Escalade meurtrière entre l’armée israélienne et les factions armées à Gaza (Piotr Smolar – Le Monde)

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Depuis vendredi, 600 roquettes et obus ont été tirés vers Israël, où quatre civils ont été tués. En réponse, les raids israéliens ont visé plus de 260 cibles à Gaza, où au moins vingt-et-une personnes sont mortes.

La fièvre se poursuit, et elle ne tombe pas. Un nouvel accès de violence tourmente Israël et la bande de Gaza depuis le vendredi 3 mai. Il démontre l’immense difficulté qu’ont le Hamas et le gouvernement israélien à respecter un accord tacite de cessez-le-feu, conclu il y a plusieurs semaines, en échange d’une amélioration humanitaire substantielle dans l’enclave.

Près de 600 tirs de mortiers et de roquettes ont été déclenchés par les factions palestiniennes en direction d’Israël depuis vendredi. Des tirs nombreux – dont près de 150 ont été interceptés par le système de défense « Dôme de fer » – obligeant la population à se réfugier dans les abris.

Au total, quatre Israéliens ont été tués depuis samedi. Il s’agit du bilan le plus lourd depuis la dernière guerre de l’été 2014. La première victime est un homme de 58 ans, sorti dans son jardin à Ashkelon, samedi soir. Un second est décédé dans la zone industrielle de la ville, dimanche. Un homme conduisant un véhicule près du kibboutz de Yad Morechaï est mort de ses blessures, après avoir été atteint, à l’arrêt, par un tir de missile anti-tank. Un quatrième conduisait dans la ville d’Ashdod lorsque sa voiture a été percutée, prenant feu.

En réponse, les raids israéliens ont visé plus de 260 cibles à Gaza, où au moins vingt-et-une personnes sont mortes, selon un bilan provisoire des autorités sanitaires palestiniennes. Nombre d’entre elles étaient des militants de branches armées, dont le Jihad islamique a lui-même publié les noms.

Des avions israéliens dans le ciel d’Ashkelon, en Israël, le 5 mai.
Des avions israéliens dans le ciel d’Ashkelon, en Israël, le 5 mai. Sebastian Scheiner / AP

La portée et la précision des tirs palestiniens furent limitées pendant la journée de samedi, plus de 70 % des tirs tombant dans des zones désertes. Vers 23 heures, le rayon s’est élargi, plusieurs roquettes étant envoyées en direction de la ville côtière d’Ashdod et de Beer-Sheva, dans le désert du Néguev. Deux civils ont été tués à Ashkelon, dont l’hôpital évoque également des dizaines de blessés, la plupart légers. Les écoles et les universités dans le sud du pays sont fermées, et les rassemblements de plusieurs centaines de personnes, interdits par sécurité.

Raid aérien israélien sur la ville de Gaza, le 4 mai, en réaction aux tirs d’un barrage de roquettes sur Israël par des activistes gazaouis.
Raid aérien israélien sur la ville de Gaza, le 4 mai, en réaction aux tirs d’un barrage de roquettes sur Israël par des activistes gazaouis. MAHMUD HAMS / AFP

Le commandement commun des opérations à Gaza, qui réunit tous les groupes armés concernés, mesure au trébuchet la portée de l’escalade. Dimanche matin, il menaçait d’étendre la portée des tirs au-delà de 40 kilomètres autour de l’enclave, si les raids israéliens ne cessaient pas.

Le secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres a appelé dimanche à « une retenue maximale » et une « désescalade immédiate » après l’intensification des hostilités entre Israël et les groupes armés de la bande de Gaza. Antonio Guterres « condamne dans les termes les plus forts le lancement de tirs de roquettes depuis Gaza sur Israël, en particulier visant les centres de population civile », selon un communiqué de l’ONU. De son côté, l’Etat hébreu n’a pas l’intention de réduire l’intensité de ses opérations.

Une brigade blindée prête pour des « missions offensives », selon l’armée, a été déployée en renfort. Lors d’un conseil des ministres dimanche, le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a ordonné à l’armée de continuer ses « frappes massives » et « de renforcer en chars, en artillerie et en troupes les forces déployées autour de la bande de Gaza ».

Des roquettes tirées depuis Gaza, le 5 mai.
Des roquettes tirées depuis Gaza, le 5 mai. MOHAMMED SALEM / REUTERS

Depuis samedi, l’armée israélienne a lancé une vaste campagne de frappes aériennes contre près de 220 cibles militaires dans l’enclave palestinienne. A en croire ses communiqués, elle a notamment atteint des entrepôts, des sites de lancement, un atelier de fabrication souterrain de roquettes présenté comme une infrastructure essentielle, en face de la communauté de Netzarim, ainsi que les locaux du bataillon du Hamas à Boureij. Elle a détruit un tunnel d’attaque, creusé 20 mètres sous terre près de la ville de Rafah, attribué au Jihad islamique.

Des Palestiniens se sont rassemblés sur la plage de Gaza-ville, alors que des explosions retentissent, le 4 mai.
Des Palestiniens se sont rassemblés sur la plage de Gaza-ville, alors que des explosions retentissent, le 4 mai. SAMI AL-SULTAN / AFP

Les points de passage avec Gaza fermés

Un bébé de quatorze mois a été tué à l’est de Gaza-ville, ainsi que sa mère de 37 ans, enceinte. Dimanche matin, lors d’une conférence de presse téléphonique, le porte-parole de l’armée israélienne, Jonathan Conricus, a affirmé que cet « incident malheureux » était le résultat d’une erreur de tir palestinien, selon les éléments recueillis par l’Etat-major. Au total, selon lui, huit militants du Jihad islamique et du Hamas ont été tués depuis vendredi, dont trois au cours de la nuit passée. Des dizaines de personnes ont été blessées.

Les locaux de l’agence d’Etat turque Anatolie ont aussi été détruits. Le ministre des affaires étrangères de la Turquie, Mevlüt Cavusoglu, a dénoncé sur Twitter le « crime contre l’humanité » que représenterait la violence israélienne sans distinction. Selon Jonathan Conricus, les deux bâtiments visés à Gaza étaient des « cibles militaires légitimes », en raison des activités de planification terroriste et de renseignement qui y étaient tenues.

Des proches pleurent la mort d’un civil israélien tué par un tir à Ashkelon, en Israël, dimanche 5 mai.
Des proches pleurent la mort d’un civil israélien tué par un tir à Ashkelon, en Israël, dimanche 5 mai. Sebastian Scheiner / AP

Le ministère de la défense israélien a décidé de fermer les points de passage de Kerem Shalom et d’Erez vers Gaza, ainsi que de restreindre une nouvelle fois la zone de pêche à son minimum. Le fioul destiné à la centrale électrique continue, en revanche, à entrer dans Gaza. En dehors d’un communiqué à la teneur générale du président Réouven Rivlin, la parole côté israélien a été laissée uniquement aux militaires. Le premier ministre – et ministre de la défense – Benyamin Nétanyahou n’a pas commenté les événements.

L’armée, elle, a pointé du doigt le Jihad islamique, en raison d’une attaque organisée vendredi. Un snipeur a atteint et blessé un officier et une soldate à proximité de la clôture frontalière, entraînant immédiatement une réponse des forces israéliennes. Quatre Palestiniens ont été tués, dont deux membres de la branche armée du Hamas, les Brigades Al-Qassam. Ainsi s’actionna l’engrenage.

Des habitants de Gaza-ville inspectent les ruines d’un bâtiment touché par une frappe israélienne, le 4 mai.
Des habitants de Gaza-ville inspectent les ruines d’un bâtiment touché par une frappe israélienne, le 4 mai. ADEL HANA / AP

L’armée estime que le Hamas n’a pas su imposer son autorité sur l’autre faction armée de Gaza, au moment même où elles étaient toutes deux engagées dans un énième cycle de pourparlers au Caire, avec le médiateur égyptien. Pourquoi le Jihad islamique a-t-il pris le risque d’une telle attaque, après plusieurs semaines de calme relatif précédent les élections législatives du 9 avril ? Plusieurs hypothèses se dessinent. Les autorités israéliennes évoquent le rôle de l’Iran, pays avec lequel le Jihad islamique a des liens historiques. Mais la piste la plus évidente est la frustration gazaouie.

Nervosité générale

Un accord de principe avec les Israéliens avait permis d’instaurer ce calme fragile. Le Hamas avait baissé l’intensité des activités frontalières, notamment dirigées contre les soldats. En retour, les factions estiment que les Israéliens n’ont pas consenti les gestes attendus, en dehors de l’extension de la zone de pêche par exemple. Leur impatience est à la hauteur du drame humanitaire à Gaza.

Un missile israélien intercepte une roquette tirée depuis Gaza, dimanche 5 mai.
Un missile israélien intercepte une roquette tirée depuis Gaza, dimanche 5 mai. JACK GUEZ / AFP

Mais Benyamin Nétanyahou, lui, est engagé dans les négociations pour former une nouvelle coalition avec les partis ultra-orthodoxes et l’extrême droite. Un moment sensible, où il ne peut apparaître comme complaisant à l’égard du Hamas. Les factions palestiniennes, elles, ont aussi en tête l’organisation prochaine de l’Eurovision à Tel-Aviv, du 14 au 18 mai. Un divertissement majeur, qui attirera les regards du monde entier, et permet d’accentuer la pression sur Israël.

Ces derniers jours, le retard dans le versement à Gaza des aides financières mensuelles attribuées depuis novembre par le Qatar a accentué la nervosité générale. L’émirat retire-t-il ce mince filet de sauvetage, ou est-il bloqué ? Le ministère des affaires étrangères a tenu samedi à souligner que, « contrairement aux rapports, Israël n’a pas empêché le transfert de l’argent qatari ».

Le 2 mai, le coordinateur spécial de l’ONU pour le processus de paix, Nikolaï Mladenov, se trouvait justement au Qatar pour discuter de l’implication financière de l’émirat dans la bande de Gaza. Samedi, une nouvelle fois, M. Mladenov a fait la navette entre factions palestiniennes et Israël, pour placer tous les acteurs devant leurs responsabilités. « Ceux qui cherchent à détruire [les accords] porteront la responsabilité d’un conflit qui aura de lourdes conséquences pour tous », écrivait-il sur Twitter samedi soir.