Traduction de l’article de Shany Mor paru sur le site unherd.com le 15 mai 2023
Aujourd’hui, l’Assemblée générale des Nations Unies tiendra un événement spécial pour la Journée de la Nakba, comprenant une « cérémonie commémorative spéciale » dans la salle de l’Assemblée générale. Inventé par l’intellectuel syrien Constantine Zureiq, nakba – en arabe « désastre » – est le terme utilisé pour décrire les événements de 1948, qui ont conduit à la création de l’État d’Israël, et est aujourd’hui synonyme de perceptions de la cruauté israélienne et de la fracture de la société palestinienne.
Cependant, la nakba que Zureiq décrit dans son livre de 1948 intitulé Le Sens du Désastre, correspondait à l’échec des Arabes à vaincre les Juifs, loin de la version erronée de l’histoire résumée sur le site de l’ONU. « Sept États arabes déclarent la guerre au sionisme, se retrouvent impuissants face à lui, puis font demi-tour », écrit Zureiq. En ce qui concerne les Arabes palestiniens déplacés, il était davantage préoccupé par le fait qu’ils pourraient être « contraints de retourner dans leurs foyers, là où ils vivraient sous l’ombre sioniste ». Il déplore que « la dispersion soit devenue le sort des Arabes plutôt que celui des Juifs ».
Ce n’est plus ainsi que le terme nakba est utilisé aujourd’hui. La défaite arabe a été transformée en une tragédie palestinienne, le conflit en un crime historique à sens unique, et la guerre périlleuse des Juifs pour leur survie en une entreprise colonialiste de suprématie raciale.
Le défunt historien allemand Wolfgang Schivelbusch a expliqué comment une défaite traumatique peut être réimaginée comme une grande victoire morale. Le cas canonique était la Confédération américaine, un acte de trahison contre les États-Unis créé pour la préservation et la propagation de l’esclavage des Afro-Américains, qui s’est transmué en « cause perdue » de l’héritage sudiste contre un « Nord capitaliste rapace et exploiteur ».
Dans les décennies qui ont suivi 1948, l’évolution politique du terme nakba est l’histoire de la façon dont une défaite a été remodelée en une injustice. Le point culminant de ce processus a été atteint 50 ans plus tard en 1998, lorsque l’Autorité palestinienne nouvellement formée a fait du 15 mai, date la plus associée à la nakba, un jour national officiel de commémoration, rapidement adopté par les partisans pro-palestiniens.
La transmutation de l’effort avorté des Arabes visant à éliminer l’État juif en leur propre tragédie cosmique, ainsi que l’adoption de ce contre-récit par les intellectuels et les prétendus humanitaires occidentaux, est remarquable en soi. Mais il est particulièrement ironique que l’ONU, et plus particulièrement l’Assemblée générale, joue le jeu pour plusieurs raisons.
La guerre des Arabes contre Israël était une guerre contre une résolution historique de l’Assemblée générale de l’ONU (181) appelant à la partition pacifique de la Palestine britannique en un État arabe et un État juif. Pour l’Assemblée générale elle-même, faire de cette défaite une « catastrophe » est pour le moins curieux. C’était également la première grande violation de l’article 2 de la Charte des Nations unies, qui interdit « l’emploi de la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État ». Cinq des sept États arabes auxquels Zureiq fait référence étaient déjà membres de l’ONU à l’époque.
En violant la Charte des Nations unies et en essayant d’empêcher la mise en œuvre de la résolution 181, la coalition arabe en 1948 cherchait également à bloquer le premier grand effort de l’ONU en faveur de la paix dans un conflit international. De plus, en luttant contre la partition, les armées arabes résistaient également violemment au premier effort notable de l’ONU en faveur de la décolonisation. Après tout, la résolution de partition offrait la perspective de créer des États-nations souverains autonomes sur des terres abandonnées par une puissance impériale européenne.
La commémoration de l’ONU aujourd’hui ne concerne qu’un aspect de cette guerre, le déplacement massif qu’elle a provoqué, mais que d’un seul côté. Et ici aussi, une autre ironie est enterrée.
Le déplacement en temps de guerre n’était pas inhabituel alors, comme aujourd’hui d’ailleurs. À la fin des années 1940, des dizaines de millions de personnes ont été déplacées par la guerre, y compris les Allemands vaincus et des centaines de milliers de survivants juifs de l’Holocauste en Europe centrale, mais aussi les Hindous et les Musulmans à la suite de la partition de l’Inde. Aucun d’entre eux, à l’exception des Palestiniens arabes, n’avait une agence entière de l’ONU créée pour eux, dédiée à maintenir leur statut de réfugié plutôt que de les réhabiliter. C’est précisément ce que fait l’UNRWA[1].
La décision de marquer le 15 mai comme Jour de la Nakba montre à quel point la mythologie de la défaite arabe en 1948 a évolué indépendamment de l’attention obsessionnelle portée à la cause palestinienne à l’ONU. Après tout, l’ONU consacre déjà une autre journée chaque année pour commémorer la lutte palestinienne. En 1977, l’Assemblée générale a proclamé le 29 novembre, date de la résolution originale de partition en 1947, comme Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien, et cela reste l’un des événements annuels les plus remarquables de l’organisation.
Les deux dates choisies en disent long sur la tragédie de la cause palestinienne. Accepter la partition aurait entraîné la création du tout premier État arabe en Palestine il y a 75 ans. Le rejet arabe de la partition et les guerres subséquentes contre Israël et éventuellement contre toute la région ont été, pour les Palestiniens, la véritable catastrophe.
[1] L’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA – en anglais : United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East) est un programme de l’Organisation des Nations unies pour l’aide aux réfugiés palestiniens dans la Bande de Gaza, en Cisjordanie, en Jordanie, au Liban et en Syrie, datant de décembre 1949.