DÉCRYPTAGE – Marqué par de nombreux rebondissements, le conflit s’enlise et attend toujours sa solution.
«Nous t’offrons notre âme et notre sang, al-Aqsa!» La clameur des Palestiniens de Jérusalem, une fois de plus ravivée, induit le sentiment trompeur que le conflit se résume à sa dimension religieuse. La superposition des lieux saints juifs et musulmans sur une même Esplanade, que les uns appellent Noble Sanctuaire et les autres mont du Temple, constitue certes l’une de ses sources et son principal carburant.
Mais la bataille pour Jérusalem est aussi éminemment politique. En choisissant, fin 2017, d’y reconnaître la souveraineté israélienne, Donald Trump espérait sans doute soustraire une bonne fois pour toutes le statut de Jérusalem au champ de futures négociations. Par leur mobilisation, ses habitants arabes expriment aujourd’hui clairement leur refus de s’en laisser déposséder.
Conquise en juin 1967 par l’armée israélienne et annexée dans la foulée, la partie orientale de la ville s’est depuis lors régulièrement trouvée au cœur de flambées de violence. En octobre 1990, la pose d’une première pierre censée préfigurer la reconstruction du Temple juif y provoque des émeutes au cours desquelles 22 Palestiniens trouvent la mort. En septembre 1996, l’ouverture d’un tunnel percé sous le quartier musulman de la Vieille Ville met le feu aux poudres. Quatre ans plus tard, la visite d’Ariel Sharon sur l’esplanade des Mosquées marque le coup d’envoi de la seconde Intifada.
Une équation démographique délicate
Durant les années qui suivent, c’est bien en Cisjordanie, à Gaza et dans les grandes villes israéliennes que le conflit connaît ses développements les plus sanglants. Mais les habitants palestiniens de la Ville sainte se rappelleront par la suite régulièrement au souvenir de la puissance occupante – notamment au cœur de l’été 2017, lorsque l’installation de portiques de sécurité à l’entrée de l’Esplanade déclenche plusieurs jours de manifestations face auxquelles les autorités israéliennes finiront par reculer…
L’État hébreu, qui considère Jérusalem comme sa capitale indivisible et refuse d’envisager sa partition, s’emploie à y étendre toujours plus son contrôle. Mais il bute sur une équation démographique délicate. La part de la population arabe est passée d’un peu plus de 25 % en 1967 à près de 40 % aujourd’hui. La présence juive demeure très minoritaire dans la Vieille Ville malgré le soutien des autorités à l’entreprise de colonisation. Et certains dirigeants israéliens appellent désormais à redéfinir les limites de la ville pour en exclure certains faubourgs majoritairement peuplés d’Arabes…
Les dirigeants de l’Autorité palestinienne issue des accords d’Oslo (1993), officiellement, rêvent toujours d’installer la capitale de leur futur État à Jérusalem-Est. Mais il faut bien reconnaître que ce projet s’est peu à peu délité sous le coup des vagues de violence successives, du divorce sanglant entre la Cisjordanie et Gaza (2007) et du morcellement croissant de leur territoire par la colonisation israélienne.
Sous la présidence Trump, les autorités israéliennes ont été encouragées à imposer leur souveraineté sur la ville de façon toujours plus agressive.
Daniel Seidemann, directeur de l’ONG israélienne Jérusalem terrestre
Pris entre ces deux feux et livrés à eux-mêmes, les habitants palestiniens de Jérusalem-Est naviguent depuis lors dans des limbes juridiques et politiques. Contrairement aux citoyens arabes établis dans les frontières d’Israël, ils doivent pour la plupart se contenter du statut de résident et n’ont pas le droit de vote.
L’Autorité de Ramallah n’est pas autorisée à tenir des activités politiques dans la ville et le simple fait de brandir le drapeau palestinien est considéré comme un délit passible d’arrestation. Les secteurs arabes de Jérusalem-Est sont sous-équipés et bénéficient de services limités par contraste avec les autres quartiers. «Sous la présidence Trump, les autorités israéliennes ont été encouragées à imposer leur souveraineté sur la ville de façon toujours plus agressive», estime Daniel Seidemann, directeur de l’ONG israélienne Jérusalem terrestre. Au point que les Palestiniens ont parfois pu donner le sentiment de se résigner à leur sort. Jusqu’à ce qu’une conjonction de symboles suffise, en ce début mai, à réveiller leur colère.
Aux premiers jours du Ramadan, tout d’abord, la police israélienne leur a interdit de se rassembler à la nuit tombée devant la porte de Damas, une entrée emblématique de la Vieille Ville. Puis ils se sont mobilisés contre l’éviction annoncée d’une famille établie dans le quartier arabe de Cheikh Jarrah, que des colons juifs réclamaient devant la justice. Vendredi dernier, enfin, des policiers israéliens ont fait irruption dans la mosquée al-Aqsa pour faire cesser des jets de pierres avant de chasser les fidèles à coups de grenades lacrymogènes et assourdissantes.
Les Palestiniens, poussés à bout par cet engrenage, ont fini par sortir de leurs gonds. Ils rappellent au monde que leur conflit, même plongé dans un demi-sommeil, attend toujours sa solution.