Menace de confrontation avec l’Iran et le Hezbollah, nucléaire iranien, inauguration de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem, manifestations à Gaza… La première quinzaine de mai est une succession de rendez-vous à haut risque pour l’État hébreu, qui redoute une escalade sur plusieurs fronts.
Le général de réserve Amos Yadlin n’est pas connu pour son goût des formules à l’emporte-pièce. Cet ancien pilote de chasse, qui commanda les renseignements militaires et dirige aujourd’hui l’Institut d’études pour la sécurité nationale (INSS), est l’un des experts israéliens les plus influents dans le champ des affaires stratégiques. Il y a une dizaine de jours, il a provoqué un petit électrochoc en déclarant au quotidien Yedioth Ahronoth: «Quand je regarde la séquence qui s’annonce, je me dis que l’État d’Israël n’a pas connu de mois de mai aussi dangereux depuis 1967 et 1973.»
La comparaison n’est pas innocente. À la veille de la guerre des Six Jours, la population et ses dirigeants succombèrent à une profonde crise d’angoisse tandis que l’ennemi mobilisait sur tous les fronts. Fallait-il craindre une invasion égyptienne? Ou bien un raid de la Syrie sur la Galilée? Un demi-siècle plus tard, l’État hébreu a bien sûr considérablement renforcé sa supériorité militaire. Mais son complexe d’encerclement a tout récemment été réactivé par la multiplication des tensions à ses frontières. «Nous ne sommes pas en guerre, a précisé lundi le général Yadlin lors d’un échange avec la presse étrangère, mais nous devons nous préparer à plusieurs événements qui sont susceptibles de conduire à une escalade entre le 12 et le 15 mai prochain.»
Le front iranien est à première vue le plus volatil. L’État hébreu, dont les dirigeants disent vouloir empêcher «à tout prix» une implantation durable des «gardiens de la révolution» en Syrie, leur a récemment porté plusieurs coups durs.
Le plus spectaculaire fut l’attaque, dimanche soir, d’une base proche de Hama sur laquelle les Iraniens venaient apparemment de réceptionner plusieurs dizaines de missiles. Selon des sources citées par la chaîne américaine NBC News, le raid a été conduit par des F-35 israéliens. Il a provoqué une immense explosion, dans laquelle au moins vingt-six militaires, dont une majorité d’Iraniens, auraient trouvé la mort.
Allaeddine Boroujerdi, le président de la commission parlementaire des affaires étrangères, a promis que son pays «répliquerait en temps et en lieu à cette agression». Des menaces plus claires encore avaient été formulées après les frappes israéliennes contre la base T-4, près de Palmyre, le 9 avril dernier. Quatorze combattants, dont au moins sept Iraniens, avaient alors été tués. Hassan Nasrallah, le chef de la milice libanaise chiite Hezbollah, avait prévenu: «Cette attaque, la première depuis sept ans à viser délibérément des gardiens de la révolution, constitue un tournant qui ne peut être ignoré. Vous venez de commettre une erreur historique, une folie qui vous entraîne dans une confrontation directe avec l’Iran.»
Certains experts israéliens, impressionnés par cette escalade militaire et verbale, estiment qu’il sera difficile d’éviter une conflagration entre deux puissances aux objectifs si manifestement contradictoires. La République islamique, dont les gardiens de la révolution et les milices affidées ont joué un rôle clé dans le sauvetage de Bachar el-Assad, semble résolue à pousser son avantage. Les stratèges israéliens affirment qu’elle cherche à acheminer des systèmes de défense antiaérienne sophistiqués, des missiles balistiques et des drones de combat sur le territoire syrien. «Tout site sur lequel nous constatons une tentative iranienne de s’y implanter militairement sera attaqué», a prévenu Avigdor Lieberman, le ministre de la Défense.
Le 10 février dernier, l’armée de l’air israélienne a visé un poste de commande iranien sur la base T-4 en réponse à l’interception d’un drone apparemment muni d’explosifs au-dessus de Beït Shéan. «Les Iraniens préparent la riposte, assure Amos Harel, le correspondant militaire du quotidien Haaretz, et l’armée israélienne est en état d’alerte.» Amos Yadlin, le directeur de l’INSS, met en garde: «La détermination de part et d’autre est telle qu’un affrontement à la frontière nord peut désormais survenir à tout moment – demain, dans une semaine ou dans un mois.»
Les signaux contradictoires envoyés par Donald Trump
La première quinzaine du mois de mai se présente comme une succession de rendez-vous à haut risque. Dans l’hypothèse où l’Iran choisirait de répliquer par l’intermédiaire du Hezbollah, le parti-milice se sentira vraisemblablement plus libre de ses mouvements après les élections législatives libanaises auxquelles il participe dimanche 6 mai. Mais la plupart des experts estiment que la République islamique ne passera pas à l’action avant le samedi 12. Le président des États-Unis, Donald Trump, doit en effet décider à cette date s’il proroge l’accord sur le nucléaire iranien signé en juillet 2015, ou s’il choisit au contraire de rétablir les sanctions contre le régime. «Les Iraniens hésiteront probablement à frapper d’ici là. À défaut d’espérer convaincre Washington, ils ont tout intérêt à ne pas braquer les capitales européennes. En cas de rétablissement des sanctions américaines, ceux-ci auront après tout leur mot à dire sur leur applicabilité par les groupes européens qui opèrent en Iran», observe Ofer Zalzberg, analyste au centre de réflexion International Crisis Group.
Le 14 mai, 70e anniversaire de la déclaration d’indépendance de l’État hébreu, est une autre date à surveiller. La nouvelle ambassade des États-Unis à Jérusalem doit être inaugurée ce jour-là en présence des autorités israéliennes ainsi que de hauts responsables américains, dont la fille de Donald Trump, Ivanka, ainsi que son mari Jared Kushner. Le président américain, visiblement désireux d’entretenir le suspense, n’en a pas moins laissé entendre ces derniers jours qu’il pourrait faire le voyage. Le transfert de l’ambassade, annoncé le 6 janvier dernier, a été reçu comme un coup de poignard par les Palestiniens. Cette décision constitue à leurs yeux un revirement inacceptable par rapport aux positions traditionnelles des États-Unis sur le statut de la ville. Donald Trump a depuis lors envoyé des signaux contradictoires, indiquant tantôt que «Jérusalem a été retiré de la table des négociations» et assurant le lendemain que les frontières de la souveraineté israélienne seront définies par des négociations. Les principales factions ont d’ores et déjà appelé la population à manifester sa colère à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, mais le niveau de mobilisation est difficile à anticiper. «On peut aussi imaginer que les groupes armés cherchent à gâcher la fête en tirant des roquettes ou en commettant des attaques contre des Israéliens», complète Ofer Zalzberg.
Point d’orgue annoncé de cette séquence délicate, d’importants rassemblements doivent être organisés le 15 mai dans la bande de Gaza. Les Palestiniens commémoreront alors le 70e anniversaire de la «catastrophe» (nakba, en arabe) que constitua pour eux la création d’Israël. Les «marches du retour», qui se déroulent dans cette perspective chaque vendredi depuis le 30 mars le long de la frontière avec l’État hébreu, ont jusqu’à présent réuni des milliers, voire des dizaines de milliers de participants, dont la plupart ont protesté dans le calme. L’armée, résolue à dissuader les plus déterminés de franchir la frontière, a ouvert le feu. Une quarantaine d’entre eux ont été tués et près de 1.900 autres ont été blessés par balle.
Ce lourd bilan a conduit l’ONU et plusieurs pays européens à dénoncer «un usage excessif de la force», «des tirs indiscriminés» ainsi qu’à réclamer une enquête indépendante. Beaucoup craignent que les manifestations du 15 mai, auxquelles le Hamas et les autres factions palestiniennes appellent d’ores et déjà à se rendre en masse, ne se terminent mal. «L’armée n’a pas de bonne solution, admet le journaliste Amos Harel, car elle ne voudra pas prendre le risque de laisser des milliers de Palestiniens accéder aux localités israéliennes situées de l’autre côté de la frontière.» Amos Yadlin, qui accuse le Hamas d’«utiliser des civils pour détruire la frontière», prévient: «Si l’armée se laisse déborder, il y aura un bain de sang.»
Accusé par certains de dramatiser à l’excès ce «mois de mai explosif», l’ancien chef des renseignements militaires a depuis lors précisé qu’il faisait confiance aux généraux israéliens pour gérer le délicat alignement d’étoiles. «Je ne serais pas surpris qu’un ou plusieurs de ces fronts ne s’embrase, dit-il, mais l’armée est préparée à faire face.» Le journaliste Amos Harel et l’analyste Ofer Zalzberg relativisent aussi les risques de guerre à court terme. «Ni l’Iran, ni le Hezbollah, ni le Hamas ne souhaitent s’engager dans une confrontation totale avec Israël», explique ce dernier, tout en reconnaissant que les tensions actuelles accroissent les risques d’incident imprévu. Signe d’une fébrilité inhabituelle, les députés israéliens ont accepté lundi d’assouplir la procédure de déclaration de guerre. Le premier ministre, qui devait jusqu’à présent recueillir une majorité des voix au sein de son gouvernement pour prendre une telle décision, pourra désormais se contenter du soutien de son ministre de la Défense en cas de «situation extrême».