28e édition des Ateliers Républicains

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Rencontre avec Christophe Bourseiller – Commentaire de Gérard Rabinovitch


Mardi 30 mai 2023, les « Ateliers républicains » d’ELNET ont reçu Christophe Bourseiller, dans le cadre du Cycle thématique « Enjeux des démocraties contemporaines » sur le sujet : « Extrémismes et extrémisation ».

Christophe Bourseiller est docteur en histoire, écrivain, journaliste. Il a fait de l’observation des extrémismes, sa convocation éthique, son domaine d’exploration, son champ de bataille.  Domaine qu’il arpente via l’écriture de livres, la conception de documentaires, des émissions de radio. Il a créé l’«Observatoire des extrémismes et des signes émergents», au sein de l’Université polytechnique des Hauts de France.

Nous lui devons de très nombreux ouvrages reliés à cette thématique, de même qu’une vaste série documentaire sur les Complotismes.

*

La séance de ce jour visait à identifier conceptuellement et factuellement ce qu’il est possible de désigner et nommer « extrémisme ».

Pour Christophe Bourseiller, l’extrémisme est quelque chose de relativement opaque, car son emploi « à tort et à travers », est plus polémique, destiné à dénigrer un adversaire, que comme un déterminant « scientifiquement » cerné et établi.

Il y a – par exemple – autour du terme un flottement sémantique entre « extrémisme » et « ultra » qu’ils soient de « droite » ou de « gauche ».

L’extrémisme, c’est dans cet usage à la fois un désignatif de pensées extrémistes, de doctrines extrémistes, de comportements extrémistes.

Christophe Bourseiller, propose alors une définition liminaire de l’extrémiste : c’est quelqu’un qui lutte pour un changement radical de société, et qui veut y parvenir par la violence. C’est quelqu’un qui veut en finir avec ce monde qu’il hait. Qu’il soit d’extrême droite ou d’extrême gauche. À cette détestation du monde est le plus souvent associé, une détestation des Juifs, et un fantasme de pureté du monde et un fanatisme de pureté doctrinale.

Ce qui le caractérise encore c’est un comportement établi sur un binôme de violence et de transgression. En finir avec les Lois, et être au-dessus des règles.  Il se repère encore de trois traits : goût pour la violence, mentalité sectaire, socialité du petit nombre.

Et pour en finir avec le monde qui l’environne, il ne se satisfait que de ce qu’il appelle une « Révolution ». Ce qui dans les faits est toujours un coup de force. Coup d’État à la façon des bolchéviks, marche sur Rome à la façon des fascistes italiens, etc.

Selon Christophe Bourseiller, il se compterait en France environ 13 000 activistes à l’extrême gauche et 10 000 activistes à l’extrême droite.

Divisés en sous-groupes se détestant entre eux et se combattant.

À l’extrême gauche, il faut distinguer deux courants profonds. Le grand ensemble de ceux qu’on dira « léninistes », et celui de ceux qu’on dira « anti autoritaires », comprenant, les différentes « chapelles » anarchistes, ultra gauche marxiste anti léninistes, situationnistes, etc.

À l’extrême droite, il faut distinguer entre les « contre-révolutionnaires » (les royalistes essentiellement), et les « révolutionnaires » se réclamant des ligues des années 30, du fascisme italien, ou du nazisme. Les nationalistes classiques pétainistes et puis encore les « identitaires » qui se réclament d’un enracinement « langue et sol » (Niçois de part et d’autre de la frontière, Flamands pareillement).

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Pour autant pas besoin d’être nombreux pour avoir de l’influence.

L’extrême gauche comme l’extrême droite trouvent leur force dans leur capacité à s’emparer d’organisations plus massives.

Ainsi le NPA – qui ne compte guère plus de 800 militants maintenant suite à une énième scission – contrôle néanmoins l’Union syndicale Solidaires qui compte 70 000 adhérents, la fédération de l’énergie de la CGT, des fédérations de la CFDT, l’UNEF, et à travers eux peut durcir le débat public.

À l’extrême droite, on observe un même procédé d’influence souterraine.

Au sein du RN, qui ne peut être défini comme un mouvement extrémiste selon la nomenclature proposée par Christophe Bourseiller des extrémismes, agissent des groupes d’influence sur le mode de faire avancer leurs « idées », à la manière des collaborationnistes à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Ailleurs ce sont les catholiques traditionnalistes qui sont sous le contrôle des royalistes.

On a pu observer un même procédé d’influence souterraine dans le mouvement de la « Manif pour tous ». Ou, en 2012 la constitution de « réseaux colère », visant à « fédérer les « colères » quel qu’elles soient. Avec des manifestations dans lesquelles se côtoient de façon insensée des banderoles aussi disparates que : « Police juive hors de France, « Les Papas en colère », « Camping, pour tous », Collectif contre les éoliennes », divers groupes nationalistes et les fidèles dieudonnistes de la « quenelle »…

Christophe Bourseiller note qu’en 2018, la cartographie initiale des manifestations des « Gilets jaunes » se superposait avec celle des « réseaux colère »…

Tous ces groupes extrémistes n’ont donc pas disparus comme on pourrait le croire. Ils continuent d’exister et d’agir au-delà de vivoter. Et leur influence au lieu de régresser s’étend bien au-delà du nombre de leur acteurs. Par des phénomènes de « viralités ».

Mais ce qui les caractérisent encore c’est leur indigence politique. Ils produisent très peu de textes, ne construisent pas d’édifices d’arguments.

Certains groupes ne se reconnaissent que par des vidéos de « colère » mises sur Tik Tok.

La posture l’emporte sur la pensée. C’est le triomphe de la frénésie imitative sur la réflexion.

Par son activisme, et ses séductions à distance, l’extrémisme est un amadou qui installe une extrémisation de la société, et répand ses incendies dans celle-ci.

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Christophe Bourseiller a précieusement insisté sur les extrémistes politiques dans la France contemporaine, en proposant – pour commencer – une définition générique de classification de la posture et de la mentalité extrémiste, indépendamment de leurs dialectes politiques d’identification de « gauche ou de « droite ».

Autrefois sous l’appellation d’« enthousiastes » ou de « fanatiques » les langues européennes nommèrent des profils humains semblables se manifestant dans les paysages narratifs de leur époques. Il faut constater alors que c’est là une constance que des figures mentales de ce type se reproduisent dans l’espèce humaine.

Prendre cette question de l’extrémisme par le fil des « mentalités » plutôt que par celui des discours, semble en effet plus fécond, mais certainement pas plus consolant.

Dans le sillage des Lumières, il a été tenu pour acquis que ces profils de caractères et leur liant sémantiques de rassemblement appartenaient à l’âge archaïque d’avant leur rayonnement.

L’histoire montre avec les totalitarismes et leurs furies destructrices dans l’époque contemporaine qu’il n’en est rien.

Plus gravement, il convient de s’interroger si les Lumières n’ont pas pris elles même une part dans les hybris extrémistes de la modernité.

Hybris que l’observation lucide ne permet pas d’assigner au seul champ des programmes politiques. Mais plus globalement, dans celui des montages civilisationnels en réaménagements, leurs architectures éthico-cognitives, et donc psycho-culturelles dominantes.

Dans cette direction il n’est pas insensé de relire certains des auteurs des « Lumières radicales », comme les préfigurateurs performant d’une jointure.

Celle, entre l’extrémisme tous azimuts (politique ; mais encore, pour la science : le « scientiste » ; pour le militaire : « les armes de destructions massives » ; pour l’érotique : le « pornographique trash » ; pour le bio médicale : l’« eugénisme », l’« euthanasie », le « trans humanisme » ; pour le sport : les « exploits » de franchissement des limites ; etc.) et ce que nous croyons toujours devoir appeler – dans une acception positive en valeur absolue -, la modernité.

Gérard Rabinovitch