À l’occasion de sa visite d’État en Arabie Saoudite du 2 au 4 décembre dernier, le Président de la République Emmanuel Macron a annoncé aux côtés du Prince héritier Mohammed ben Salman la tenue d’une grande Conférence internationale sur la création d’un État palestinien, dont Paris et Riyad assureront la Présidence. Elle devrait se tenir en juin 2025 à New York.
Cette initiative politique inattendue confirme le rôle central joué par le Royaume wahabbite, considéré désormais par les puissances internationales comme un État pivot dans un Moyen- Orient en pleines reconfiguration et instabilité politiques.
L’annonce de cette conférence coïncide néanmoins avec le vote de l’Assemblée générale de l’ONU du 3 décembre 2024, adoptant les modalités de la conférence internationale à 157 voix contre 8. Par ce vote, l’Assemblée générale réintroduit à l’ordre du jour de la conférence l’ensemble des dispositions du « Règlement pacifique de la question de Palestine » (résolution 194 des Nations Unies, 1974), incluant les incriminations habituelles à l’encontre d’Israël. Une série de résolutions anti-israéliennes ont également été adoptées ce jour, prouvant, comme à son accoutumée, l’instrumentalisation des institutions internationales aux fins de la décrédibilisation et de la diabolisation d’Israël.
Si la stratégie initiée par le Président de la République recèle quelques éléments originaux dans l’approche de la question palestinienne, notamment par le levier des reconnaissances mutuelles (i), les éléments introduits par l’Assemblée générale de l’ONU à l’ordre du jour de la Conférence internationale traduisent toujours le logiciel suranné de la question d’un État palestinien, à laquelle le multilatéralisme semble incapable de répondre de façon réaliste (ii).
I. Une conférence internationale présidée par la France et l’Arabie Saoudite : le conditionnement d’une souveraineté palestinienne à un ensemble de garanties ?
Contexte
S’appuyant sur une relation jugée « exceptionnelle » par l’Élysée avec le Prince héritier saoudien, la France souhaite faire de l’Arabie Saoudite un acteur central dans la résolution du conflit israélo-palestinien à cinquante jours de l’investiture du Président Trump.
Cette rencontre intervient dans un contexte où l’Arabie Saoudite a réchauffé ses relations avec les puissances régionales, notamment l’Iran, que MBS a qualifié de « République sœur » (11/11/2024), conformément à sa stratégie d’incarnation d’un nouveau leadership dans le monde musulman qui passe par la stabilisation de son environnement régional et la confiance des puissances voisines.
1. Relancer les Accords d’Abraham.
Avec le retour de Donald Trump à la Maison blanche le 20 janvier 2025, qui entretient une relation étroite avec le prince hériter, l’Arabie Saoudite pourrait réintégrer le processus des Accords d’Abraham et entraîner de fait l’ensemble des pays arabes n’ayant toujours pas reconnu l’existence de l’État d’Israël.
Engagée avant le 7 octobre dans un processus de normalisation de ses relations diplomatiques avec Israël, l’Arabie Saoudite a depuis suspendu ses initiatives diplomatiques secrètes.
Conditionnant une éventuelle normalisation avec Israël à la création d’un État palestinien, MBS adopte pour l’instant une position ferme, du moins dans les prises de position, à l’égard d’Israël, n’hésitant pas à qualifier, devant les pays de l’Organisation de la coopération islamique, ses opérations de « génocide ».
Le Président de la République souhaite profiter de ce laps de temps afin d’intégrer l’Europe dans le processus des Accords d’Abraham. L’idée serait de conditionner la création d’un nouvel État palestinien à une série de reconnaissances et de garanties mutuelles par les pays du monde arabe, en premier lieu l’Arabie Saoudite, pays hébergeant les deux lieux les plus saints de l’Islam.
Dans un contexte de fortes dégradations des relations bilatérales entre la France et Israël, alimentées par des décisions (salons Eurosatory et Euronaval, question de l’embargo sur les armes) et des prises de positions hostiles (« État qui sème la barbarie », Israël « création de l’ONU », récentes positions sur le Golan), Emmanuel Macron s’oppose néanmoins pour l’instant à la reconnaissance d’un État palestinien. Il souhaite en effet adopter cette reconnaissance « au moment utile », et entraîner plusieurs de ses alliés européens dans cette direction après une série de négociations qui puissent garantir la sécurité d’Israël.
2. Utiliser les capacités d’investissement de l’Arabie Saoudite pour le « jour d’après »
Par ses capacités d’investissement importantes, l’Arabie Saoudite jouerait un rôle déterminant dans la reconstruction de Gaza et du Liban, après les opérations militaires menées par Israël pour aboutir à la reddition totale des organisations terroristes et à la libération des otages.
En investissant dans ces territoires, l’Arabie Saoudite pourrait ainsi mêler ses intérêts stratégiques à ceux de la région, par nature incompatibles avec la prolifération des activités terroristes qui entravent les projets du Royaume. Ces investissements permettraient par ailleurs d’intégrer l’Autorité palestinienne dans un processus régional qui engagerait une série de contreparties à l’endroit d’Israël.
Après près de dix années d’embargo financier saoudien à l’encontre de l’Autorité palestinienne du fait de la corruption qui la mine, le prince héritier a récemment décidé d’envoyer plusieurs dizaines de millions de dollars à Ramallah, moyennant des garanties politiques.
Le rapprochement entre l’Autorité palestinienne et l’Arabie Saoudite pourrait ainsi favoriser, sous l’égide des puissances occidentales, un changement de leadership à Ramallah qui serait bénéfique à Israël.
La « polygamie diplomatique » de MBS (rapprochement récent avec la Chine pour des raisons commerciales / réchauffement avec la Russie pour ses intérêts énergétiques / rapprochement de façade avec l’Iran pour accroître ses investissements) en fait un adepte de la realpolitik.
Selon une position machiavélienne, les intérêts du Royaume priment sur les considérations morales ou juridiques qui pourraient émaner des conflits antérieurs. MBS regarde vers l’avenir, et cet œil inclut dans son orbite l’État hébreu dont les capacités technologiques pourraient constituer un atout majeur pour l’Arabie Saoudite dans ses capacités de défense (question du dôme de fer et de la nucléarisation qui pourraient conditionner un accord de normalisation sous la médiation des Etats-Unis).
II. À l’ONU, la criminalisation d’Israël traduit les échecs du multilatéralisme à intégrer la question palestinienne dans un processus de pacification régionale
L’Assemblée générale de l’ONU s’est directement emparée du projet d’une conférence internationale sur la création d’un État palestinien, en votant une résolution présentée par le Sénégal le 3 décembre à 157 voix pour, 8 voix contre et 7 abstentions.
Cette résolution a défini les modalités de la Conférence internationale, en y intégrant les vieux mantras incriminant l’État d’Israël.
Elle demande à Israël de s’acquitter « scrupuleusement des obligations qui ressortent de l’avis consultatif rendu par la CIJ le 19 juillet 2024 ».
Cet avis comporte :
- La fin de la « présence illicite d’Israël dans le Territoire palestinien » dans les plus brefs délais, la cessation immédiate de toute nouvelle activité de « colonisation », l’évacuation de tous les « colons » du « Territoire palestinien occupé » et l’abrogation de toutes lois et mesures créant ou maintenant la situation « illicite ».
- L’obligation de réparer intégralement les dommages causés à toutes les personnes physiques ou morales concernées.
En sus de cette résolution, l’Assemblée générale a adopté le texte sur la « division des droits des Palestiniens du Secrétariat », avalisé par 101 voix pour, 27 contres et 42 abstentions, qui demande de commémorer chaque année la Nakba palestinienne. Elle a en outre adopté sa résolution annuelle sur le Golan syrien, « exigeant d’Israël de se retirer de tout le Golan syrien occupé jusqu’à la ligne du 4 juin 1967 », par 97 voix contre 8.
Par l’ensemble de ces dispositions venant court-circuiter l’initiative bilatérale entamée par la France et l’Arabie Saoudite, l’ONU peine à considérer la dynamique régionale du conflit israélo-palestinien en exhortant l’État hébreu à des seules concessions, tenu responsable de tous les maux d’un Moyen-Orient où l’histoire se meut sans cesse.
III. Penser la dynamique de la résolution du conflit en-dehors des institutions multilatérales
Si l’ensemble des avancées diplomatiques du Proche-Orient depuis cinquante ans ont été le fait d’initiatives bilatérales ou régionales, engageant des négociations permettant aux parties de défendre leurs intérêts selon les rapports de force existants, le multilatéralisme s’est toujours heurté à la conception biaisée et idéologique du conflit avancée par les États-membres de l’ONU.
Les 57 États musulmans, appuyés par une myriade d’ONG acquis à la vindicte d’Israël, instrumentalisent des institutions internationales devenues le théâtre des oppositions idéologiques dans un monde fracturé, de façon schématique, entre les pays du Sud Global et les puissances occidentales mises en minorité.
Le mode de fonctionnement même de l’Assemblée générale de l’ONU (« un membre, une voix », pouvoir de nomination du Secrétaire général, élections des membres des instances et conseils) en fait une succursale anti-israélienne, dans un monde où l’indice de démocratie ne cesse de décliner dans une majorité de pays, en proie à l’influence de puissances prédatrices souhaitant imposer un contre-modèle à l’Occident.
Dans cette configuration où Israël est l’incarnation d’un Occident colonisateur et persécuteur du Sud global, qui a fait de la « libération de la Palestine » un millénarisme politique, le multilatéralisme est incapable d’offrir des solutions réalistes à un conflit dont la variable géopolitique est centrale.
À partir de ces bases, la « Conférence internationale pour l’avenir de la Palestine » ne pourra aboutir à des solutions satisfaisantes, ni pour Israël, ni pour un éventuel État palestinien, ni pour le Moyen-Orient, si elle persiste à s’engouffrer dans les éléments récurrents et dépassés de la « two-State solution » que le 7 octobre a définitivement enterrés, du moins dans la formulation des paramètres que d’ailleurs, Yasser Arafat avait lui-même rejetés lors des négociations de Camp David en 2000 avec Ehud Barak sous les auspices du Président Clinton.