25e édition des Ateliers Républicains

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Rencontre avec Galia Ackerman « De la nature du régime poutinien » – Commentaire de Gérard Rabinovitch


Lundi 20 février 2023, les « Ateliers républicains » d’ELNET – en résonnance avec la situation de guerre qui depuis une année ravage le territoire ukrainien et sème la désolation et la mort dans sa population – ont tenté de sonder les arrières pensés et les arrière-cours de ce conflit. Lors d’un atelier tenu aux premiers temps de cette guerre nous avions reçu et entendu Boris Czerny (Atelier n° 18) pour un aperçu panoramique, historique, culturel, et politique, de l’Ukraine. Cette fois-ci les Ateliers ont reçu Galia Ackerman, pour nous donner un aperçu de la « Nature du régime poutinien ».

Galia Ackerman est née en Union soviétique, a soutenu sa thèse de doctorat en Histoire à la Sorbonne, est la rédactrice en chef du média en ligne « Desk Russie », et a publié de nombreux ouvrages, seule, en tandem, ou en collectif, sur la Russie historique et contemporaine. Elle a fait paraitre récemment – co dirigé avec Stéphan Courtois – « Le Livre noir de Vladimir Poutine, un recueil de textes d’elle-même, de son co auteur, et de contributeurs de qualité, qui percutent aux bons endroits pour nourrir une réflexion lucide sur les linéaments et les réalités de la politique actuelle russe.

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Galia Ackerman insiste dans un premier temps sur ce qu’elle nomme la « Matrice impériale », comme référence identitaire du collectif russe. Une idéalisation rassembleuse offerte aux populations, qui traverse les époques de la vie politique en Russie. L’idée de la supériorité de l’Empire russe, de la langue russe, de la civilisation russe, inculquée au fil des siècles aux nouvelles générations, tout à tour. Elle s’accompagne d’un principe d’annexion des populations russophones où qu’elles se trouvent.

Un « pan » russisme, comme il y a eu un « pan » germanisme, ou qu’il existe un « pan » arabisme.

Le premier « impérialisme russe débute avec Ivan le Terrible, premier tsar de Russie, au 16ème siècle. Avec Ivan Le Terrible s’établiront les paramètres de l’élargissement toujours inachevé des terres russes, de la terreur comme système de domination politique, de l’établissement du servage comme organisation sociale de la production., et d’une légitimité spirituelle religieuse orthodoxe.

Les successions de tsars suivants en garderont l’empreinte inaugurale Ainsi Pierre Le Grand qui ouvrira l’accès à la Baltique de la Russie. Puis au XIXème siècle, ce sera le tour du Caucase et de l’Asie centrale.

Un expansionnisme d’évidence intrinsèque à son autodéfinition. La Russie s’auto désigne dans son fondement comme un Empire du Bien : la « Russie sainte ». Déjà originellement en étendant l’Orthodoxie sur les terres conquises (sans toutefois une politique de conversions forcées des populations soumises).

Cette « matrice impériale » est reconduite au XXème siècle, sous de nouveaux habits de légitimité narrative : le communisme. Il prend la place de l’orthodoxie, mais avec le même engouement idéalisant, d’être à l’avant-garde de l’Humanité. Cette idéalisation la fortifie dans l’affrontement avec les USA en antithèse. Et trouve ses marques encore dans une logomachie active, dite pour l’opportunité du moment : « anti coloniale ». Un « anticolonialiste » déclaratif, alors que la Russie n’a pas été en reste de pillages des nations vassalisées à elle…

Aujourd’hui, se recombinant aux ressources de l’Histoire, ce n’est plus centralement l’orthodoxie, ni le communisme, c’est la Victoire durant la Seconde guerre mondiale qui prend la signification narrative la plus élevée d’être l’Empire du plus grand Bien. Elle est le moteur de légitimité narrative de l’attaque contre l’Ukraine. Et cette guerre d’invasion, est elle-même le carburant de son authentification de masse.

L’acteur de ce déplacement narratif, et simultanément recentrement sur la matrice impériale, comme fondement du « pan » russisme contemporain, est Vladimir Poutine.

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En seconde partie, Galia Ackerman souligne alors qu’on ne peut interpréter l’homme Vladimir Poutine, ses actes, ses inclinaisons, ses propos, ses décisions, ses perspectives, si on néglige qu’il est un produit du KGB. Son « Alma Mater », et son « Horizon ».

Et qu’apprent-on au KGB ? les principes de la manipulation, de l’intimidation, du chantage, de l’aide dans la carrière, de l’appât du gain.

Galia Ackerman énumère là où Vladimir Poutine a « œuvré ». Et rappelle qu’il a été nommé à la tête du FSB en 1998. Avant de prendre les rênes du pays. Propulsé au pouvoir, il n’a eu  alors de cesse  que de rétablir la Russie dans cette matrice impériale originelle, constitutive et existentielle.

Toutes ses principales décisions depuis concourent à cela :

La Restauration de la Russie en Empire a été énoncée et annoncée dès 2007 à Munich, lorsque fut lancé un ultimatum à l’Otan et aux USA de renoncer à l’élargissement du nombre de ses membres et pour un retour à la situation qui prévalait avant 1997. La Russie ne pouvant se rétracter, et n’existant que de son extension, il n‘y a pas d’option « isolationniste » pour assurer sa puissance et sa grandeur.

La Guerre en Tchétchénie fut son premier acte, la Géorgie le second. Puis la Crimée. Le Donbass. La Syrie. La Lybie. L’Afrique via « Wagner ». Jusqu’à l’Ukraine cette année-ci.

L’étouffement des médias relativement indépendants du Pouvoir dès son arrivée au Pouvoir.

La mise au pas des oligarques dans leurs aspirations d’interventionnismes politiques. Ils ne furent autorisés à continuer leur enrichissement qu’à la condition de ne s’occuper que de seulement celui-ci ; moyennant des reversions et rétrocessions au Pouvoir et à son chef.

La multiplication des assassinats ciblés.

La militarisation des consciences à partir de 2012 mise en chantier : culte idéalisant du rôle de la Russie dans la Seconde guerre mondiale comme repère idéal ; scénarios publics d’hypothèse des guerres à venir comme paysage de fond ; embrigadement de la jeunesse à partir de 12 ans dans des organisations en lien avec l’armée ; culte héroïque de la mort pour la Patrie auquel le clergé orthodoxe est convoqué ( la mort pour la Patrie sensée nettoyer de tous les péchés, et donner accès au Paradis, selon le chef de l’Église orthodoxe Cyrille ,patriarche de Moscou et de toutes les Russies , lui-même du KGB à ce qu’il se dit).

La fermeture de toutes les ONG, organisations indépendantes pouvant devenir des foyers associatifs de « résistance ».

La réforme institutionnelle qui permettrait à Poutine d’accéder encore à deux mandats de plus et d’être au Pouvoir jusqu’en 2036.

L’alliance contractuelle avec tous les pires régimes en connivence anti-occidentale.

-Le pré positionnement à la guerre par la pénétration d’influence dans les sociétés occidentales, par la corruption de dirigeants en Occident, la séduction d’acteurs de l’influence ; par l’ingérence dans les élections, par les fabriques de trolls, et l’influence sur les réseaux sociaux.

Dans ce portrait du régime de Poutine, et dans l’identification de son ancrage réaménagé dans l’histoire longue de la Russie qu’il reconduit et perpétue, Galia Ackerman nous établit les paramétrages d’arrière-fond dans lesquels s’insère l’invasion de l’Ukraine depuis une année, et nous donne indication et peut-être la mesure de ce qui peut être réellement attendu à l’avenir.

***

Avec ce que Galia Ackerman nous relate, et ce sur quoi elle nous éclaire, nous pouvons déduire par prolongement qu’une Tempête semble se lever. Qu’au contraire d’une temporisation, d’un « apaisement », la « Crise » a destination de se développer.

Pas uniquement au motif que « de structure » Poutine ne peut reculer.  Entée qu’est la légitimité discursive de son moment, sur la profondeur de la Matrice impériale fondatrice de la Russie.

Mais à l’observation de ce qui se joue en conflits de « mentalités » et se condense.

Un conflit qui peut déborder virtuellement l’invasion de l’Ukraine, qui est son amorce. Et où déjà se densifient des dynamiques convoquées.

Celles d’une ligne de fracture.

Fracture déjà en place dès le XXème siècle entre régimes de culture démocratique et régimes « totalitaires ». Elle se superposait avec l’antagonisme qui séparait les sociétés de Droit régulateur, et celles de « gangstérisme pratique ».

C’était là un des points de distinction insuffisamment mis en éclairage en ce qui concerna tant les modus operandi de l’Allemagne nazie, que ceux de l’Union soviétique bolchévisée sous la férule de Staline.

C’est une similaire ligne de fracture qui se redessine dans le temps présent.

Une ligne de fracture qui coure le monde, traverse les villes, les états, les continents.

Entre culture démocratique – pourvu que celle-ci ne confonde pas libertés « positives » de la responsabilité de bien faire quelque chose de bon, et libertés « négatives » de la licencieuse absence d’entraves. Comme en tirait les traits Isaïah Berlin -, et culture mafieuse aux développements inexorablement totalitaires lorsque l’« Esprit du crime » se pique d’immiscions dans le champ du politique. Par homologie dynamique, Cet « Esprit » s’entrelace aisément à des idéologies massifiantes, et s’en habille pour ne pas sortir nu. « Religieuses », « nationalistes », « socialistes ». Toutes à vocation expansionnistes et impérialistes.

En suivant cette ligne de fracture, nous apercevons des connivences de proximité mentales plus fortes que les idéologies d’affichage en cours d’agrégations de complicités et de maillage en réseaux. Russie, Iran, Chine, Corée du Nord, Venezuela. Afrique du Sud sollicitée. Voués à l’association : Hamas, Hezbollah, Fatah, FPLP. Rivaux parfois d’intérêts locaux, mais comparses assurément du même block de mentalités.

Il n’y a dans cette alliance aucun horizon d’un plus de justice soi-disant anti impérialiste ou anti capitalistique comme les nigauds aimeraient le croire. Mais a contrario, les prolégomènes d’une complicité pas seulement utilitariste mais affine de puissance barbare. Avec la force, la brutalité, la fraude, la duperie, comme moyens d’expression et de réalisation qui s’installe et est en marche. Un continuum dans lequel se nattent pratiques Kgbistes, mœurs trafiquantes, exultations terroristes.

Les démocraties somnolentes, et quelques fois somnambules, sauront-elles relever le défi ?

Gérard Rabinovitch