L’émergence paradoxale des femmes dans la vie politique israélienne (Piotr Smolar – Le Monde)

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Une femme a été élue à la mairie de la ville religieuse de Beit Shemesh en octobre ; une première, alors que les femmes politiques ont toujours du mal à occuper des postes à responsabilités dans le pays.

Il a fallu comptabiliser les dernières voix, celles des soldats, des handicapés et des prisonniers, pour départager les deux candidats. Au bout de la nuit électorale, la ville de Beit Shemesh s’est donné une nouvelle édile. Fin octobre, pour la première fois, cette cité très religieuse et conservatrice de près de 80 000 habitants a désigné une femme, à l’occasion des élections municipales, pour la diriger. Aliza Bloch a obtenu seulement 533 voix de plus que le sortant, Moshe Aboutboul, connu pour ses déclarations incendiaires. Après sa victoire controversée en 2013, marquée par des soupçons de fraude, ce dernier s’était réjoui de l’absence d’homosexuels à Beit Shemesh. « Nous n’avons pas ce genre de choses, Dieu merci… La cité est sainte et pure. »
Ancienne directrice de lycée, Alizia Bloch a pour ambition de mettre fin aux tensions entre laïques et religieux, qui émaillent Beit Shemesh depuis dix ans, conséquence de la montée des communautés ultra-orthodoxes. Il semble qu’elle soit parvenue à attirer sur son nom des milliers de votes haredi, défiant les consignes de vote des rabbins. Son exploit est d’autant plus significatif que le vote local pour des femmes n’est pas encore banalisé en Israël. Certes, au cours de ces municipales, Einat Kalisch Rotem est devenue la première femme élue à la tête d’Haïfa, troisième ville du pays. Mais selon le ministère de l’intérieur, seules 57 femmes avaient soumis leur candidature lors des élections locales, contre 665 hommes.

Destins individuels

Plus généralement, la place des femmes dans la politique israélienne ressemble à l’éternelle histoire du verre à moitié plein ou vide. A la Knesset (Parlement), l’évolution est notable. Elles représentent 27 % des 120 députés, soit cinq fois plus qu’il y a trente ans. Mais lorsqu’on examine leur niveau de responsabilités, les motifs de réjouissance sont moins nombreux. Quatre ministres sont des femmes. Une seule, Ayelet Shaked, occupe un poste de premier plan. Comme ministre de la justice, cette figure du parti nationaliste religieux le Foyer juif mène l’offensive contre la Cour suprême, estimant qu’elle limiterait trop les initiatives de la droite parlementaire. En 2006, la plus haute juridiction judiciaire avait eu pour présidente une femme, Dorit Beinish. La même année, Dalia Itzik devenait la première présidente de la Knesset.
Ces destins individuels représentent des encouragements dont il est difficile de tirer des tendances lourdes. L’histoire de la création d’Israël, de la lutte clandestine contre le protectorat britannique à l’établissement des kibboutz, ces communautés socialistes prétendant inventer un nouveau juif, fut placée sous le signe de l’égalité hommes-femmes. Ces dernières cessaient d’être cantonnées à un rôle traditionnel de mère ou épouse. Elles étaient aussi des combattantes et des paysannes, travaillant la terre.
« Je ne peux pas dire si les femmes sont mieux que les hommes, mais ce que je peux dire, c’est qu’elles ne sont pas pires », a dit un jour Golda Meir. Celle-ci demeure la seule femme à avoir occupé le poste de premier ministre en Israël, entre 1969 et 1974. Pourtant, elle n’a pas voulu inscrire son parcours dans le cadre d’une émancipation féminine. David Ben Gourion, père de l’Etat, dit d’elle, rapporte la légende, qu’elle était « le seul homme dans son gouvernement ». Selon ses biographes, Meir traita les féministes américaines de « femmes folles brûlant leur soutien-gorge, qui se baladent toutes ébouriffées, haïssant les hommes ». Forte, indépendante, libre, sévère, enchaînant les cigarettes et ne portant pas de maquillage, Golda Meir fut pionnière en tout.

La sécurité du pays confiée aux hommes

La fin de sa carrière publique fut un traumatisme personnel et national. A l’automne 1973, Israël fut pris au dépourvu par la guerre de Kippour, perdant 2 700 soldats. L’euphorie et la divine surprise de l’écrasante victoire de 1967 contre les pays arabes s’étaient évanouies. L’Etat hébreu se redécouvrait vulnérable et il le fit sous l’autorité d’une femme, qui pourtant avait suivi l’avis des plus hauts experts militaires. Cette association fut, à n’en pas douter, une forme de marqueur collectif, instaurant l’idée que les postes à responsabilités vitaux, liés à la sécurité du pays, devaient être confiés à des hommes.
On retrouva cette prévention lors de la campagne électorale de 2009. Tzipi Livni, ministre des affaires étrangères à la tête du parti centriste Kadima, obtint le plus de voix, sans parvenir à constituer une coalition. Les mois précédant le scrutin, elle avait été insidieusement attaquée par ses rivaux, notamment le travailliste Ehoud Barak, aux états de service militaires prestigieux, pour sa prétendue faiblesse de caractère. Tzipi Livni décida tardivement de partir à la conquête des voix féminines. Mais pas plus que Golda Meir, elle n’avait fait des droits des femmes un étendard et une priorité. Comme s’il fallait banaliser la présence des femmes pour mieux les promouvoir, au lieu de poser des revendications de genre. Aujourd’hui, Tzipi Livni dirige l’opposition parlementaire au gouvernement Nétanyahou.