La question de l’antisémitisme – terme inventé par l’éditorialiste polémiste allemand Wilhelm Marr, en 1879, dans un siècle qui a connu l’essor de nombreuses idéologies scientistes, dont le racialisme – trouve dans nos sociétés modernes une résonance qui souffre d’un paradoxe : officiellement combattu par tous les gouvernements européens ainsi que pourfendu par l’ensemble des formations politiques, en ce qu’il renvoie « aux heures les plus sombres de notre Histoire » et à la douloureuse histoire de la Shoah, les actes antijuifs ne cessent néanmoins de croître sous les effets conjugués d’un rejet des valeurs occidentales, d’un antisionisme radical et d’un islamisme éruptif et conquérant dont la persécution théologico-politique des Juifs (et des Chrétiens) constitue une part essentielle de sa matrice politico-culturelle.
Face à ce paradoxe, il semble que « l’antisémitisme », en manière reparamétrée de l’époque moderne d’une « haine des Juifs » reconduite et récurrente, ne qualifie plus avec exactitude la réalité de la persécution des Juifs au XXIème siècle. Si cette dernière recycle une grande partie des mythes ancestraux de l’antijudaïsme, rediffusés massivement au Moyen Âge, eux-mêmes reformulés par l’antisémitisme du XIXe et du XXe siècle, elle semble néanmoins acter d’une rupture essentielle avec les théories racistes, dont l’antisémitisme est une émanation.
Jadis stigmatisés, discriminés, persécutés pour des accusations religieuses, culturelles, nationalistes et pseudo-raciales, les Juifs sont désormais stigmatisés, poursuivis, livrés à la vindicte comme les prétendus représentants d’une idéologie que les islamistes, les « décoloniaux » et les diverses obédiences « gauchistes » accusent d’être elle-même suprémaciste et raciste : le sionisme.
Le discours de la haine contre les Juifs fait aujourd’hui l’objet d’un renversement rhétorique : nazifiés et marqués de l’infamie de « génocidaires » (comme ils étaient jadis le peuple déicide, les empoisonneurs de puits ou les propagateurs de la peste…), les Juifs sont désormais persécutés au nom d’un antiracisme radical qui se pare d’une vertu prétendue « décoloniale » et droit-de-l’hommiste, sous l’étendard palestinien de la haine d’Israël.
Ainsi, si l’extrême-gauche reste aujourd’hui, à travers le monde, le principal pourvoyeur politique d’un « islamo-palestinisme », vivier de la haine antijuive en Europe, elle affirme condamner l’antisémitisme en tant que facette d’un racisme général, accolé à la seule extrême-droite, qu’elle aurait ainsi toujours combattu au nom de l’universalité du genre humain et la lutte contre toutes les discriminations.
Cette extrême-gauche contemporaine, devenue soutien politique privilégié par les islamistes, et prééminent support de la « cause » palestinienne, pose à cet effet un syllogisme, en usage d’entourloupe : « l’antisémitisme est un racisme, nous luttons contre tous les racismes, donc contre l’antisémitisme. En revanche, le sionisme est un suprémacisme, lutter contre le sionisme, c’est donc lutter contre le racisme, c’est lutter contre l’antisémitisme ».
Cet antiracisme qu’est la « lutte contre l’antisémitisme », né de la mémoire des crimes de la Shoah, et rejetant avec motif la conception scientiste d’un biologisme racial ; semble ainsi devenu insuffisant sinon obsolète, en tout cas ratant sa cible, pour lutter contre le phénomène renouvelé de la haine des Juifs au XXIème siècle.
Ce nouveau phénomène, connu depuis au moins 25 ans et concomitant à l’installation durable de populations issues de l’immigration arabo-musulmane en France, s’est particulièrement tonifié depuis les jours qui ont suivi le 7 octobre lorsque s’est répandue une inversion de la charge « génocidaire » redirigée contre ceux qui en avaient été victimes. Le 7 octobre a ainsi désinhibé la violence à leur égard au nom d’un palestinisme, vêtu des habits d’un djihadisme d’atmosphère (Gilles Kepel).
Cet « islamo-palestinisme » (Pierre-André Taguieff) qui abhorre l’État d’Israël et les Juifs, se caractérise par ailleurs par un rejet absolu de tous les fondements traditionnels de notre civilisation : le christianisme, le patriotisme français, l’État mais aussi l’universalisme républicain, la liberté de conscience, l’égalité des sexes, la laïcité, la liberté d’expression, l’enseignement libre et éclairé, tous stipendiés pour être, à l’instar du sionisme, les ressorts d’une civilisation occidentale « ennemie » qui dominerait les populations du Sud global. Les djihadistes ayant tué des Juifs en France au cours de ces vingt dernières années (Mohammed Merah à Toulouse, Amedy Coulibaly à l’Hypercasher) et aussi des non-Juifs (chrétiens, libres penseurs, autres musulmans), l’ont tous fait au nom de cette idéologie mortifère qui vise globalement les Juifs en masse, tout en s’attaquant aux marqueurs de cette même civilisation judéo-chrétienne.
En évoquant sans cesse les affres de l’antisémitisme, forme particulière du racisme, les pouvoirs publics se heurtent donc à leur auto-incapacité, leur handicap sémantique, à comprendre et à lutter contre les phénomènes en présence, tant dans le diagnostic que dans les solutions qu’ils en tirent.
Surreprésentée parmi les populations issues de l’immigration de prédominance musulmane du prétendu Sud global, ayant un niveau de religiosité élevé, ou affectée, particulièrement sensibles à « la cause palestinienne » (dont l’objectif radical est l’effacement d’Israël et l’élimination par massacres et expulsions des Juifs de « Palestine », de la mer au Jourdain), la haine des Juifs moderne se nourrit de phénomènes imbriqués et profonds dont il convient de faire la genèse, de l’antijudaïsme islamique à la glorification du terrorisme palestinien, adoubé comme un « acte de résistance », aussi bien dans l’imaginaire arabo-musulman que dans les luttes politiques de l’extrême-gauche.
Table des matières
I. L’antisémitisme : une idéologie du nationalisme racial née en Europe
I.1.Les mythes fondateurs de l’antijudaïsme chrétien.
I.1.a Le peuple déicide : la trahison.
I.1.b L’argent.
I.1.c Le complot.
I.3 Des relents toujours présents dans notre société mais minoritaires.
I.3.a Le rejet catégorique de l’antisémitisme comme consensus social depuis la Seconde Guerre mondiale.
II.1 Les spécificités de l’antijudaïsme islamique.
II.1.a Une culture de la soumission et du mépris via le statut de « dhimmi ».
II.1.b La convergence entre le nationalisme arabe et l’Allemagne nazie au XXème siècle.
II.2 Le palestinisme comme nouvelle synthèse antijuive née de l’islamisme, du nazisme et du marxisme.
II.2.a L’islamo-palestinisme : matrice de la haine des Juifs.
II.2.b Le rôle de l’extrême-gauche dans la légitimation politique du phénomène antijuif au XXIe siècle.
I. L’antisémitisme : une idéologie du nationalisme racial née en Europe
1. Les mythes fondateurs de l’antijudaïsme chrétien
La persécutions des Juifs d’Europe s’est d’abord structurée, en Europe, autour de l’antijudaïsme chrétien, depuis Justinien 1er, sous le règne duquel fut institué le cadre juridique Servitus Judaeorum introduit dans le Code justinien (Corpus juris civilis) en 529. Il servit de référent au statut des Juifs pour tous les États européens christianisés à venir. Il prit plus tard une dimension meurtrière de masse à partir des Premières Croisades lancées par le Pape Urbain II en 1096[1].
a. Le peuple déicide victime de siècles de persécutions intstitutionnelles
Stigmatisés comme peuple « déicide » depuis le IIème siècle pour la chrétienté, les Juifs sont accablés de tous les maux envisageables, produits de fantasmes archaïques, tous repris de pamphlets préchrétiens, comme les avait déjà dénoncés en leur temps Flavius Joseph (Gérard Rabinovitch). Ils sont progressivement, depuis le IXème siècle, mis à l’écart d’une volonté renouvelée et réaffirmée des autorités ecclésiastiques, puis de multiples façons institutionnelles du reste des populations (ports obligatoires de signes distinctifs (Concile de Latran de 1215, repris par les autorité politiques de nombreux pays, par exemple St Louis en 1269), isolements dans des lieux séparés sordides (« carrière », « quartiers », « ghettos »)).
Ils sont des cibles récurrentes de gravures, estampes, tableaux, qui répètent à satiété de mêmes scènes horrifiantes alimentant des peurs archaïques, des fantasmagories populaires, venant imprégner les folklores européens en forme de légendes, fables, contes, plus effrayants les uns les autres (Canterbury, Perrault, Grimm). Frappés par des impôts exorbitants de droits de vivre, de droits de résidences ; expulsés, brinquebalés d’un royaume d’Europe à un autre au gré des intérêts et humeurs des autorités royales ; massacrés de façon récurrente de générations en générations d’un bout à l’autre de l’Europe ; forcés à quitter l’Espagne ou à se convertir au christianisme, puis suspectés de judaïser en cachette et persécutés pendant l’Inquisition espagnole ; objets de massacres de masse au XVIIIème siècle à l’Est de l’Europe, puis de pogroms au XIXème siècle à l’instigation des autorités locales, les Juifs, d’un bout à l’autre de l’Europe, deviennent une cible prépositionnée en permanence, de générations en générations, pour les bouffées meurtrières des populations sous n’importe quel motif anxiogène, et servent d’exutoire aux frayeurs archaïques et fantasmes collectifs persécutifs.
Lorsqu’il arriva que des Papes tentèrent quelques fois de dénoncer des inepties accusatoires contre les Juifs, ils n’arrivaient pas à se faire entendre des populations de fidèles.
b. L’argent
Les Juifs, tout à la fois groupe ethnique, peuple et communauté, errants en ordre dispersé en Europe, pratiquaient initialement toutes formes de professions : artisans, marchants, agriculteurs, navigateurs, viticulteurs, médecins, musiciens, savants, financiers, philosophes, diplomates, chefs militaires et conseillers des monarques. Cette diversité fut de plus en plus restreinte. L’église catholique, entretenant une méfiance phobique avec le commerce d’argent assimilé à une manière de diablerie mais pour autant nécessaire aux échanges économiques, attribua à des Juifs une autorisation d’exercer des métiers stipendiés par elle, liés à l’argent. Le prêt bancaire à taux d’usure en fit partie. Faisant ainsi coup double.
L’inévitabilité de ce commerce était assurée, et en même temps augmentait les occasions de récrimination et de rejet contre les Juifs dans leur ensemble, supposés manipuler une force démoniaque. Créanciers privilégiés des Royaumes européens, les Juifs étaient expulsés d’Europe lorsque les emprunteurs n’étaient pas en mesure d’honorer leurs dettes[2]. À partir de cette activité qui leur était assignée, l’association des Juifs et de l’argent constitue depuis le Moyen-Âge une vignette en marqueur tenace qui demeure encore aujourd’hui dans l’imaginaire chrétien, mais aussi arabo-musulman des banlieues, qui perçoit la supposée « réussite » de certains Juifs d’Europe comme la marque d’un attrait naturel pour l’argent, le commerce et la domination financière[3].
c. Le complot
Globalisés, uniformisés sous la figure de l’usurier, les Juifs sont également accusés de comploter contre les sociétés européennes et chrétiennes. À l’instar des lépreux, les Juifs sont suspectés de propager des maladies. Au 14ème siècle, d’empoisonner les puits pour propager volontairement l’épidémie de peste noire, qui a décimé la moitié de l’Europe.
Accusés de « crimes rituels » d’enfants chrétiens pour confectionner le pain azyme, les Juifs sont assimilés à une figure maléfique[4] anthropophage. Lorsqu’ils se rapprochent des cours européennes d’Europe de l’Est à partir du XIIIe siècle, toujours soumis à un régime spécifique dans une Europe qui se définit essentiellement par sa chrétienté, les Juifs sont accusés par les populations locales ou des autorités, cherchant à détourner l’attention de leurs propres manquements, de comploter contre les intérêts du peuple[5]. Toute une fantasmagorie archaïque et projective est à l’œuvre. C’est – adossés à ces projections maintenues et peu remaniées – que les mouvements populistes, notamment au XIXe siècle, vont tenir les Juifs responsables des maux économiques, sociaux et culturels des populations européennes, les accusant de manipuler les puissants à leur profit, dont la caricature allégorique de la pieuvre est connue. Encore aujourd’hui, le complotisme reste un véhicule tenace de cet antijudaïsme.
2.Naissance de l’antisémitisme : une idéologie d’extrême-droite, raciste, nationaliste, anti-universaliste, antirépublicaine, réactionnaire à l’émancipation des Juifs au XIXème siècle
La Révolution française émancipe les Juifs. D’abord reconnus sujets du Roi par l’Édit de Tolérance de Louis XVI en 1787, les Juifs se voient accorder la pleine citoyenneté en 1791 par un vote de l’Assemblée nationale, appliqué en décret royal. L’Abbé Grégoire, dans son Essai sur la régénération physique, morale et politique des Juifs, publié en 1788, insiste sur la nécessité de mettre fin à un millénaire de persécution des Juifs en France, arguant de l’absurdité d’une discrimination fondée sur des préjugés, qui serait par nature contraire à l’utilité sociale[6].
Durant la Révolution, la France devient le premier pays d’Europe où la nationalité n’est plus déterminée par un critère religieux, mais par l’adhésion à une citoyenneté commune fondée sur des principes, un idéal et une volonté de partager un destin national (Renan, Qu’est-ce qu’une Nation ?). En contrepartie, les Juifs ne sont plus considérés comme une entité collective distincte, mais en tant que collection d’individus reconnus comme tels par l’État, qui s’adresse à eux de manière indifférenciée en qualité de citoyens français. D’où l’aphorisme en manière de sentence du Révolutionnaire Clermont-Tonnerre : « Tout aux Juifs en tant qu’individus, rien en tant que nation ».
S’ensuit un « siècle providentiel » institutionnel d’émancipation progressive pour les Juifs dans une grande partie de l’Europe. Dans toutes les sociétés en voie de démocratisation, monarchies parlementaires ou républiques, les Juifs s’intègrent aux nations européennes, suivant des processus divers d’assimilation : sortie des ghettos ; adoption des usages vestimentaires et codes sociaux des sociétés européennes ; renoncements à certaines pratiques religieuses ; alignements des pratiques cultuelles sur les manières dominantes (création du Consistoire en 1807 par Napoléon Ier après la réunion du Grand Sanhédrin) ; abandon des prénoms allogènes pour les prénoms autochtones ; créations de noms de famille génériques et transmissibles, accession à la fonction publique, à la vie politique, à la vie culturelle, artistique et académique ; naissance d’un fort patriotisme républicain au sein des communautés juives françaises ; expansion de l’exogamie… (« Que les Juifs cherchent leur Jérusalem en France », dixit Napoléon).
En réaction à cette émancipation des Juifs qui s’intègrent dans l’ensemble des sphères et activités sociales, s’assimilant à cette « communauté de citoyens » (Dominique Schnapper) que tentent de bâtir les Républicains, les réactionnaires européens – qui luttent depuis 1789 contre les effets politiques et moraux de la Révolution française en Europe (notamment la sécularisation), farouchement réfractaires au projet anthropologique des Lumières – d’une part, et les théoriciens et agitateurs révolutionnaires (Proudhon, Toussenel, Leroux, Guérin, Blanqui, en France ; Marx, Marr, Dühring, Frisch, en Allemagne) d’autre part, – investissent ladite « question juive ».
Pour les premiers, favorables au retour à l’ordre ancien des monarchies de droit divin, fondé sur la hiérarchie sociale, l’autorité de l’Église, et l’enracinement dans les particularismes traditionnels d’une France paysanne, aristocratique et chrétienne, le mouvement réactionnaire rejette l’universalisme fustigé comme un mouvement de dilution de l’Homme réel (Maurras) dans une abstraction antinationale.
Érigés en expression manifeste de l’universalisme, du progrès démocratique et de la République émancipatrice, les Juifs font l’objet de violentes campagnes de dénigrement qui reconduisent les poncifs traditionnels de l’antijudaïsme chrétien, revitalisés à l’aune des atermoiements du XIXe siècle en Europe.
En France, le nationalisme intégral de Charles Maurras les accuse de former un « État dans l’État » qui comploterait contre les intérêts vitaux de la nation. Le Juif est à cette aune un apatride dissimulé en français, qu’il faut savoir identifier en lui attribuant des caractéristiques raciales, ethniques, et physiques. Les modalités théoriques de certaines sciences du XIXe siècle (biologies, agronomies, sociologies organicistes) concomitantes à l’essor de la classification des espèces, vont servir d’assise scientiste aux idéologies raciales dont l’antisémitisme est une des émanations.
Le Juif, comme récurrent objet de haine des représentations collectives en Occident, est remasterisé dans une sémantique raciste qui le réassigne en « corps étranger ». Il est stipendié d’être le fer de lance de ce système « antinational » que serait la République, comme il était auparavant celui de l’antéchrist.
Véhicule symbolique d’un universalisme désincarné, le Juif est sommé soit de rentrer chez lui en « Palestine », soit accusé de « souiller l’hygiène racial germanique », à la fois agent du capitalisme mondialisé qui agit contre les intérêts du prolétariat, et du bolchévisme internationaliste cherchant à saper les fondements naturels de la Nation.
Drumont, dans La France juive, accuse tour à tour le Juif capitaliste, antichrétien, internationaliste, apatride et a-national, de comploter contre la France, dans une synthèse reprenant tous les poncifs de l’antijudaïsme occidental (« la main moelleuse et fondante de l’hypocrite et du traitre »). L’antisémitisme est ainsi un portail de passage européen entre l’extrême gauche et l’extrême droite tout au long du XIXe et qui trouvera son hubris de destruction exterminatrice avec le « national-socialisme », en association bien nommée, durant la Seconde Guerre mondiale.
3.Des relents toujours présents dans notre société mais minoritaires
a. Le rejet catégorique de l’antisémitisme comme consensus social depuis la Seconde Guerre mondiale
À la découverte de l’horreur de la Shoah, les sociétés européennes ont progressivement inscrit dans leurs normes juridiques fondamentales l’égalité de tous les citoyens sans distinction (article 1er de la Constitution de 1958, Préambule de la Constitution de 1946) (1), ainsi que la criminalisation des théories révisionnistes, racistes et incitant à la haine (2). Parallèlement, le « devoir de mémoire » (Primo Lévi) ainsi que le travail de reconnaissance et de réparation ont connu un fort développement dans nos sociétés, tant au niveau éducatif que de la politique mémorielle.
L’antisémitisme est devenu une inconvenance, une tare, un informulable, dans des sociétés européennes ayant fait de la dénazification un impératif affiché de leurs politiques publiques dans les années qui suivirent la Seconde guerre mondiale.
Si le poujadisme puis le lepénisme ont acté d’une réminiscence politique du lexique antisémite, un certain consensus social a porté à la mise à l’écart de tous les tenants d’idées considérées alors comme « nauséeuses » : du pétainisme au nazisme en passant par le fascisme et le nationalisme racial, ces pensées constituant des infamies disqualifiantes pour quiconque en serait le légataire.
Notre droit s’est à cet effet largement doté d’instruments chargés de prémunir la société des propos explicitement antisémites, racistes ou laudatifs à l’égard des régimes fascistes. Dès 1972, la Loi Pleven condamne toutes les formes de racisme, discrimination, haine ou violence envers une personne ou un groupe de personnes en raison de son origine, « race » ou religion supposé ou réel. La loi Gayssot renforce quant à elle la lutte contre l’antisémitisme du XXe siècle dans notre droit positif, en condamnant les thèses négationnistes. Parallèlement, le « devoir de mémoire » s’est imposé très formellement comme une nécessité, à l’école, dans nos cérémonies publiques, par l’édification de lieux de mémoire, censés tirer les leçons du passé.
La reconnaissance par le Président Chirac de la part de responsabilité de la France et de l’administration vichyssoise dans la politique antisémite et d’extermination de la Seconde Guerre mondiale, vient entériner une longue reconstruction de notre contrat social qui a fait de l’antisémitisme un repoussoir, intégrant le mantra du « plus jamais ça » comme horizon indispensable.
Alors que l’antisémitisme s’était rerétabli en paramètre politique d’État avec l’essor des totalitarismes au XXème siècle, nos sociétés européennes semblent aujourd’hui assez préservées d’un retour à une discrimination institutionnalisée et systémique des États, fondée sur des caractéristiques ethniques ou religieuses visant à mettre les Juifs à l’écart de la société, tandis que la Shoah constitue l’étalon référentiel du crime politique absolu d’une Europe en renaissance morale depuis 1945.
L’extrême-droite européenne institutionnelle a elle-même apparemment remisé de ses filets argumentaires son antisémitisme, prenant toutes les précautions discursives, à l’instar de l’Église qui a invalidé, dans son aggiornamento dit de « Vatican II », près de deux millénaires d’antijudaïsme chrétien.
b. Persistance d’un antisémitisme dit de « préjugés » dans les sociétés européennes, qui trouve un écho plus résonnant au sein des populations arabo-musulmanes de banlieue selon leur niveau de religiosité
Les stéréotypes qui ont longtemps ceint le mythe juif trouvent une persistance dans nos sociétés modernes, malgré l’effort entrepris par les pouvoirs publics pour les combattre depuis 1945.
S’ils restent présents en sous texte chez bien des militants, ils semblent ne plus constituer, dans les partis d’extrême-droite européens, une matrice centrale de leur engagement politique. Ces partis tentent au contraire de se normaliser dans l’espace politique par la parjure effective ou jouée de leur antisémitisme traditionnel, ce qui fera notamment dire à Serge Klarsfeld que ce renoncement à l’antisémitisme, de la part de l’extrême-droite même[7], constitue bien une réussite de toutes les politiques menées à cet effet depuis 80 ans.
Les clichés du Juif capitaliste, avide d’argent et sur-représenté dans les sphères de pouvoir, constituent néanmoins un matériel mythique assez mobilisateur dans nos sociétés, en proie à une revitalisation des stéréotypes antijuifs qui ont traversé les époques depuis le Moyen-Âge, et qu’il est difficile de déconstruire mentalement dans leur intégralité. Un antisémitisme dit de préjugés sert ainsi de socle à un antisémitisme de violence, sans toujours y trouver son relais inéluctable de passage à l’acte.
Il convient toutefois de préciser que la persistance de cet antisémitisme dit de préjugés trouve désormais un écho particulier auprès des populations issues des banlieues, qui se sont peu à peu approprié les mythes de l’antisémitisme classique.
Parmi les préjugés présents dans l’imaginaire arabo-musulman des banlieues, celui du mythe juif incarnant le pouvoir capitaliste et médiatique est particulièrement saillant.
Selon une enquête de la Fondapol menée en 2022, plus de la moitié des musulmans interrogés en France adhèrent à des stéréotypes selon lesquels les Juifs ont une mainmise sur les médias (54%) ou sur l’économie et les finances (51%). 67% d’entre eux estiment que les Juifs sont trop présents dans les médias, contre 33% dans la population générale.
Parmi les musulmans se rendant à la mosquée tous les jours, ils sont 61% à estimer que les Juifs dominent outrageusement les médias et le monde de la finance, contre 40% parmi les non-pratiquants.
L’assassinat d’Ilan Halimi en 2006, présumé riche parce que juif, est un crime que l’on peut ainsi imputer à cet antisémitisme classique en ce qu’il mobilise les stéréotypes issus de l’antijudaïsme chrétien, réappropriés par des populations issues des banlieues françaises qui portent le Juif en figure de rejet pour des raisons à la fois théologiques, culturelles et géopolitiques.
À cet effet, Israël et le vocable « sioniste » ont remplacé le « Juif » dans l’agencement d’un complot mondial, l’État hébreu accusé d’être la « métropole d’un Empire omniprésent et insaisissable » (Philippe de Saint-Robert) à l’origine des maux du monde dont il tirerait profit.
Dans Les Territoires perdus de la République, Georges Bensoussan et un collectif de professeurs ont déjà établi, en 2002, un diagnostic inquiétant de l’état de la haine antijuive dans les banlieues des grandes villes françaises, où les populations issues de l’immigration africaine et arabo-musulmanes sont sur-représentées.
Dans cet ouvrage, certains professeurs décrivent leurs difficultés à enseigner la Shoah, faisant face à des contestations ouvertes ou des attitudes hostiles : en plus de la réappropriation de certains préjugés antisémites, les élèves accusent les Juifs de bénéficier de ce qui s’apparenterait à une « rente mémorielle et victimaire », leur conférant un statut privilégié dans la République face auquel ils se sentiraient marginalisés – leur propre histoire ne serait quant à elle pas assez enseignée, tandis que l’omniprésence de la mémoire de la Shoah légitimerait, selon certains d’entre eux, l’établissement de l’État d’Israël, qu’une majorité porterait en détestation.
D’où certaines tentatives, trouvant un certain écho dans les banlieues françaises, de s’approprier le discours négationniste, afin d’euphémiser le caractère spécifique de la Shoah ou du moins le nier, dans un élan de concurrence victimaire sordide, notamment à travers l’attrait pour les théories du binôme Soral – Dieudonné qui constitue un point de passage idéologique entre l’antiracisme, l’extrême-droite antisémite et l’antisionisme.
Les insultes, menaces et harcèlements à l’égard des élèves juifs dans ces écoles publiques de banlieue ont ainsi conduit à leur éloignement progressif, phénomène empirique dont il est difficile néanmoins de faire l’étude.
Le phénomène antisémite, s’il a presque disparu en tant que mouvement politique en Europe sous l’effet d’une « dénazification » permanente allant infuser jusqu’au camp nationaliste, il trouve une résonance nouvelle au sein des jeunes populations musulmanes issues des banlieues. Ce repassage de l’antisémitisme de préjugés à l’antisémitisme de violence, comme en 2006 avec l’assassinat d’Ilan Halimi, a fait de ces « territoires perdus de la République », à l’instar des pays arabes, des « lieux dépouillés de leurs Juifs », pris dans le mouvement d’une forme de « diaspora intérieure ».
Désormais contraints à se regrouper en communautés pour des raisons sécuritaires, beaucoup de ces Juifs issus des quartiers populaires ont aussi choisi, notamment pour ces raisons, de faire leur Alyah en Israël. Dans l’ouvrage du sociologue Jérôme Fourquet et du géographe Sylvain Manternach, L’an Prochain à Jérusalem (2015), les estimations issues d’associations communautaires font état d’une diminution fulgurante du nombre de Juifs, de 2000 à 2015, vivant en Seine-Saint-Denis : de 600 à 100 familles à Aulnay-sous-Bois, de 300 à 100 familles au Blanc-Mesnil, de 400 à 80 familles à Clichy-sous-Bois ou de 300 à 80 familles à La Courneuve.
Mais, davantage que la revitalisation et la réappropriation de l’antisémitisme traditionnel, la haine des Juifs trouve dans notre siècle une recrudescence sous l’effet du projet islamiste, qui a fait de la cause palestinienne son « cheval de Troie » antiraciste et décolonial pour mieux saper tous les fondements de notre société républicaine.
II.L’alliance entre l’Islamisme, le palestinisme et le marxisme comme formes modernes de la haine des Juifs.
1. Les spécificités de l’antijudaïsme islamique
a. Une culture de la soumission et du mépris via le statut de « dhimmi »
L’antijudaïsme d’Orient s’est structuré autour d’un rejet théologique des Juifs, considérés tout à la fois dans le Coran comme « peuple du livre », « enfants d’Israël » et « associateurs » visant à corrompre la révélation du prophète Mahomet.
Loin d’adhérer à une quelconque théorie raciale, les Juifs étant eux-mêmes issus de la branche ethnique « sémitique » à l’instar des Arabes et autres peuples ayant embrassé l’Islam par les différentes conquêtes entamées au VIIe siècle, l’antijudaïsme islamique ne fera jamais du Juif un « autre » ethnique, mais bien un être méprisable par la foi qu’il convient de soumettre, à l’instar des Chrétiens, à un statut social particulier qui lui confère diverses interdictions et obligations : le statut de « dhimmi ».
Évoquer un « antisémitisme » d’origine coranique est ainsi un placage lexical qui confine à un non-sens, tant ce terme correspond à la rhétorique sémantique du scientisme politique des XIXe et XXe siècles européens. L’antijudaïsme musulman, non comme critique doctrinale de la Torah, mais bien comme rejet théologique du Juif comme être méprisable et honni, est l’assise sur laquelle la culture arabo-musulmane discriminera le Juif.
Cette haine, mêlée de « mépris et d’envie », comme le définit le théologien spécialiste de l’Islam Rémi Brague, trouve ses sources dans le Coran, très particulièrement dans la partie dite « médinoise » durant laquelle le prophète devient un chef de guerre (épisode de l’expulsion des trois principales tribus juives de Médine par le prophète Mahomet durant l’Hégire). Dans le message coranique, les Juifs auraient altéré l’Écriture sainte en refusant par deux fois les révélations du Christ et de Mahomet[8].
Le Juif est donc perçu, dans le monde musulman, comme une minorité destinée à n’être tolérée que soumise et dominée, non crainte comme en Occident, mais infériorisée, corvéable, réduite et régulièrement humiliée par son statut religieux.
Au XIXe siècle, avec la colonisation européenne et l’essor du sionisme, le monde arabo-musulman, ne supportant pas les velléités nationalistes du sujet juif dans son espace vital, contrevenant à l’essentialité de son statut de dominé, accuse les Juifs de pactiser avec les puissances coloniales occidentales.
Le monde arabe connaîtra ainsi lui aussi ses pogroms : À Marrakech, Fez et Petit-Jean (1864, 1880 et 1954), à Constantine (1834, 1934), à Bagdad (1941), à Tripoli (1945), à Aden (1947), au Caire (1945-1948), à Jérusalem (1920), à Jaffa (1921), à Hébron (1929), à Safed (1929 ou à Haïfa (1947), à chaque fois sous l’appel du Djihad.
b.La convergence entre le nationalisme arabe et l’Allemagne nazie au XXème siècle
Au XXème siècle, l’antijudaïsme coranique traditionnel rencontre l’antisémitisme européen sous la bannière de la naissance d’une idéologie fasciste et l’adoption de nombre de ses paradigmes, comme par exemple chez Al Banna, fondateur de l’organisation des Frères musulmans. Il vise à l’épuration des Juifs d’un espace vital arabo-musulman, de ce que les cartographes ont consigné sous le nom de « Palestine ».
Le projet national palestinien, pénétré par le fondamentalisme islamique en la personne du grand mufti de Jérusalem Al-Hussein, se manifeste notamment à l’égard des populations juives par des massacres de masse et des attentats sous forme de razzias (à l’instar du 7 octobre).
La convergence idéologique entre le nationalisme arabe et l’antisémitisme nazi se retrouve donc dans une volonté commune de « supprimer le Foyer national juif », ce que déclare Hitler au grand Mufti dans une rencontre à Berlin en 1941.
Alors qu’une grande partie des populations arabes dites palestiniennes sont favorables à la victoire de l’Allemagne nazie (selon un sondage réalisé en 1941 par les services américains, Georges Bensoussan), le nationalisme arabe va servir de relai à la politique de ségrégation des Juifs en Orient. Dans l’ouvrage Croissant fertile et croix gammée, K.M. Mällman et M. Cüppers attestent qu’un nombre incalculable d’Arabes, parfois déjà organisés, proposèrent volontairement leur soutien aux Allemands pour l’organisation du meurtre de masse des communautés juives à l’arrière de l’Afrika Korps.
Les nationalismes arabes des années qui suivirent la Seconde Guerre mondiale, qui mèneront une guerre sans fin au jeune État hébreu, seront infiltrés par une forte influence des régimes fascistes européens d’avant-guerre. Le parti Baas en Syrie et Irak s’inspirera des méthodes nazies dans la torture, mais aussi dans sa politique antijuive. L’Égypte de Nasser sera égalent fortement influencée par les idéologies antisémites et fascistes au nom d’une homogénéité ethnique arabe.
Israël, considéré comme une hémorragie juive dans un espace vital arabo-musulman, y sera tour à tour diabolisé en adoption des stéréotypes européens.
Alors que l’Europe réduit au silence public les continuateurs du nazisme dans le prolongement des procès de Nuremberg, le monde arabe s’imprègne des représentations antijuives européennes.
Fondu dans le traditionnel antijudaïsme islamique qui porte le juif en sujet méprisable, revitalisé par la haine du nouvel État hébreu, l’iconographie et la rhétorique antisémite européennes vont trouver dans les populations arabo-musulmanes d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient un nouveau terrain de propagation. Le succès du Protocole des Sages de Sion, « principal véhicule du mythe moderne du complot juif mondial », faux fabriqué par l’Okrana tsariste, trouve dans le monde arabe, à l’instar de Mein Kampf un succès alarmant[9].
C’est depuis ce contexte que de nombreux immigrés arabo-musulmans ont réimporté en Europe une haine antijuive que nos sociétés tentaient d’extirper. Parallèlement, le monde arabo-musulman devint « judenrein » : les 1,5 millions de Juifs qui vécurent pendant 2000 ans dans les pays arabo-musulmans, sous le statut de Dhimmi jusqu’aux colonisations européennes, furent progressivement contraints au départ dans un mouvement progressif jusqu’aux années 1980.
2. Le palestinisme comme nouvelle synthèse antijuive née de l’islamisme, du nazisme et du marxisme
a. L’islamo-palestinisme : matrice de la haine des Juifs
Avec l’essor du sionisme, le vieil antijudaïsme théologique prend une forme politique dans la région de Syrie-Palestine ottomane puis mandataire, avant de faire renaître en Occident un nouveau chapitre de la persécution des Juifs, concomitante à l’extinction de l’antisémitisme classique.
Ce national-islamisme s’est construit en Palestine sur la base de ce que Pierre-André Taguieff nomme la « rivalité mimétique » (en référence à la théorie de René Girard) à l’égard du nationalisme juif.
Il convient à cet égard de rappeler que les sources du nationalisme palestinien sont profondément antijuives et islamistes, comme énoncé dans le paragraphe précédent. Le Grand Mufti de Jérusalem, Amin Al-Husseini, père du nationalisme palestinien, jugeait à cet effet intolérable la présence sur une terre musulmane de Juifs qui ne seraient plus soumis au statut de dhimmi.
Dans l’article 13 de sa charte, le Hamas, groupe islamiste et terroriste administrant la bande de Gaza depuis 2007, rappelle à cet effet qu’il n’y aura « de solution à la cause palestinienne que par le Djihad ».
La cause palestinienne sert ainsi de cheval de Troie aux Islamistes qui désirent mener une guerre totale aux Juifs, mais aussi à la civilisation occidentale, démocratique et universaliste dont la France incarne le mieux la profondeur historique et intellectuelle.
Depuis 2012 et l’attentat contre l’École juive de Toulouse par le djihadiste Mohammed Merah, l’ensemble des meurtres antijuifs ont été, en France, le fait d’islamistes. Leurs motivations empruntent à la fois à l’islamisme et à la défense de la cause palestinienne, panacée révolutionnaire des Djihadistes comme fut à l’époque la guerre de Bosnie, ou plus tôt, la guerre d’Afghanistan, motivés par les appels à l’Intifada repris par l’extrême-gauche révolutionnaire.
Le terroriste de l’Hypercasher, Ahmedy Coulibaly, a revendiqué son attentat dans une forme de syncrétisme idéologique qui lie djihadisme et antisionisme, se disant « vouloir venger les Palestiniens », à l’instar de Mohammed Merah. La vague d’attentats islamistes qui a commencé en France avec l’école Ozar Hatorah de Toulouse s’est ensuite diffusée à l’ensemble de la société française, dans la dynamique d’une lutte globale menée par les islamistes contre l’ensemble des traits caractéristiques de la civilisation européenne et occidentale.
Alors que les antisémites œuvraient jadis à tenir les Juifs à l’écart de la société, en tant que corps étrangers à la nation, les islamistes les assimilent désormais, en tant qu’associateurs, aux représentants paroxystiques d’un système de domination globale des peuples arabo-musulmans et d’un prétendu « Sud global » par l’Occident, en la figure d’Israël. Les attentats islamistes ont ainsi tour à tour visé les Juifs, Chrétiens, laïques, journalistes, policiers ou militaires, tous considérés comme des mécréants, dans une guerre globale contre l’Occident et ses valeurs.
Cet islamo-palestinisme, qui a successivement pris la couleur du Djihad, du nazisme, du nationalisme arabe, du marxisme révolutionnaire et du wokisme, est la principale matrice de la haine des Juifs en Orient, en Israël et en Europe. Tout discours de « lutte contre l’antisémitisme » qui ne considèrerait pas ce danger comme existentiel pour la pérennité des Juifs, mais aussi de la France et de la République, serait ainsi sans effet.
b. Le rôle de l’extrême-gauche dans la légitimation politique du phénomène antijuif au XXIe siècle
Les rhétoriques publiques de l’antisémitisme politique ont quasiment disparu de l’Europe depuis la Shoah. Unanimement rejeté par la classe politique et puni par notre droit, l’idéologie antisémite, revitalisation de la haine des Juifs antérieure en scientisme raciste, s’inscrit du moins pour le moment dans le seul champ de l’intimité.
Mais si l’antisémitisme s’est évaporé des racines politiques européennes en tant que matrice d’engagement et de revendication, la haine du Juif trouve quant à elle une forme contemporaine dans l’antisionisme radical, qui convient à offrir « l’opportunité de haïr les Juifs au nom de la démocratie » (Vladimir Jankélevitch).
À cet effet, l’hostilité à l’égard des Juifs n’est plus politiquement recevable, mais trouve dans le vocable « sioniste » une forme visant à lui donner une expérience historique, l’accusant non plus d’être « le coupable de sa race » (Barrès) mais d’être le représentant d’un système, le sionisme, assimilé au nazisme dès les années 50 dans les propagandes de l’Union soviétique et des pays de l’Est.
Dans sa logique tiers-mondiste des rapports de domination, l’extrême-gauche européenne investit progressivement la cause palestinienne, identifiée comme révolutionnaire, avant de se rapprocher de l’islamisme, voyant dans ces deux phénomènes la poussée insurrectionnelle de populations dominées dont il convient de sublimer le combat, au nom d’une vision galvaudée des droits de l’Homme.
Karl Marx, déjà, dans son texte la Question juive, posait avec Toussenel et Proudhon les jalons de l’antijudaïsme d’extrême-gauche, qui reprendra un siècle plus tard une rhétorique de lutte des classes reformulée entre « dominants » et « dominés » et non plus entre « prolétaires » et « bourgeois », pour faire du sionisme l’élément central de la domination occidentale sur le sujet arabo-musulman réprimé, en la personne expiatoire du « Palestinien ».
Jadis emblème de la société bourgeoise, le Juif est redevenu, en tant qu’incarnation du sionisme (qui n’est autre que la restauration du sujet historique juif souverain sur la terre d’où ses souvenirs puisent le plus loin), le dominant colonial : un « super blanc » suprémaciste, fasciste et génocidaire.
Quand le sionisme était perçu comme un mouvement d’émancipation, de libération et d’autonomie du sujet juif opprimé en Europe, depuis les pogroms de Kichinev jusqu’à la Shoah, la Gauche soutenait le projet national juif. Dès que la cause palestinienne s’est imposée par mimétisme, au début des années 1960 et avec la bénédiction de l’URSS (voire pour une bonne part à son initiative) comme un mouvement dit « décolonial » et « indépendantiste », l’extrême-gauche internationaliste en a fait une promesse d’eschatologie politique.
Comme l’affirme Bruno Tertrais dans La question israélienne, la défense de la cause palestinienne est devenue aujourd’hui l’acmé du wokisme géopolitique et de sa vision binaire du monde, qui a replacé Israël en objet unilatéralement stipendié et honni.
En pratique, l’extrême-gauche dans toutes ses composantes, notamment dans les fractions les plus radicales des « Verts », et, en premier lieu, son parti le plus virulent en France, la France insoumise, consacre désormais une partie essentielle de son activisme politique à l’alimentation de la haine des Juifs en France, en s’habillant de la vertu d’être le premier défenseur de la cause palestinienne.
De cette rhétorique visant à considérer l’islamiste palestinien comme un résistant « décolonial » en face d’un « génocidaire sioniste », se formate la base pseudo doctrinale de ce nouvel « antijudaïsme » politique au XXIème siècle, auquel les islamistes et autres Frères musulmans adhèrent pour mieux pénétrer les sphères associatives, politiques et sociales, et de ce fait faire progresser leurs idées visant à changer le paysage social européen.
Toute la rhétorique de l’extrême-gauche (dont la qualification de « gauche » n’est peut-être plus pertinente, tant les valeurs qui lui étaient devenues associées s’en sont volatilisées) consiste désormais à nazifier l’État juif, plus encore depuis les massacres du 7 octobre et la guerre menée par Israël dans la bande de Gaza en conséquence.
Toute cette rhétorique antijuive consiste désormais à attribuer à l’État juif des caractéristiques de l’Allemagne nazie, et faire des Palestiniens le peuple en exil ayant remplacé dans l’imaginaire tiers-mondiste, le Juif opprimé de jadis.
Cette rhétorique cynique, qui emprunte le vocable de l’extermination des Juifs pour désigner Israël (génocide, camps de concentration, pogroms et ghettos) avait déjà été imaginée, formulée et installée par l’URSS depuis les années 50, notamment lors des divers procès contre les supposés dissidents des pays de l’Est, et quand fut votée la résolution de l’ONU selon laquelle le sionisme pouvait s’apparenter à une forme de racisme (résolution 3379).
L’extrême- « gauche », qui affirme lutter contre l’antisémitisme au nom de son antiracisme historique et réel, n’en reste pas moins, pour autant, le principal pourvoyeur politique de la haine antijuive en France, faisant de la violence à l’égard des « sionistes » une cause vertueuse, hyperboliquement assimilée à la résistance contre le nazisme, ou à l’insurrection des peuples colonisés et opprimés.
III. De la nécessité de renforcer notre arsenal législatif contre l’islam radical et le palestinisme, ainsi que maîtriser l’immigration arabo-musulmane, pour mieux lutter contre la haine des Juifs au XXIème siècle
Nous vous soumettons une série de propositions, tirées de l’étude précédente, visant à lutter efficacement contre le phénomène antijuif au XXIème siècle qui, nous l’avons vu, ne saurait se résoudre aux ressorts traditionnels de la seule lutte contre l’antisémitisme.
- Sortir de la logique antiraciste de la lutte contre la haine des Juifs, qui vise à maintenir une ligne de séparation frontale indistincte et inefficace entre le Rassemblement national, l’extrême-gauche et l’islamo-palestinisme. La haine des Juifs est aujourd’hui renouvelée et établie dans le registre des identités culturelles et géopolitiques et ne s’apparente plus aux ressorts traditionnels de l’antiracisme post-Seconde guerre mondiale. La lutte consensuelle contre l’antisémitisme, agitée sans cesse par les pouvoirs publics, sert désormais de succédané ou d’alibi pour ne pas cibler les véritables phénomènes antijuifs, et ses secousses menaçantes pour l’intégrité des biens et des personnes, que sont l’islamisme et l’antisionisme éradicateur. Ne pas stigmatiser les islamistes sous le faux prétexte du maintien de la cohésion sociale en France trahit un manque de courage des pouvoirs publics dont les Juifs pâtissent dans tous les pays d’Europe occidentale, où l’islamisme, comme idéologie oppressive et totalitaire, gagne du terrain.
- Assimiler la lutte contre la haine antijuive à la protection de notre modèle de civilisation face à l’islamisme et au palestinisme, afin de ne plus être dans une démarche exclusive qui ne concernerait a priori que les Juifs (si « l’antisémitisme » doit être l’affaire de tous, comme souvent rabâché par les pouvoirs publics, il doit être pensé au-delà de la seule discrimination à l’égard des Juifs). Les Juifs étant associés aux chrétiens, aux universalistes, aux laïques, aux athées, aux « mécréants », à la France et à la République dans la doxa islamiste, l’État doit se munir d’un modèle de défense de notre civilisation globale face à ceux qui souhaitent sa reddition.
- Apporter une définition opérationnelle de la haine antijuive dans notre droit positif, reprenant les éléments de la définition de l’IHRA, déjà adoptée par le Parlement sous la forme de propositions de résolution.
- Pénaliser l’appel à la destruction, l’annihilation et la négation d’Israël.
La haine des Juifs ne peut ainsi être soustraite à celle d’Israël, qui doit être pénalisée dès lors qu’elle appelle à son démantèlement « de la mer au Jourdain », et l’annihilation de ses populations qui s’y inscrit.
- Interdire et dissoudre toutes les associations issues des Frères musulmans en France, à commencer par Humani’Terre, l’UOIF, etc… ou affidées au régime des Mollahs iraniens.
Il convient de déclarer les Frères musulmans comme une organisation terroriste afin d’ouvrir des procédures dérogatoires au droit commun contre toutes les structures qui lui sont liées.
- Fermer définitivement toutes les mosquées salafistes, fréristes et fondamentalistes et ouvrir la voie à un Islam de France indépendant de l’étranger (1), qui assure la tranquillité de vie citoyenne aux musulmans respectueux des valeurs républicaines (2).
- Proscrire systématiquement les manifestations de soutien à la « cause palestinienne » dans les universités, dans les rues et dans l’espace public appelant à l’annihilation de l’État d’Israël, pour les troubles manifestes à l’ordre public et l’incitation à la haine antijuive qui s’y loge.
- Identifier et analyser la corrélation entre la haine antijuive et l’envolée de l’immigration issue des pays arabo-musulmans, sub-sahariens, ou asiatiques, au sein desquels la haine des Juifs est particulièrement répandue et entretenue depuis plus de 70 ans.
- Sur le modèle allemand, engager les immigrés dans un respect de nos valeurs républicaines et démocratiques, qui implique l’adhésion à notre système de valeurs (liberté de conscience, liberté individuelle, égalité hommes-femmes, mais aussi reconnaissance de l’État d’Israël, connaissance et respect de la Laïcité…)
- Refaire de l’éducation à l’antisémitisme, son histoire, ses origines et ses mythes, tant véhiculés en Occident qu’en Orient, un programme prioritaire spécifique dans les établissements de ZEP et REP+, via un travail exigeant fondée non sur la morale mais sur l’apprentissage.
L’antisémitisme a acquis un caractère diffamant dans la conscience européenne. Le crime absolu de la Shoah, « ce passé qui ne passe pas », l’a placé au rang des idéologies mortifères et infâmantes pour toute organisation politique qui se revendiquerait de son héritage et emploi.
Forme particulière du racisme, son expérience est profondément occidentale et s’inscrit dans une historicité précise, un scientisme d’apparence moderne qui emprunte à l’antijudaïsme chrétien les mythes fantasmagoriques ayant longtemps ceint son utilisation politique.
Loin d’avoir été éradiquée par les leçons de l’Histoire, cette haine semble avoir muté pour mieux se fondre dans les idéologies dominantes de notre temps. Mais si « l’Histoire ne connaît pas la parthénogenèse, et la continuité est sa grande loi » (Jacques Bainville), la haine des Juifs connaît aujourd’hui une rupture essentielle avec les thèses racistes et scientistes.
Elle n’a en effet plus pour objectif d’évincer, d’éliminer les Juifs des sociétés occidentales au nom d’une prétendue pureté ethno-nationale, ce que fut l’antisémitisme au XIXe siècle et son hubris exterminatrice au XXe, la Shoah.
Déguisée sous les oripeaux de l’antisionisme militant, de la cause décoloniale ou d’un antiracisme sélectif, la haine des Juifs prospère dans une société qui, tout en la condamnant officiellement, peine à en saisir les ressorts nouveaux et complexes. La France, pourtant forte de son héritage universaliste et républicain, se trouve désemparée face à cette recomposition idéologique, incapable d’adapter ses grilles de lecture et ses réponses institutionnelles à une réalité mouvante, alors que cette haine mutante se manifeste de façon claire et violente depuis plus de vingt ans.
La grille de lecture des pouvoirs publics est, elle aussi, obsolète, continuant à penser les évènements du présent avec les outils du passé. L’utilisation même du vocable « antisémitisme » ne semble plus correspondre à sa nouvelle réalité. La haine des Juifs n’est en effet plus un racisme, comme l’antisémitisme le fut au XIXe siècle, mais bien une haine pseudo-vertueuse, se justifiant par les luttes décoloniales et antiracistes, sous la bannière de la détestation d’Israël, pays stipendié sous des disqualifiants stigmatisants.
Elle est avant tout autre, le projet majeur des islamistes, l’ayant intégrée dans leur guerre globale contre l’Occident, avec l’appui de l’extrême- « gauche » qui en a fait l’objet de ses luttes essentielles, à la fois par électoralisme et par dévoiement de son idéologie révolutionnaire. S’appuyant sur une population d’origine immigrée, prioritairement arabo-musulmane, importante dans les banlieues françaises, dont une partie non négligeable, notamment dans la jeunesse, réfute et dénie les impératifs de lutte contre l’antisémitisme nés du traumatisme de la Shoah, cette hostilité pesante et menaçante risque de constituer un point de non-retour pour les 440 000 Juifs français contraints à l’exil intérieur et extérieur.
Dans ce contexte, l’acte II des Assises contre l’antisémitisme ne pourra être qu’un vœu pieux si la République ne reconnaît pas la spécificité de cette nouvelle haine des Juifs, totem des islamistes, qui s’exprime désormais au nom de causes prétendument humanistes de la cause palestinienne. C’est à ce prix que la lutte contre la haine des Juifs pourra être réengagée, avec lucidité, courage et clarté, dans un monde où les bourreaux se drapent trop souvent dans les habits des victimes. La République ne pourra tenir sa promesse d’égalité qu’en refusant de céder à la confusion et à la complaisance idéologique, et en nommant l’ennemi pour mieux le combattre : une haine des Juifs nouvelle, globalisée, islamisée, et banalisée.
[1] Cf. Rabinovitch G, Leçons de la Shoah, éditions Canope, CNDP, 2018.
[2] https://journals.openedition.org/lisa/3120
[3] https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2014/12/05/01016-20141205ARTFIG00297-les-juifs-et-l-argent-un-prejuge-tenace.php
[4] https://www.persee.fr/doc/rjuiv_0484-8616_1927_num_84_167_5561
[5] https://www.lhistoire.fr/de-l%C3%A2ge-dor-au-temps-des-pogroms
[6] https://www.persee.fr/doc/dhs_0070-6760_1989_num_21_1_1725_t1_0487_0000_4
[7] https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2023/12/16/serge-klarsfeld-le-chasseur-de-nazis-qui-n-a-plus-peur-du-rn_6206121_4500055.html
[8] Sourate 5, Al-Ma’idah, verset 64 : « Que leurs propres mains soient fermées, et qu’ils soient maudits pour l’avoir dit. »
Sourate 2, Al-Baqara, verset 61 : « L’avilissement et la misère tombèrent sur eux ; ils encoururent la colère de Dieu. Cela parce qu’ils reniaient les signes de Dieu et tuaient injustement les prophètes.
Sourate 5, verset 82 : « Tu trouveras certainement que les pires ennemis des croyants sont les Juifs et les polythéistes. »
[9] https://www.lepoint.fr/monde/les-editions-pirates-de-mein-kampf-foisonnent-dans-le-monde-musulman-11-01-2016-2008725_24.php