23e édition des Ateliers Républicains

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Rencontre avec S.E. Daniel Saada – Commentaire de Gérard Rabinovitch


Lundi 12 décembre 2022, les « Ateliers Républicains » d’ELNET ont reçu S.E. Daniel Saada, dans le cadre du Cycle thématique « Enjeux des démocraties contemporaines », sur le sujet : « Forces et faiblesse de la démocratie israélienne ».

S.E. Daniel Saada, est un diplomate chevronné, très expérimenté par trente années de multiples missions diplomatiques, ancien ambassadeur d’Israël, par intérim, en France, ancien ambassadeur itinérant dans plusieurs pays africains francophones, coordinateur diplomatique de la mission de sauvetage à Haïti, délégué permanent d’Israël auprès des organisations internationales environnementales et économiques siégeant en France.

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La rencontre avait d’abord pour objet – à l’écho des récentes élections générales en Israël (les 5èmes en 2 ans…) – de rappeler quelques-uns des fondements et paramétrages de la vie politique israélienne. En partant du fait que la création de l’État qui va, dans quelques mois, fêter son 75ème anniversaire, avait opté d’emblée, afin de tracer sa route, pour un régime de démocratie libérale.

Le choix d’un tel système s’imposant de plusieurs motifs.

  • Celui de la diversité des composantes du mouvement d’émancipation nationale qui ont constitué le sionisme dans la destinée historique des populations juives, au tournant de ce qu’il est convenu d’appeler la modernité.
  • Celui de la nécessité après 2000 années d’exil, tout à la fois, de re visitations patrimoniales, d’adoptions de ce que d’autres nations avaient acquises par expérimentations au cours de ces deux millénaires dans leurs multiples facettes, et d’inventions spécifiques.
  • Celui enfin d’une inclinaison propre, d’une prévalence, entre les linéaments éthiques et cognitifs des modes fondamentaux de pensée juive avec la forme démocratique de l’État, telle que les nations occidentales l’ont fait laborieusement émerger.

S.E. Daniel Saada, dans cette direction, a dans le premier temps de son intervention, souligné de façon très claire, les deux principes originels avec lesquels s’est établi la vie politique publique en Israël.

  • Un système électoral, qui a opté originellement pour ce qui apparaissait comme le plus démocratique envisageable : une circonscription unique étendue à tout le territoire du pays, et une représentation proportionnelle maximale au plus fort reste. Initialement de 1 %.
  • Une absence de Constitution inscrite dans « dans le marbre ». S’inspirant du modèle britannique. Mais à la place, dès le commencement, l’instauration d’un système donnant à chaque assemblée successivement élue la possibilité de voter des Lois fondamentales, et de fait ayant potentialité, sinon vocation, d’assemblée constituante.

Depuis 1951, une quinzaine de Lois fondamentales ont ainsi été adoptées, énonçant des principes généraux, exigeant, pour leur éventuelle modification, une majorité des deux tiers.

Ces Lois fondamentales formant un socle constitutionnel, sans être pour autant une Constitution. Un système particulièrement dynamique qui permet l’adaptation aux évolutions de la société.

Représentation proportionnelle maximale et Assemblée pouvant voter à chaque nouvel exercice des Lois constituantes, allant de paires, peuvent, à raison, paraitre ce qui systémiquement se rapproche le plus de l’idéal popperien de la « société ouverte », tel qu’il l’établit dans son ouvrage de référence « La société ouverte et ses ennemis ».

Néanmoins, le système mis en place, bénéficiait du faible nombre d’électeurs votant au commencement de l’existence de l’État (Environ 800 000, en 1951), d’un bipartisme régulateur selon l’axe séparateur « gauche-droite », ainsi que d’un liant hégémonique entre les grands secteurs économiques en développement et l’État social, dans lequel les syndicats pouvaient être cogestionnaires de grands segments industriels. Leur nouage semblait stabilisant.

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S.E. Daniel Saada souligne encore qu’en chemin de son développement, la démocratie israélienne a tenu le choc et surmonté deux obstacles et écueils majeurs qui la menaçaient, qui auraient pu la faire chanceler, et qui témoignent de la force de son ancrage.

Sous le coup – depuis sa création – d’une instabilité sécuritaire dû aux guerres à répétition, d’assauts terroristes engagés à flux tendus, et de menaces d’éradication, autant par ceux-là, que reprises à son compte par un autre État – l’Iran – et l’ensemble de ses « proxis » régionaux, aucune adoption de Lois d’exception n’a été votée dans cette situation. Aucune entame à l’Etat de droit n’a été faite.

Par ailleurs, le défi d’une très forte minorité de population arabe hostile à l’État créé, ennemie et néanmoins citoyenne, n’a pas engagé l’État à l’établissement de mesures répressives et lois discriminatoires, mais au contraire à faciliter leur transformation et accueil en « compatriotes ». En témoignent les membres de cette population à l’Assemblée nationale, à l’université, dans la diplomatie, à la Cour suprême, etc.

Défis relevés avec opiniâtreté, et rigueur axiale.

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S.E. Daniel Saada observe que la démocratie israélienne est, par contre, aujourd’hui fragilisée par – déjà – au plus visible : les évolutions sociétales, et les mutations économiques qui ont fracturée le liant collectif.

D’abord l’augmentation expansive de la population qui s’inscrit dans la raison même de la légitimité du sionisme, mais qui s’alimente de l’arrivée successive de populations hétérogènes, dans leurs expériences politiques, les unes aux autres. Ce qui n’a pas été sans conséquence sur les glissements de représentations électorales à l’assemblée.

Ensuite, l’effondrement d’un bipartisme hégémonique, et la fragmentation partidaire des représentations politiques (à partir des années 80) qui impose de former des coalitions de plus en plus équivoques et clientélistes, dont les élections à répétition sont une des manifestations symptomatiques.

La tentative de résoudre cette difficulté par l’élection du 1er ministre au suffrage direct n’a pas donné les résultats espérés.

Enfin, par une transformation radicale des modes économiques de développement. Dans les années 60, Israël était une des sociétés les plus égalitaires du monde, en deux décennies, si elle a connu un essor économique, technologique, scientifique, sans beaucoup d’équivalents dans le monde, elle a simultanément dégringolé tout en bas de la liste, juste avant la Californie.

Ce que S.E. Daniel Saada, nomme la « californisation » de la société israélienne.  Ce qu’il résume par une image : « Le personnage idéal autrefois de la société israélienne était le pionner du Kibboutz, aujourd’hui c’est le « startupiste »…

Si, du point de vue institutionnel, la démocratie israélienne tient donc bon, les bouleversements sociétaux que Daniel Saada évoque, ne sont pas, eux, sans conséquences dans leurs traductions électorales.

C’est donc dans cette dimension de la vie collective israélienne qu’il faut bâtir des réparations et trouver des remèdes, et pas dans les institutions.

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Un système démocratique solide, une société très fracturée, tel est le diagnostic de notre invité.

Pour le débat, nous pourrions encore évoquer, dans les difficultés à prendre en compte : l’effet malencontreux d’une circonscription unique du pays entier.

Les élus, dans ces conditions se trouvent peut-être moins représentants de leurs électeurs auxquels ils auraient priorité à rendre des comptes, que représentants vassaux du parti qui les a adoubés et placés en position éligible. Dans cette condition, l’aptitude à se hisser à un rang éligible peut prendre le pas sur celle d’une légitimation par le service d’élu d’une population.

Nous pourrions, comme il a été dit lors de la discussion qui a suivi l’intervention très éclairante de l’invité du jour, faire mention de dispositifs régulateurs juridiques qui veilleraient à borner les tendances très inégalitaires d’une économie de marché débordante. Ainsi d’une mise en place de quelque chose qui ressemblerait à ce qui en France relève de l’Autorité de la Concurrence, et de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique.

Peut-être pourrions-nous ajouter aux opérateurs identifiés de la fracturation avec la conférence de notre invité, l’opposition voire les répulsions réciproques d’une bipolarité culturelle entre la constellation du monde « haredi » et la galaxie des « hilonim ».

C’est là une source de dissentions qui peut encore amplifier les fractures socio politiques, les aspirant, les instrumentalisant, et les re-sémantisant sur un domaine porteur alors de ruptures qui dépasseraient une phénoménologie des simples « tangages » de l’exercice démocratique. Et, par ce fait, véhicule de forces destructrices moins jugulables.

Peut se faire ressentir, ici, l’absence de ce qu’avait su identifier dans les années de naissance du sionisme, un homme tel Ahad Ha’am, son mouvement les Bneï-Moshé, et ses camarades de HaShiloah, Haïm Bialik, et Yosef Klausner.

Resté sur la touche des référents fondateurs du sionisme, et dont la revisitation mériterait d’être faite aujourd’hui. Une dimension « spirituelle » au projet sioniste, négligée dans les urgences politiques de la réalisation de son projet. Mais qui – maintenant – pourrait se révéler d’un grand recours de réflexion dans la reconstruction d’un liant éthico pratique qui maintiendrait ensemble les différents courants de la démocratie ouverte israélienne. Ce pourra faire l’objet  d’un Atelier sur ce sujet ultérieurement.

Gérard Rabinovitch