomontades, l’Iran a-t-il intérêt à sortir de l’accord, comme l’a fait Donald Trump l’an dernier? Pas sûr. Téhéran perdrait alors l’appui de ses alliés européens qui défendent l’accord qu’ils ont signé. Pire pour Téhéran, le Conseil de sécurité de l’ONU serait saisi de cette violation. Téhéran risquerait alors d’être condamné, perdant ainsi le rôle de victime que le retrait américain lui a conféré, d’autant que jusqu’à maintenant, l’Iran respecte l’accord nucléaire. Cela étant, à Téhéran, la mise à l’index des pasdarans renforce le poids des durs qui plaident pour une sortie de cet accord. Elle affaiblit, en revanche, Hassan Rohani, l’artisan avec son ministre des Affaires étrangères, Javad Zarif de cette avancée qui devait relancer l’économie et reconnecter l’Iran avec le monde. Sous la menace, la République islamique fait le dos rond. Les sanctions asphyxient son économie. Le régime dispose de réserves lui permettant d’encaisser le coup pendant quelques années. Téhéran parie sur une défaite de Trump en 2020. Mais en cas de renouvellement de son mandat? C’est l’inconnue. Une inconnue lourde de dangers. Face à un président américain anti-iranien, Téhéran aura la tentation d’élire un dur, ultraconservateur, pour mieux affronter le «grand Satan». Dans ce contexte d’incertitudes, une élimination du chef de la Force al-Qods, bras armé de l’Iran hors de ses frontières, constituerait un événement aux conséquences dramatiques pour la région.
Israël va-t-il continuer de frapper l’Iran en Syrie?
La guerre en Syrie a permis au Hezbollah et à l’Iran de s’implanter militairement aux portes d’Israël. À travers leurs emprises dans le Sud, frontalier du plateau du Golan, le Hezbollah et l’Iran pourraient ouvrir un deuxième front contre l’État hébreu, après celui du Sud-Liban. Cédant aux pressions militaires israéliennes et politiques russes, le tandem Iran-Hezbollah a finalement retiré ses hommes du voisinage du Golan, tout en en recrutant d’autres, mobilisables, le cas échéant. Plus au nord, les frappes aériennes israéliennes répétées visent à détruire les emprises militaires iraniennes en Syrie. Ces raids ont tué des Iraniens. Jusqu’à présent, Téhéran, conscient de ne pas être en position de force, s’est abstenu de riposter. Combien de temps encore, la patience iranienne tiendra-t-elle? Une riposte asymétrique interviendra tôt ou tard contre des intérêts israéliens hors de ses frontières. Dans l’immédiat, la riposte iranienne prend la forme d’un accroissement de l’appui logistique à son allié islamiste palestinien, le Hamas, qui contrôle la bande de Gaza. En novembre, pour la première fois, un missile téléguidé antichar Kornet a été tiré depuis Gaza contre Israël. Le message a été reçu à Tel-Aviv. Après avoir joué l’axe sunnite, qui a échoué à renverser Bachar el-Assad, le Hamas cherche à se rapprocher de Damas et de l’Iran chiite. Un revirement qui n’annonce rien de bon entre Palestiniens et Israéliens.
Un rapprochement israélo-arabe est-il possible?
Jamais, Israël n’a eu un gouvernement aussi à droite de son histoire. Jamais, la perspective d’une annexion de la Cisjordanie occupée n’a paru aussi proche, ruinant ainsi tout espoir de paix avec les Palestiniens. Et pourtant, jamais le monde arabe n’a été aussi complaisant à l’égard d’Israël. «Il faut comprendre les priorités sécuritaires d’Israël», plaide Youssef Ben Allawi, ministre des Affaires étrangères d’Oman. «Nous avons eu tort d’ignorer Israël», renchérit Anwar Gargash, son homologue émirien. Est-ce à dire que le rapprochement amorcé entre l’État hébreu et les pays du Golfe va s’accélérer? Probablement pas à court terme. À Riyad, le roi Salman, qui semble avoir repris le dessus sur son fils le prince héritier Mohammed Ben Salman, a rappelé que des relations avec Israël passaient par la création d’un État palestinien. Un indice de ce rappro-chement à venir interviendra lorsque Donald Trump annoncera son«plan de paix» entre Israël et les Palestiniens. Un plan calqué sur les exigences israéliennes et rejeté par les Palestiniens. Mais l’Égypte – le président Sissi vient d’être reçu à la Maison-Blanche – et la Jordanie – très affaiblie économiquement – pourront-elles résister aux pressions américaines?
Les autres zones de frictions entre l’axe de la résistance et le tandem américano-israélien?
«Si l’Iran est attaqué, le Hezbollah ne restera pas inerte», a averti son secrétaire général, Hassan Nasrallah. Un éventuel acte de guerre entre Américains et Iraniens risque de s’étendre au Liban et à Israël. Grâce au conflit syrien, dans lequel le Hezbollah est intervenu militairement depuis 2013 pour sauver Bachar el-Assad, la milice chiite pro-iranienne a étendu sa profondeur stratégique chez son voisin. «Il n’y a qu’une cessation des hostilités entre nous et Israël depuis la dernière guerre de 2006», rappelle une source proche du Hezbollah. Face au partenariat Trump-Nétanyahou-Mohammed Ben Salman, «l’axe de la résistance» pro-iranien a conforté ses positions, en établissant «un corridor territorial» reliant Téhéran à Beyrouth, via l’Irak et la Syrie. Pour sécuriser ce corridor, des centres de lancement de missiles ont été créés en Irak et en Syrie. En cas d’attaque américaine ou israélienne contre l’Iran, des missiles pourraient partir de ces pays. Les pressions américaines contre l’Iran visent précisément à casser cet «axe de la résistance» et stopper la «régionalisation» du Hezbollah – acteur des guerres en Syrie, mais aussi au Yémen et auprès des chiites du Bahreïn. Il n’est pas sûr du tout que ces pressions produisent le résultat escompté. Aujourd’hui, ni Israël ni le Hezbollah n’ont intérêt à un affrontement où les deux seraient perdants. Mais dans les eaux du golfe Persique, un incident entre vedettes rapides iraniennes et navires américains n’est pas à exclure. Tous deux continuent de se regarder en chiens de faïence, mais «les Iraniens sont très professionnels et les Américains font très attention», observe un haut gradé français. Téhéran ne montre pas de signes d’une plus grande agressivité dans les eaux du Golfe. Jusqu’à quand?