A Gaza, le risque d’une nouvelle guerre entre Israël et le Hamas (Piotr Smolar – Le Monde)

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L’armée a déclenché des frappes contre des cibles militaires du mouvement islamique, créant un regain de tension dans le territoire palestinien.

C’est entendu : il faut agir pour Gaza. Soulager la population de deux millions d’habitants vivant sous cloche, tant le désastre humanitaire affleure. Ce constat est partagé par tous les acteurs et observateurs : les Nations unies (ONU), les pays du Golfe appelés à financer les projets d’urgence, les Etats-Unis, mais aussi l’armée israélienne et bien entendu le Hamas, qui contrôle Gaza depuis 2007.

Une fois ce consensus posé, la réalité est aux antipodes. Le risque d’une nouvelle guerre entre Israël et le mouvement islamiste, qu’aucune des parties ne souhaite, augmente jour après jour, comme l’illustre la nouvelle poussée de fièvre vendredi 20 juillet.

L’armée a déclenché des frappes contre des cibles militaires du Hamas, tuant trois membres de sa branche militaire, après qu’une patrouille eut été visée le long de la frontière dans l’après-midi. Un soldat israélien a été tué par balles.

Tout le monde se retient

« Le Hamas nous entraîne dans une situation où il n’y aura d’autre choix que de s’embarquer dans une opération militaire vaste et douloureuse »,avait déclaré dans la matinée le ministre israélien de la défense, Avigdor Lieberman. Comme les 29 mai puis le 20 juin, autres journées d’emballement, l’Egypte a appelé les deux parties à la retenue. Pour l’heure, l’armée et le mouvement islamiste restent en dérapage contrôlé, limitant les dégâts par rapport à leurs capacités militaires réelles.

La menace des tunnels d’attaque contre Israël sous la frontière sera jugulée d’ici à un an, estime l’armée, lorsqu’elle achèvera une barrière dite « intelligente », chargée de capteurs sensoriels, dont un quart a déjà été construit.

Mais le Hamas et le Djihad islamique palestinien disposent aussi chacun d’un arsenal supérieur à celui de la dernière guerre : plusieurs milliers de roquettes de fabrication locale, à la portée plus longue qu’en 2014 et aux têtes plus grandes, dont certaines de plus de 30 kg de charge explosive. Même s’il est très affaibli, le Hamas pourrait théoriquement viser Tel-Aviv, comme Israël pourrait reprendre les assassinats ciblés de dirigeants du mouvement islamiste. Tout le monde se retient.

Le contexte a changé

Mais l’impasse actuelle, lourde de dangers, est due au fait que personne ne veut céder aux demandes préalables du camp adverse. Le contexte a changé ces derniers mois.

Depuis la guerre de l’été 2014 et jusqu’à la fin mars, la situation sécuritaire avait été calme, à l’exception de quelques roquettes éparses, déclenchées par des groupuscules salafistes sans faire de dégâts. En octobre 2017, un accord de réconciliation a été conclu entre le Hamas et le Fatah du président Mahmoud Abbas, sous l’égide de l’Egypte, laissant espérer une reprise en main du territoire par l’Autorité palestinienne, après dix ans de divorce avec la Cisjordanie. Cette tentative n’a rien donné, même si Le Caire essaie de la relancer.

Pendant ce temps, le Hamas et les autres factions ont récupéré le mouvement de protestation de la marche du retour, le long de la clôture frontalière, qui a fait près de 130 morts et 4 000 blessés par balles.

A ce prix, le Hamas est parvenu à replacer Gaza sur la liste des préoccupations mondiales. Mais rien d’autre n’a suivi. Sa conversion à une culture de « résistance pacifique » a cessé de faire illusion avec la campagne de ballons et de cerfs-volants incendiaires, qui ont brûlé 29 km² de terrains. Ces attaques low cost, de basse intensité militaire, sont de haute intensité politico-médiatique. La droite messianique israélienne et une partie du Likoud demandent à l’état-major d’user la manière forte : tuer les lanceurs d’objets volants, voire lancer une vaste opération militaire à Gaza.

Mesures économiques punitives

Selon les responsables sécuritaires, on ne devrait pas faire la guerre pour des cerfs-volants. Cette option ultime entraînerait un effondrement total de la bande de Gaza, sans parler du coût humain. Et avec quel but stratégique ? Tuer des dirigeants ? Ils seraient remplacés. Eradiquer le Hamas ? Illusion, selon les experts, dans un territoire aussi densément peuplé, où le mouvement ne se limite pas à sa branche militaire.

Pour éviter un conflit, l’armée a donc dû, à contrecœur, adopter des mesures économiques punitives. Le point de passage commercial de Kerem Shalom a été fermé dans les deux sens. La zone de pêche a été réduite de six à trois miles nautiques. A Gaza, tout manque : le travail, l’électricité, le gaz, les fonds d’urgence internationaux. A cela s’ajoute le gel des salaires des fonctionnaires par l’Autorité palestinienne, qui rêve d’une improbable reddition du Hamas.

« JUSQU’À CE QUE LA GOUVERNANCE CHANGE OU QUE LE HAMAS RECONNAISSE L’ETAT D’ISRAËL (…), IL N’Y A PAS DE BONNE OPTION », LES NÉGOCIATEURS AMÉRICAINS DE L’ADMINISTRATION TRUMP

Ces punitions cumulées sont censées inciter le mouvement islamiste à reculer. « Jusqu’à ce que la gouvernance change ou que le Hamas reconnaisse l’Etat d’Israël, se conforme aux accords diplomatiques antérieurs et renonce à la violence, il n’y a pas de bonne option », écrivent les négociateurs américains de l’administration Trump, Jason Greenblatt, Jared Kushner et l’ambassadeur David Friedman, dans une tribune publiée par le Washington Post le 19 juillet.

Pour sa part, Israël est prêt à soutenir un plan d’urgence du coordinateur spécial de l’ONU, Nikolaï Mladenov, censé apporter des solutions à court terme aux urgences humanitaires. Mais l’Etat hébreu ne veut pas que l’aide soit détournée par le Hamas pour alimenter ses activités militaires. Selon des responsables de l’appareil sécuritaire, 70 % de l’aide a connu ce sort – une estimation invérifiable. L’Etat hébreu ne fait pas confiance à l’UNRWA, l’agence de l’ONU chargée de l’aide aux réfugiés palestiniens, pour assurer la supervision. Il s’agit pourtant d’une structure quasi étatique à Gaza, gérant le système éducatif. Israël aimerait que le modèle qatari soit dupliqué à plus grande échelle. Ce pays a mis en place un comité pour piloter les projets de reconstruction qu’il finance dans le territoire palestinien.

Chacun sa fierté

De son côté, le Hamas refuse d’arrêter la campagne de ballons et de cerfs-volants incendiaires sans rien recevoir en contrepartie. Il réclame la levée du blocus égypto-israélien sur la bande de Gaza.

Le Hamas ne veut pas apparaître comme un sous-traitant des intérêts israéliens. Depuis des années, il dénonce la coordination sécuritaire entre l’Autorité palestinienne et les services de l’occupant en Cisjordanie. Mahmoud Abbas a été dénoncé comme un collaborateur de l’Etat hébreu. Si les forces de sécurité du Hamas devaient sécuriser la zone frontalière pour empêcher de petites unités plus ou moins autonomes de lancer les objets volants, elles s’exposeraient au même reproche.

De la même façon, le mouvement refuse de libérer les deux civils israéliens détenus à Gaza, ainsi que de rendre les corps de deux soldats officiellement tués. Il réclame la libération de la cinquantaine de prisonniers palestiniens réincarcérés alors qu’ils avaient figuré dans l’accord autour du soldat Gilad Shalit, enlevé de 2006 à 2011 par le Hamas. Chacun sa fierté, ses pressions internes, ses lignes rouges, ses préjugés et ses lâchetés, dont le coût pourrait s’avérer dramatique.