Bonjour Arié. Ce dimanche, Recep Tayyip Erdogan a été réélu pour un troisième mandat à la tête de la Turquie. Quels sont les enseignements à tirer de ce scrutin ?
Bonjour Léa. Le reïs a réussi un tour de force, celui de se maintenir confortablement au pouvoir après vingt ans passés à la tête du pays, alors que tous pariaient sur une victoire de son opposant, donné gagnant dans tous les sondages, et espéraient le retour d’une Turquie démocratique et laïque, telle que mise en place par Atatürk au XXe siècle. C’est le contraire qui s’est produit : l’électorat a privilégié les enjeux nationalistes et sécuritaires au piètre bilan socio-économique (surinflation et gestion désastreuse du séisme de mars dernier, entre autres).
Car le pays n’échappe pas à la dynamique qui touche bon nombre d’États dans le monde : celle du populisme et de l’ultranationalisme. Ces élections ont mis en lumière la victoire de la Turquie « asiatique », très conservatrice sur les plans sociétaux et religieux, sur la Turquie « européenne » et moderne des grandes métropoles côtières. Il faut dire qu’Erdogan excelle depuis longtemps dans l’entretien de cette fracture, grâce à sa mise en scène d’homme fort de la nation et de la puissance turque. Soutien affirmé des Frères musulmans, il gouverne avec des partis islamistes et d’extrême-droite depuis 2015. Adepte de l’autoritarisme, il s’était livré à une véritable purge contre ses opposants après la tentative avortée du coup d’État contre son gouvernement en 2016.
On est donc loin d’un vote sanction, bien au contraire. Sans être un plébiscite, ces élections consacrent malgré tout une réussite : la transformation progressive d’une démocratie laïque et pro-occidentale en un État autoritaire et islamiste, nostalgique de sa grandeur impériale passée.
Au niveau international justement, quel bilan pour la politique étrangère turque ?
La Turquie d’Erdogan se rêve depuis quelques années en puissance moyenne et n’hésite pas à parasiter les alliances dont elle fait pourtant partie, au nom de la défense de ses intérêts. Erdogan manie le pragmatisme comme personne et a su imposer sa vision du monde, qualifiée de néo-ottomane par les experts. Ses velléités expansionnistes en Libye ou en Méditerranée orientale, dans le Caucase ou en Asie centrale, ont suscité l’ire des autres membres de l’OTAN, au même titre que sa persécution des Kurdes, alliés des Occidentaux dans la lutte contre l’État islamique en Syrie. C’est d’ailleurs en instrumentalisant cette question qu’il use de son veto contre l’adhésion de la Suède à l’organisation. Comme celle des réfugiés syriens pour faire pression sur l’Union européenne.
Mais l’élément perturbateur sait aussi se faire équilibriste. Ankara assume le rôle de médiateur entre Moscou et Kiev, coopérant sur le plan économique avec le premier et fournissant le second en drones.
Par ailleurs, c’est lui qui a noué des alliances stratégiques et des partenariats économiques avec des États moteurs au Moyen-Orient, rompant avec la rivalité historique avec le monde arabe : Arabie saoudite, EAU, Égypte ou bien Israël. La Turquie entretient désormais des relations privilégiées avec les pays du Golfe, qui, les premiers, se sont empressés de féliciter le président pour sa réélection.
Peut-on alors s’attendre à un nouveau rôle pour la Turquie au Moyen-Orient ?
Les coopérations établies au cours du précédent mandat vont très probablement être renforcées voire approfondies, toute action de politique étrangère étant d’abord conditionnée par le contexte économique. En effet, le pays est approvisionné en devises par le Qatar, son allié idéologique dans la région (pays d’accueil pour les Frères musulmans et autres mouvances islamistes radicales, à l’instar du Hamas). Mais des inconnues demeurent, notamment avec l’Égypte et la Syrie. Des canaux de discussions existent mais la normalisation des relations n’est pour l’heure pas au rendez-vous. Si le rapprochement avec le Caire devrait se poursuivre, l’intransigeance avec Damas demeure sur le dossier des forces rebelles syriennes et kurdes, soutenues de manière interposée de part et d’autre de la frontière.
Si un statu quo en matière de politique étrangère se profile, il n’en reste pas moins que la Turquie d’Erdogan, malgré son jeu ambigu, s’est imposée comme un acteur incontournable sur la scène internationale.