Du 6 au 11 juillet 2025, ELNET, en collaboration avec l’imam Hassen Chalghoumi, a organisé une délégation exceptionnelle d’imams européens en Israël. Treize imams venus de France, des Pays-Bas, d’Italie et du Royaume-Uni ont répondu à l’appel de la conscience et du courage. Dans un contexte international marqué par les tragédies, les fractures communautaires, les manipulations idéologiques et les haines instrumentalisées, ils ont fait un choix rare et fort : celui du dialogue, de l’écoute, de la fraternité.
Leur venue en Israël n’était ni un acte politique ni une provocation. C’était un acte moral. Un acte de vérité. Il s’agissait de comprendre, de rencontrer, de voir, de témoigner. De franchir les murs du soupçon, d’ouvrir les cœurs au réel, et de réaffirmer une humanité partagée.
Ces imams ont rencontré le Président de l’État d’Israël, des membres du gouvernement, des députés de la Knesset, mais aussi des familles endeuillées, des rescapés du 7 octobre, des communautés druzes, arabes israéliennes, bédouines. Ils ont arpenté Jérusalem, Kfar Aza, le site du massacre du festival Nova, la frontière nord, et le point de passage de Kerem Shalom, par lequel transite l’aide humanitaire vers Gaza. Partout, ils ont écouté la douleur, vu l’humanité, tendu la main. Et partout, ils ont semé les graines d’une autre voie.
Mais cet engagement courageux pour la paix, cette démarche d’ouverture et de responsabilité, a été violemment frappée d’anathème. L’institut al-Azhar en Égypte, la plus haute autorité sunnite du monde islamique, a émis une fatwa contre les membres de cette délégation. Une fatwa d’excommunication. Une mise au ban. Une mise en danger.
#الأزهر يعرب عن استنكاره الشديد لزيارة من وصفوا أنفسهم بالأئمة الأوروبيين للكيان الصهيوني: لا يمثلون الإسلام ولا المسلمين*
تابع الأزهر الشريف باستياء بالغ زيارة عدد ممن وصفوا أنفسهم بالأئمة الأوروبيين بقيادة المدعو حسن شلغومي، إلى الأراضي الفلسطينية المحتلة، ولقاء رئيس الكيان… pic.twitter.com/8qbEiRlYQu— الأزهر الشريف (@AlAzhar) July 10, 2025
Par cette déclaration, ces hommes de foi se sont vus symboliquement déchus de leur qualité de musulmans, livrés à la vindicte des extrémistes, exposés à l’hostilité la plus brutale. Car dans certains esprits fanatisés, une fatwa n’est pas un simple avis religieux : elle devient une condamnation sans procès, sans défense, sans appel — une sentence où la mort sociale précède souvent la mort physique.
Cette décision est d’autant plus grave qu’elle émane d’une institution qui devrait incarner la sagesse, la mesure, la responsabilité spirituelle. Au lieu de cela, al-Azhar adopte les codes rhétoriques les plus radicaux. Il parle de « l’entité sioniste », de « territoire occupé », refusant de reconnaître l’État d’Israël dans ses frontières souveraines et légitimes. Cet institut n’a jamais condamné les massacres du 7 octobre. Il ne dit rien des cinquante otages encore détenus. Il se tait face aux crimes, mais s’élève avec force contre ceux qui tendent la main. Ce silence, face à l’horreur, est une complicité morale. Cette parole sélective est une faute grave.
Pire encore, cette fatwa a été rendue publique quelques minutes à peine après la rencontre du recteur d’al-Azhar avec l’ambassadeur du Qatar — un pays qui protège les Frères musulmans, finance le Hamas, accueille ses dirigeants et alimente une propagande constante de haine contre Israël et contre l’Occident. Il est difficile de ne pas y voir une convergence. Cette décision religieuse est le produit d’une collusion entre des intérêts théocratiques rétrogrades et des calculs géopolitiques cyniques.
#شيخ_الأزهر يستقبل سفير قطر ويناقشان سُبُل تعزيز العلاقات العلميَّة والدعويَّة
السفير القطري يؤكِّد تقدير بلاده الرسمي والشعبي لدور شيخ الأزهر في خدمة الإسلام والدِّفاع عن قضايا الأمة
استقبل فضيلة الإمام الأكبر أ. د/أحمد الطيب، شيخ الأزهر الشريف، اليوم الخميس، بمشيخة الأزهر،… pic.twitter.com/Wq3MAWuhoB— الأزهر الشريف (@AlAzhar) July 10, 2025
Mais l’enjeu dépasse les treize imams de cette délégation. Cette fatwa vise bien plus qu’eux : elle attaque l’idée même qu’un dialogue entre musulmans et juifs est possible. Elle s’en prend à la coexistence, à la paix, à la reconnaissance de l’Autre – portée par ceux qui veulent rendre impossible toute normalisation des pays arabes avec Israël sur le modèle des Accords d’Abraham. Elle cherche à imposer une vision fermée, sectaire, fanatique de l’islam — une vision qui nie l’humanité du juif, réduit Israël à une abomination, et exclut toute perspective qui permet de vivre ensemble.
C’est pourquoi nous lançons un appel solennel à la communauté internationale :
- Aux États européens, pour qu’ils garantissent sans délai la sécurité des imams ayant participé à cette délégation.
- Aux institutions européennes, pour qu’elles se saisissent de cette atteinte grave à la liberté religieuse et interpellent les autorités égyptiennes.
- Aux ministères des Affaires étrangères, pour qu’ils convoquent les ambassadeurs d’Égypte et exigent le retrait immédiat de cette fatwa.
- Aux ambassadeurs européens au Caire, pour qu’ils expriment avec fermeté leur désapprobation.
- Aux autorités musulmanes en Europe, pour qu’elles se désolidarisent publiquement de cette fatwa, et défendent une vision de l’islam conforme aux valeurs européennes de paix, de justice, de dignité humaine.
Cette fatwa est une menace. Mais elle agit aussi comme un révélateur : elle montre à quel point certains discours religieux, même officiels, sont encore traversés par l’antijudaïsme. Elle dévoile combien les efforts sincères de dialogue peuvent déranger. Elle confirme que la fraternité fait peur à ceux qui vivent de la haine.
Ce que cette délégation a incarné, c’est une espérance. C’est l’idée que les musulmans peuvent voir en Israël non un ennemi, mais un peuple, un pays, une société. C’est la conviction qu’il est possible de pleurer ensemble les victimes, d’écouter ensemble les douleurs, de bâtir ensemble un avenir.
La guerre à Gaza pourrait s’arrêter demain si le Hamas libérait les otages. Si les idéologies de mort cessaient d’instrumentaliser la foi. Si les autorités religieuses mettaient autant d’énergie à condamner les crimes qu’à condamner ceux qui cherchent la paix.
Aujourd’hui, plus que jamais, la paix est un choix. Elle exige du courage. Elle exige de nommer les choses. Cette fatwa est une honte. Elle doit être retirée. Et ceux qui œuvrent pour la paix doivent être protégés, soutenus, salués.
Nous appelons toutes les consciences à se lever. À parler. À dénoncer. Ce n’est pas un simple débat religieux. C’est un combat fondamental pour la liberté, pour la dignité, pour la paix.
Ne pas le faire, c’est cautionner. Se taire, c’est trahir. Et si un malheur devait frapper l’un de ces hommes de foi, ceux qui sont restés silencieux en porteront une part de responsabilité.
On ne peut pas détourner les yeux quand la fraternité est menacée.
On ne peut pas se taire face à l’intimidation religieuse.
On ne peut pas laisser la haine faire la loi.