Paris, le 16 avril 2025
Monsieur le Président de la République,
Dans l’avion de retour de votre visite en Égypte, vous avez annoncé être prêt à reconnaître un État de Palestine en juin à l’occasion de la conférence internationale présidée par la France et l’Arabie Saoudite à New York.
Dans l’état actuel de la situation au Proche-Orient, cette reconnaissance, lourde de sens et de conséquences, marquerait une rupture avec les engagements diplomatiques de la France et constituerait surtout une forfaiture morale, juridique et politique sans précédent, indigne de la stature internationale de notre pays, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies et puissance influente en Europe et dans le monde.
Dix-huit mois après les massacres du 7 octobre en Israël, que vous avez vous-même qualifié de « plus grand massacre antisémite depuis la Shoah », ayant imposé à l’État juif une guerre de légitime défense, alors que cinquante-neuf otages sont toujours détenus dans les geôles du Hamas à Gaza, la réponse de la France à cette séquence géopolitique ne peut être la reconnaissance d’un État palestinien.
Sur le plan symbolique, cette reconnaissance ferait du 7 octobre une date fondatrice de ce nouvel État, une nouvelle « Toussaint rouge » qui donnerait au Hamas une légitimité morale, politique et même religieuse, en tant qu’acteur de la « révolution nationale » ayant abouti à la création d’un État reconnu par les nations du monde occidental, dans un renversement des valeurs inquiétant et donc inacceptable. Elle donnerait raison à la violence, et pire, à la barbarie, comme moyen de légitimation politique.
Sur le plan politique, elle exalterait les pourvoyeurs de la haine des Juifs en France, qui ont fait de la détestation d’Israël et de la cause palestinienne le cheval de Troie de leur idéologie antirépublicaine.
Sur le plan juridique enfin, cette reconnaissance contreviendrait, en l’état, à l’ensemble des dispositions du droit international sur les critères de détermination d’un État énoncés par la Convention de Montevideo de 1933, devant répondre respectivement à un territoire défini (1), une population permanente (2), un gouvernement effectif (3) et une capacité à entrer en relation avec d’autres États (4).
Nichée au cœur d’un territoire morcelé et instable ; prise en otage entre deux régimes ennemis et mal identifiés ; gouvernée de part et d’autre par une organisation islamiste et terroriste, et une autorité affaiblie, illégitime et minée par la corruption ; pénétrée par les ingérences de la République islamique d’Iran qui l’instrumentalise pour son objectif apocalyptique de destruction de l’État d’Israël, la Palestine est aujourd’hui dans l’incapacité structurelle de se constituer en État.
Une telle reconnaissance, si incantatoire soit elle, serait une entorse manifeste à notre position traditionnelle d’équilibre et cèderait à l’émotion des conséquences d’une guerre déclenchée par les terroristes du Hamas le 7 octobre, qui ont montré ce jour-là le visage le plus sinistre de la cause palestinienne et définitivement enterré les perspectives de paix issues des Accords d’Oslo, qu’il convient de rebâtir ex-nihilo.
En ce sens, la création d’un État palestinien ne constituerait nullement, comme vous le soutenez, une garantie de sécurité pour Israël. Bien au contraire, elle renforcerait les organisations palestiniennes qui n’ont jamais renoncé à « libérer la Palestine de la mer au Jourdain », c’est- à-dire à l’anéantissement d’Israël.
Si vous avez affirmé, à raison, que le désarmement du Hamas et une réforme en profondeur de l’Autorité palestinienne seraient des prérequis indispensables à toute perspective de reconnaissance d’un État palestinien, votre déclaration, dans sa chronologie, accrédite finalement et de façon paradoxale l’organisation terroriste. En effet, le Hamas dispose hélas de l’assentiment de la majorité de la population palestinienne, et serait, demain, la principale organisation encline à disposer de la puissance souveraine dans l’ensemble du territoire palestinien, usant de la force et de la légitimité étatiques pour poursuivre son objectif renouvelé d’éradication de son voisin israélien. La reconnaissance de l’État palestinien renforcerait donc de facto le Hamas, qui n’a pas manqué de saluer votre initiative, au lieu de le marginaliser.
Depuis 1937, les autorités arabes ont refusé à six reprises tout compromis qui permettrait à un État arabe de vivre en paix et en sécurité aux côtés d’un État juif – dont la création du foyer national était la raison d’être du mandat donné aux Britanniques en Palestine – y compris dans ses formes les plus avantageuses. À chaque fois qu’Israël a tendu la main à ses voisins ou fait des concessions territoriales ou politiques, ses ennemis se sont renforcés et ont détourné les ressources internationales pour leur effort de guerre éternelle.
Si la reconnaissance d’un État palestinien pourrait être un horizon politique à long terme, le 7 octobre a complètement rebattu les cartes de sa faisabilité et du processus entamé depuis trente ans.
Face à ce traumatisme qui a réinscrit l’État hébreu dans la longue épopée de l’histoire juive, les Israéliens, pourtant acquis à la solution à deux États au lendemain des Accords d’Oslo, rejettent désormais absolument cette perspective à leurs frontières et la perçoivent, à juste titre, comme une menace existentielle.
Or, la création d’un État palestinien ne peut se faire sans le consentement des populations concernées, dont la culture de la paix découle d’une lente construction sociale, faite d’efforts mutuels et de preuves de bonne volonté. Au contraire, la population palestinienne est aujourd’hui maintenue par ses dirigeants dans une hostilité manifeste à l’égard d’Israël et des Juifs, fortifiée dès le plus jeune âge dans les manuels scolaires de l’Autorité palestinienne qui entretiennent la glorification du martyre, la lutte éternelle pour la réparation de ce qu’ils perçoivent toujours comme une injustice (la création d’Israël), et la haine comme identité politique. Dans ces conditions, la sécurité d’Israël ne peut se concevoir par la création d’un État palestinien, et ce sans une révolution copernicienne des mentalités du monde arabe.
Monsieur le Président de la République, la paix ne se décrète pas, elle se construit. La reconnaissance d’Israël par les États arabes ne l’ayant pas encore fait serait un pas important dans ce processus, mais plus que reconnaître l’existence d’Israël, c’est sa légitimité qu’il convient d’attester : sa légitimité à exercer sa souveraineté, à se défendre comme un État ordinaire lorsqu’il est attaqué par le terrorisme et à être une composante du Moyen-Orient, dans sa complexité et sa diversité.
Les pays arabes, Égypte et Jordanie en premier chef, ont une responsabilité historique dans la dégradation de la situation depuis 1948. Ils doivent faire partie d’un nouveau processus de normalisation des relations entre Israël et les Arabes palestiniens, en prenant toute leur part dans cette dynamique exigeante et intransigeante, par le refus catégorique de la violence et l’acceptation de l’Autre. Aucune création arbitraire, de l’extérieur, d’un nouvel État arabe artificiel n’aboutira à la paix. C’est au contraire la paix avec l’ensemble des pays arabes qui mènera à une solution pour les Palestiniens a posteriori. Elle s’imposera alors naturellement une fois ses conditions respectées et garanties, issues d’une négociation honnête et juste entre toutes les parties.
Comptant sur votre sens des responsabilités devant ce défi historique, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de ma haute considération.
Dr. Arié Bensemhoun
CEO ELNET France