26e édition des Ateliers Républicains

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Rencontre avec Jacobo Machover « Cuba. Totalitarisme tropical. Une caricature des illusions révolutionnaires » – Commentaire de Gérard Rabinovitch


Le jeudi 16 mars 2022, les Ateliers républicains d’ELNET ont reçu, dans le cadre du cycle de séances dévolues aux défaillances du régime politique démocratique, Jacobo Machover, maître de conférences en littérature et civilisation hispano-américaine. Écrivain d’origine juive et cubaine, chroniqueur, correspondant de presse, et auteur de nombreux ouvrages en défense des populations cubaines, contre le régime cubain actuel. Dont : Cuba, totalitarisme tropical, La face cachée du Che, Anatomie d’un désastre, baie des cochons Cuba 1961, Cuba : une utopie cauchemardesque : derrière le mythe, un demi-siècle de tyrannie castriste.

La rencontre avait pour objet de revenir sur une illusion fortement ancrée. Et encrée par de trop nombreux « intellectuels » européens et sud-américains. Celle d’un régime castriste qui aurait établi une échappée émancipatrice dans le système référentiel du socialisme d’État soviétique, tout en étant – face à une puissance dominante, celle des USA – un supposé « premier territoire libre de l’Amérique » autoproclamé, mais dans les faits vite devenu un satellite de l’Union soviétique.

Ces laudateurs, progressistes à peu de coût pour eux, mais au prix de beaucoup de souffrance pour les populations sous le joug, entretiennent des complaisances à répétition  pour des régimes oppressifs corrompus, anti-démocratiques, alliés sur le prétexte d’un anti-impérialisme anti-américain et complices sur l’axe de leur similarité mentale, au-delà des différences narratives dont ils s’habillent : socialistes, religieuses théocratiques, techno-capitalistes, militaristes, ou tout simplement « mafieuses ».

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Jacobo Machover souligne combien l’aura romantique, qui a drapé la saga des Barburos prenant le pouvoir en janvier 1959 à Cuba, a opéré et couvert d’un voile de complaisance et de justification les exécutions massives d’opposants dès la prise du pouvoir et avant même celle-ci.

Il rappelle ses propres éprouvants souvenirs d’enfance, lorsque la presse nationale, la télévision et les bandes d’actualité au cinéma, montraient des exécutions à répétition.

Il souligne qu’à la différence des thèses marxistes anti-staliniennes qui ont eu cours contre le stalinisme, expliquant celui-ci par une supposée « dégénérescence » de la Révolution en Russie dans les années 20-30, ladite révolution cubaine a toujours affiché son caractère totalitaire et sanguinaire.

Caractère qui n’a été que crescendo. Entre 1959 et 1963, qu’il s’agisse de la déclaration de Castro, se proclamant « marxiste-léniniste jusqu’à la fin de ses jours », du procès des vaincus devant les caméras du monde entier du débarquement à la Baie des Cochons puis de la Crise des missiles d’octobre novembre 1962, dont depuis on a appris que les dirigeants cubains entendaient frapper préventivement des villes comme New York ou Washington.

En tous cas, dès 1963, la situation était verrouillée à Cuba. Mélange de Caudillisme bicéphale (avec son frère Raul) ; de classique culte de la personnalité : le Lider Màximo ; de socialisme d’État inféodé à l’Union soviétique qui, deux ans après avoir distribué d’abord les terres des latifundistas, les collectivisent unilatéralement par le biais de coopératives et de fermes d’État (reprenant d’une main ce qu’ils avaient auparavant donner de l’autre juste le temps de s’assurer le pouvoir) ; des répressions féroces des opposants – y compris de la vieille génération communiste – ou des « déviants » (jusqu’aux « fans » des Beatles), envoyés – certains jusqu’à 30 ans –  dans des camps de travail dénommés UMAP (unités militaires d’aide à la production, sur l’entrée desquels on pouvait lire (comme Jacobo Machover le relate dans son livre) « le travail vous rendra libre » (sic !) ; d’exportation de la « révolution » dont le régime était devenu le phare, à travers toute l’Amérique latine, multipliant les focos, ces foyers de guérilla rurale. Mais aussi plus tard en Afrique, notamment en Éthiopie et en Angola. Et encore aux côtés des Syriens contre Israël durant la Guerre de Kippour. Et logiquement par continuité, en offrant des entraînements militaires aux groupes palestiniens, sur place à Cuba, ou bien dans les camps du Sud Liban.

 

Ces réalités étaient, par ignorance ou bien davantage par volonté d’ignorance, évitées, escamotées, dans un mécanisme d’illusions apologétiques dont les « intellectuels » français furent les plus en pointe.

Elles pouvaient même faire chez certains l’objet d’une approbation jubilatoire en toute connaissance des choses…

Parmi nombre de ceux évoqués par Jacobo Machover, retenons Jean-Edern Hallier et encore plus Jean Paul Sartre et Simone de Beauvoir qui séjournèrent à Cuba plusieurs semaines, assistèrent à des procès et des exécutions et qui au retour sous la plume de JPS, comparaient Fidel Castro à St Jean de la Croix dans une suite de 16 articles parus dans France Soir.

Le Che – le petit condottiere comme il aimait se qualifier lui-même – fanatique stalinien grimé par la magie de l’iconographie trafiquée et saint sulpicienne en libertaire – n’était pas le dernier à organiser des exécutions spécialement pour ces thuriféraires. Le Che qui avait en 1965 déclaré à la tribune de l’Assemblé générale des Nations-Unis : « nous avons fusillé, nous fusillons, et nous continuerons de fusiller tant qu’il le faudra ».

Ces fusillades se poursuivaient toujours en 1989, lors du procès contre Arnaldo Ochoa, ancien héros castriste de l’armée cubaine, et assurément criminel de guerre en Angola (où l’armée cubaine commit des bombardements chimiques) ce qui ne lui était pas motif de reproches à Cuba, mais suspecté de sympathie pour Gorbatchev, ce qui fut par contre occasion d’une condamnation à mort et de son exécution à l’été 89. La perestroïka étant vilipendée par les frères caudillistes.

 

L’adhésion hébétée, ébahie et enthousiaste de ces intellectuels ne manquait pas d’en faire des complices d’une terreur qui ne se dissimulait même pas. Quelques-uns quand même qui méritent d’être nommés trouvèrent en eux le socle éthique qui les fit rompre avec le castrisme, ses impostures et ses cruautés : Mario Vargas Llosa, Jorge Semprun, Octavio Paz…

D’autres persévèrent jusqu’à aujourd’hui dans l’élation pour le régime cubain et ses différents vassaux caricaturaux, outranciers ou fades : Hugo Chavez et Nicolas Maduro au Venezuela, Daniel Ortega au Nicaragua, Evo Morales en Bolivie, Rafael Correa en Équateur, Gustavo Pedro en Colombie, etc… Histrions de la NUPES, trépidants du NPA, défraîchis du PS…

Nombre de ceux-là suivent encore le régime de la Havane dans l’appui total qu’il apporte à la direction de la Russie actuelle dans son invasion de l’Ukraine. On n’est plus dans une solidarité entre « pays socialistes » mais bien dans la réciproque complicité de pouvoirs prébendiers.

*

L’Amérique du Sud est une terre des confins de l’Europe du Sud, son extension latine outre atlantique. Tamponnée durablement d’une catholicité armée exportée, à la différence de l’Amérique du Nord tamponnée elle d’un protestantisme d’émigrés puritains nourris de Bible. Elle n’y recèle pas moins que les territoires du Nord-américain une familière proximité pour la Vieille Europe, avec ses particularismes culturels qui continuent d’exercer un attrait séducteur sans se démentir. Pour les meilleurs d’un hédonisme de vie et de richesse culturelle. Et pour les pires…

Ainsi du régime cubain depuis 1959 et de toutes ses déclinaisons politico-nationales en régions d’Amérique latine ; du côté du pire dans l’imposture…

Nous ne pouvons que nous ranger à la conclusion que fit Jacobo Machover, à son ouvrage sur Cuba, totalitarisme tropical : « Le castrisme n’est pas seulement une variante sui generis du système communiste, ni de la tyrannie mégalomaniaque d’un seul homme. C’est surtout le laboratoire d’un totalitarisme tropical, qui s’est maintenu si longtemps au pouvoir grâce à l’indulgence complice des intellectuels, des hommes politiques, des faiseurs d’opinion, de tous ceux qui n’ont jamais voulu voir ce qui se cachait derrière l’illusion romantique : la tragédie de tout un peuple ».

Mais nous aurons encore, en rebond de ce qu’il nous a livré, à y décrypter et analyser ce qui est sous nos yeux, pourvu que se déchire – comme il y contribue – le voile des ignorances et des illusions.

Décrypter cette récurrence qui, depuis plus d’un siècle, fait de l’honorable bannière socialiste, l’inexorable et constant sauf conduit des autocraties les plus abominables.

Analyser ce mécanisme psychique et cognitif qui arrive à auréoler d’une sainteté émancipatrice de l’humain dans l’homme, les pires tyrans, les plus cruels mafieux, les plus répugnants corrompus, qu’il s’agisse du « castrisme » sur la scène sud-américaine ou du « palestinisme » sur le théâtre moyen-oriental. Ces deux-là se recoupent, s’enchaînent en continuum sémantique, se font écho, et semblent procéder d’un même canevas.

Effondrement de la Raison ou insistance de la bêtise ?…

Gérard Rabinovitch