27e édition des Ateliers Républicains

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Rencontre avec Monette Vacquin – Commentaire de Gérard Rabinovitch


Jeudi 20 avril 2023, les « Ateliers Républicains » d’ELNET ont reçu Monette Vacquin, dans le cadre du Cycle thématique « Enjeux des démocraties contemporaines », sur l’interrogation alarmée « Faisons-nous mieux que le Meilleur des Mondes d’Huxley ? ».

Monette Vacquin est psychanalyste et essayiste. Elle poursuit depuis de nombreuses années, une réflexion sur les enjeux éthiques, psychiques, et politiques des technosciences et des bio technologies.  Elle a été membre de la commission d’éthique biomédicale du Consistoire de Paris, est membre du conseil scientifique de département d’éthique bio- médicale du Collège des Bernardins, et membre de la société Paul Ricoeur.

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La rencontre de ce jour avait pour objet d’interroger ce qui se tramait du côté des effets décivilisationnels des sciences et techniques devenues liées en « technosciences » du vivant. Des effets allant à l’encontre d’une promesse initiale héritée des Lumières qui supposaient que le développement du savoir et de la technique serait un vecteur du progrès social et un allié d’une émancipation citoyenne et démocratique.

Beaucoup d’indices appelant l’attention sur ce point : qu’en fait de « progrès » simultanés et réciproquement confortés, ce serait plutôt à une régression du travail de Culture, la Kultur Arbeit telle que la nomma Sigmund Freud, que nous assisterions. Ce qui peut venir à l’observation de chacun qui prend le temps – et la distance – d’écouter.

La séance de ce jour – ce titre – pourrait avoir comme avertissement frontispice cette sentence freudienne qui vint sous la plume de Freud dans son ouvrage L’Homme Moïse et la religion monothéiste : « Nous vivons à une époque particulièrement curieuse. Nous trouvons avec étonnement que le progrès a conclu un pacte avec la barbarie ».

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Monette Vacquin , en premier lieu, explicita d’où elle parle.  Non en position d’« experte », mais en position d’interprète de symptômes ; munie – en appui – des concepts d’« Histoire », et d’« Inconscient ».

Et également en office de psychanalyste tombée dans la « marmite » des problèmes éthiques et de biologie avec les questions liées à la PMA (« procréation médicalement assistée »). Pratique, dont, au-delà de la réparation des stérilités tubaires, se donnait à entendre à son écoute, dès ses linéaments, et en accompagnement, une propension sui generis à la désexualisation de l’origine ; simultanément à une manière d’«érotisation  de la science ».

Il semblait y avoir là, dans l’intuition de Monette Vacquin, – au motif explicite de guérir les stérilités – d’une part un arraisonnement de l’art médical par la pensée technique ; et d’autre part une attaque incluse contre la filiation. Ce qui s’y engendrait, méritait écoute, aux dissonances manifestes avec les promesses compassionnelles affichées en promotion.

Déjà, la chose était vendue, saluée, et accueillie, comme une « prouesse médicale », alors que le progrès scientifique n’y était pas. Et qu’il ne s’agissait dans les faits concrets que d’un transfert des techniques du monde vétérinaire en usage dans l’industrialisation de l’élevage.

Monette Vacquin, interloquée de ce mouvement gigantesque qui prenait jour, dit n’avoir disposé que de peu de concepts pour le penser, à l’exception de la seule notion de la clinique freudienne de « pulsion épistémophilique ». Une pulsion de savoir, articulée aux pulsions « scopiques » et pulsions de « maitrise » en soutènement.

Les objets de la pulsion épistémophilique portant selon la clinique freudienne sur – d’un côté – la question du Mal, et – de l’autre – sur la sexualité.

Dans le cadre contextuel d’observation qui lui était donné, elle s’intéressa aux « actes » mais aussi aux « paroles » qui les accompagnaient et les habillaient.

Ainsi, par exemple, pourquoi les gynécologues plaisantaient -ils avec des expressions telles que « stérilité : on déclenche le plan hors sexe » (en jeu de mot consonantique avec l’administratif « plan ORSEC ») ; ou : « Il faut délivrer les femmes du fardeau de la maternité » ?

Tandis qu’émergeaient et prenaient souche des conséquences normatives inédites qui bousculaient les juristes sur une nouvelle réalité : il y avait bien plus de parents que deux pour concevoir un enfant…

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De ce coup de force et pas de côté, le grand paradoxe alors – observé par Monette Vacquin et excellemment résumé par elle – pointait que les Sciences, fleurons de la Culture, menaçait la Culture, en portant à ses fondements des coups qui semblaient venus du plus archaïque de l’Inconscient.

Pas la science, bien sûr, au sens où Freud pouvait la connaitre, mais les « techno sciences » reliées au marché, à la façon dont le philosophe Jacques Ellul et le juriste Pierre Legendre ont pu l’identifier.

Partant de ce mouvement initial, Monette Vacquin note un processus continu. Depuis 1978 et le premier « bébé éprouvette » conçu par « FIV », jusqu’à la demande de changement de sexe contemporain.

Dans les années 70, la problématique était : « faire l’amour sans faire des enfants ».

Dans les années 80, elle devenait : « faire des enfants sans faire l’amour ».

Dans les années 90, elle poursuivait : « avoir des enfants sans être de sexe différents ».

Pour arriver aujourd’hui, à la revendication : « des officines de changement de sexe, au prix de mutilations remboursées par la sécurité sociale ».

Dans ce processus, en accompagnement, s’est installé l’effacement institutionnel des documents administratifs de mots tels que « monsieur » et « madame », de « père » et de « mère », et en substitution – selon les pays – l’établissement d’expressions telles que « pourvoyeurs de forces génétiques », « progéniteur 1 », « progéniteur 2 », ou « parent 1 », « parent 2 » qui attestent de l’institution d’un délire.

 Comme le rappelle utilement notre conférencière : « un délire privé est une chose ; un délire de masse, on a déjà connu ça ; mais un délire de masse institutionnalisé, est incomparablement le saut le plus grave.

Dans ce mouvement – du côté des propagandistes « transhumanistes » – se profile déjà un nouveau saut fantasmatique avec le pari d’une vie « digitale » après la mort : « Quittons ce corps de viande ! » tel est le nouveau slogan qui tente de se frayer un passage en autorité de discursivité scientifique.

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C’est ici que Monette Vacquin a trouvé en appui – a contrario de la pauvreté accablante des discours politiques – des ressources d’avertissements saisissants.

Notamment chez Marie Shelley, Evgueni Zamiatine, George Orwell, et chez Aldous Huxley, qui justifie le titre de son intervention du jour. Comme si, contre la « raison instrumentale » dominante, la Raison ne pouvait se refonder que dans une forme d’expressivité hors d’elle-même.

Le style dystopique des œuvres de ces auteurs, en cris de mises en garde, répondent aux utopies des illusions positivistes.

Elles constituent des allégories sur la « dépsychisation » en cours. Elles ont le statut mélancolique de « bouteilles à la mer » adressées à leurs contemporains et à la postérité qui n’ont pu être écrites que sous la forme de « fictions ».

Mais surtout elles dessinent des paysages qui consonnent avec ce qui effectivement s’installe actuellement.

Monette Vacquin – après avoir cité des extraits des ouvrages en exemples éloquents, et surligner également que les allégories de ces auteurs sont dépassées dans leurs problématiques par ce qui s’installe dans l’actuel sociétal – s’interroge : « Et si la grande aventure de l’altérité n’aura eu qu’un temps ? ».

Tout en espérant que « peut-être l’Humanité ne se laissera pas faire ».

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Tout ce glissement décrit par Monette Vacquin, n’est pas que le fait de régimes totalitaires, même si ceux-ci n’ont pas manqué, et ne manquent pas « logiquement » de l’amplifier pour leur compte.

Il se produit sous couvert d’un idéal démocratique qui confond, plus sauvagement qu’allègrement, la « liberté de désirer » avec la licence de « pouvoir tout faire », comme l’a noté notre invitée.

Il est encore notable pour abonder dans la direction qu’elle indique, que l’« eugénisme » et l’« euthanasie » en vogue dans les fantasmes médicaux de la fin du XIXème siècle et du début du XXème, servit de voie de passage entre le « monde du progrès » et les milieux dits « progressistes » et le nazisme en Allemagne des années 30.  Ainsi que plusieurs historiens des sciences ont pu l’établir.

Nous ne pouvons manquer de prendre alors acte des impasses des promesses des Lumières en double échec. Échec du projet qui s’y inscrivait en horizon d’émancipation et d’autonomie, et échec concomitant de leur rayonnement dans le monde.

La Raison s’est dégradée en « raison instrumentale ». La Démocratie, en « société de masse ». le Sujet humain, en « chose » jetable. Soit à la mesure de ces effondrements, une situation qu’on pourrait nommer avec Karl Jaspers de Crise spirituelle. En « avalanche »…

« Que devient la démocratie quand le pouvoir s’étend à la modification de l’espèce ?» demande – avec nous – Monette Vacquin. En effet !

Qu’est-ce qu’une « science », portée par une hybris de toute puissance, qui se donne pour objet « le pouvoir de conquérir et soumettre la nature jusque dans ses fondements », selon le vœu de Bacon ? Qu’est qu’un progrès de perfectibilité qui veuille échapper à « tout pouvoir susceptible de lui faire obstacle et ne veut « connaitre d’autre limite que la durée de cette sphère sur laquelle la nature nous a placés », comme y invitait Condorcet ?

L’homme contemporain est, selon la formule de Siegfried Kracauer, devenu un « sans abri » spirituel.

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On retiendra, alors, en pistes d’échappée, même plutôt de « réchappage », la problématique talmudique d’une distinction entre les sciences du « quoi ? », et les sciences du « qui ? », selon une indication dû à Georges Hansel (in « Sciences du quoi et sciences du qui ». Qui ne s’excluent pas ni s’opposent, mais qui mettent en asymétrie les secondes sur les premières.

On notera avec Léo Strauss l’amica collatio, entée sur le monothéisme éthique, entre Juifs et chrétiens : « L’hybris du scientisme ne peut être surmonté à l’aide d’un humanisme inspiré par la croyance en l’homme entendu comme créateur. Face au scientisme, le judaïsme et le christianisme sont à l’unisson » (in Perspective sur la bonne société).

On semblerait observer une inclinaison des recherches génétiques et séquençage génomique sur le vivant dans les laboratoires israéliens, vers le bio mimétisme, plutôt que le saccage du vivant humain.

Comme si l’empreinte d’un poinçon éthique d’apprentissage et d’étude, faisant de la « nature » le don d’un livre à déchiffrer, dont la génétique serait l’aleph-beth. Sans promesses de « toute puissance ». Mais rien de nos jours n’est jamais garanti, et la vigilance éthique et ses interrogations restent convoquées.

Gérard Rabinovitch