DÉCRYPTAGE – L’organisation considérée comme une entité terroriste par les États-Unis, la France et l’Union européenne est, comme Israël, maître du temps dans le conflit actuel.
La partie n’est pas terminée, mais le Hamas consolide ses positions. L’organisation considérée comme une entité terroriste par les États-Unis, la France et l’Union européenne est, comme Israël, maître du temps dans le conflit actuel. Elle a, à l’instar de l’armée israélienne, son propre agenda. Ses dirigeants sont toujours en vie. Des activistes, parfois de premier plan, ont été éliminés, la population de Gaza trinque, mais le mouvement islamo-nationaliste est toujours debout. Il accapare la «résistance» contre l’État hébreu dans une guerre à distance, avec des tirs de missiles artisanaux contre des bombardements ciblés depuis le 9 mai au soir.
Ce jour-là, l’intervention de la police israélienne sur l’esplanade des Mosquées (300 blessés), lieu saint pour les musulmans et les juifs, avait semé la stupeur. Israël avait ensuite, pour faire redescendre la tension interdit la marche au drapeau organisée traditionnellement pour la célébration du Jour de Jérusalem, célébrant la prise de la partie Est de la ville en 1967.
À la surprise générale, et notamment de l’état-major de l’armée israélienne, le Hamas, qui contrôle la bande de Gaza, a tiré en réplique, en début de soirée, des roquettes en direction de la Ville sainte. Les sirènes d’alarme ont mugi. Le mouvement islamo-nationaliste a enclenché l’affrontement. Tsahal a répondu par de multiples raids aériens et des tirs de tanks. L’armée israélienne a une puissance de feu sans commune mesure avec celle du Hamas et du Djihad islamique, un groupuscule bien armé. Ces mouvements palestiniens lancent des roquettes dont les trajectoires ne sont pas maîtrisables depuis des points tenus secrets de l’enclave palestinienne. En riposte, Tsahal inonde et tapisse de bombes des cibles gazaouies, au risque d’une bavure majeure. La confrontation transforme la ville de Gaza en champ de bataille avec pour victimes des civils. Le Hamas n’en a cure, tout comme Israël. Mais le compte à rebours vers une trêve est engagé sous la pression internationale. Les États-Unis et l’Europe sont à la manœuvre. L’Égypte et les pays arabes ont intérêt à un arrêt des hostilités.
Pari risqué
Le pari du 9 mai du Hamas était risqué. Il est, pour l’instant, payant. Il a fait de la défense de la mosquée d’al-Aqsa, un thème politico-religieux. La question est sensible chez les Palestiniens, chez les Arabes israéliens et dans un monde arabe où les musulmans n’ont jamais mis les pieds dans un lieu qu’ils vénèrent et ignorent. La signature des accords de normalisation entre des pays du Golfe puis avec le Soudan et le Maroc aurait pu commencer à changer la donne. Il était urgent pour le Hamas d’altérer ce processus. Pour lui, al-Aqsa doit rester une cause sacrée, sans compromission. Il ne reconnaît pas, au contraire de l’OLP, une organisation palestinienne à laquelle il souhaitait adhérer, l’existence d’Israël mais n’a pas les moyens de détruire son ennemi.
La mosquée al-Aqsa dont la gestion est assurée par la Jordanie est un sujet majeur dans l’opinion publique musulmane. Le Hamas a su le capter. Il n’avait pas véritablement réagi en 2017 après l’installation de portiques à l’entrée de l’esplanade des Mosquées. Ce n’était pas dans son agenda. L’initiative des autorités israéliennes qui cherchaient à détecter des métaux sur les fidèles se rendant sur le site avait pourtant provoqué de violents incidents. La mesure avait été annulée.
Cette fois, les Israéliens ont, au début du Ramadan, débranché les haut-parleurs appelant à la prière de la mosquée puis ils ont pris d’assaut l’Esplanade transformée en fortin. Ils n’ignoraient pas, grâce à leurs réseaux de surveillance, que le lieu saint avait été transformé en fort Chabrol en prévision de la venue de juifs messianiques autorisés à venir prier sur ce qu’ils appellent le mont du Temple. Le nettoyage policier fut brutal. Le Hamas l’a exploité sans vergogne. Il justifie ses tirs de roquettes par le combat en faveur d’al-Aqsa. Un objectif symbolique. Il a fait de Jérusalem l’axe central de ses revendications.
Le chef de sa branche militaire, Mohammed Deïf, est sorti de son mutisme avant les hostilités pour menacer Israël de lui «faire payer un prix très lourd» en cas d’expulsion par la justice d’habitants palestiniens de Cheikh Jarrah, un quartier de Jérusalem-Est, au profit de colons. Cible de Tsahal, il a plongé dans une clandestinité totale pour survivre. Aucune photo de lui n’est disponible depuis trente ans. Même ses compatriotes sont incapables de le reconnaître.
Lors de la dernière guerre en 2014, il a refusé neuf propositions israéliennes pour un cessez-le-feu. Les deux parties ont intérêt à jouer des prolongations. Les militaires israéliens sont frustrés car ils n’ont pas pu, pour l’instant, atteindre leurs objectifs. Benyamin Netanyahou, le premier ministre par intérim d’un pays plongé dans une crise politique sans fin est satisfait parce qu’il ressoude le camp de droite qui lui échappait. Le Hamas montre à son adversaire du Fatah au pouvoir en Cisjordanie autour du président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, et à l’opinion publique palestinienne qu’il est le seul mouvement palestinien capable d’initiatives tranchantes. Il s’est considérablement renforcé dans le secteur arabe israélien en révolte.