Bonjour Arié. Le débat fait rage en Israël, depuis la constitution du nouveau gouvernement et le retour de Netanyahou au pouvoir, sur le thème d’une démocratie menacée et du risque que le pays devienne une théocratie.
Bonjour Ilana. C’est tout le contraire qui arrive en Israël, la démocratie est à l’œuvre. Elle est cet idéal infini qui doit toujours être repensé, qui se transforme en permanence. Elle permet le débat entre des gens qui n’ont pas à être d’accord sur tout mais qui peuvent n’être d’accord sur rien. Mais rappelons les fondamentaux : la démocratie permet au peuple de choisir ses dirigeants et de décider de ce que doit être son avenir, au travers de la capacité de voter. Le vote doit être libre, ce qui est le cas en Israël. Ensuite, c’est la liberté d’expression, de se constituer en parti politique, de se présenter à une élection. Israël coche évidemment toutes les cases et rares sont les pays qui peuvent en dire autant. C’est aussi la consécration de la majorité et le respect des minorités, la séparation des pouvoirs mais avant tout leur équilibre. En effet, la majorité ne saurait exercer une dictature sur les minorités et les minorités contraindre la majorité. En parlant d’équilibre, c’est l’harmonie de la société qu’on vise, en faisant en sorte que toutes les identités et les sensibilités soient respectées, que chacun puisse s’épanouir dans la confrontation des idées et le partage de la responsabilité. Sur la place du religieux dans la sphère politique et à tous ceux qui craignent, à tort, le basculement vers un modèle théocratique, il s’agit de comprendre que la Torah n’a rien à voir avec la religion mais qu’elle est avant tout le patrimoine naturel du peuple juif dans son unité et sa diversité, à savoir un texte historique, législatif, spirituel, que personne ne peut prétendre enfermer dans une case.
Mais la démocratie c’est aussi l’État de droit et la séparation des pouvoirs. Cette dimension est-elle remise en cause ?
Bien sûr que non et d’ailleurs, si j’osais, je dirais même que les Juifs en sont les précurseurs. Bien qu’étant un peuple de l’Antiquité, donc bien avant les théories de Locke et Montesquieu, ils ont inventé l’idée selon laquelle le détenteur du pouvoir politique, le roi, ne pouvait s’octroyer celui spirituel du prêtre, pas plus qu’il ne pouvait s’arroger le pouvoir judiciaire confié au juge, ainsi que la place dévolue à la société civile, représentée par les prophètes. Cette idée est ancrée dans le judaïsme depuis les temps les plus anciens et a influencé le modèle social et politique de toutes les démocraties. Alors oui, il y a un débat précisément, non pas sur la séparation des pouvoir mais sur leur équilibre. Et il n’est pas contestable que la Cour suprême de l’État d’Israël, qui est une institution extrêmement importante, s’est arrogé au fil des années des prérogatives qui ne sont plus contrôlées par les Lois fondamentales de l’État (qui n’a pas de constitution) et par la législation de manière générale. Donc ce n’est pas aberrant de dire qu’il faut réformer à la fois les conditions dans lesquelles sont nommés les juges et les conditions dans lesquelles la Cour suprême rend ses décisions. Mais aussi de dire dans quelle mesure elle peut intervenir dans le débat public traditionnel, comme c’est le cas dans toutes les grandes démocraties.
Alors justement, ce débat qui met aux prises le politique et le judiciaire, on le retrouve dans tout système démocratique. Ce n’est donc pas quelque chose d’inédit mais qui confirmerait, dans une certaine mesure, la nature véritablement démocratique d’Israël…
Bien entendu : on a les mêmes sujets aux États-Unis avec la Cour suprême américaine ou bien en France avec le Conseil constitutionnel. Les sujets de dissensions coexistent avec les volontés de réforme, ce n’est donc pas quelque chose de propre à Israël. Les seuls à ne pas avoir ces problèmes sont précisément les dictatures, donc félicitons-nous que ce débat existe. Le fait qu’on en parle n’est donc pas un signe que la démocratie est affaiblie, bien au contraire, mais qu’elle va bien. Ce sur quoi nous insistons, c’est que lorsqu’on veut corriger un effet, le risque existe que le remède soit pire que le mal. Personne ne peut nier que dans l’état actuel des choses, la loi de réforme du système judiciaire du ministre Yariv Levin va beaucoup trop loin et pourrait transformer la Cour suprême en une sorte de conseil consultatif, ce qui n’est pas acceptable. Pour autant, ce à quoi doivent travailler les Israéliens, c’est à trouver le bon équilibre entre les institutions pour à la fois assurer la séparation des pouvoirs, le respect des Lois fondamentales et de la législation traditionnelle et de garantir les droits de tous les citoyens, afin d’empêcher les dérives. Il n’y a aucun doute que la vitalité des Israéliens, telle qu’elle s’exprime au Parlement, dans les manifestations ou les médias, nous offre toutes les garanties que la démocratie en Israël n’est pas près de mourir. Elle est même plus vivante que jamais.