Visite d’Emmanuel Macron à Washington : Un bilan en demi-teinte pour la diplomatie française

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Le président américain Donald Trump et son homologue français Emmanuel Macron ont affiché leur bonne entente, lundi 23 avril à la Maison Blanche, au premier jour d’une visite chargée en symboles mais aussi en dossiers épineux, nucléaire iranien en tête. « Will he fix it or nix it ? » (Sortira-t-il de l’accord ou pas ?), telle est la question qui brûle les lèvres des experts et journalistes à l’approche du 12 mai, date butoir où Donald Trump donnera sa décision quant à un éventuel retrait de l’Accord de Vienne. Défenseur de ce plan d’action conjoint (JCPOA – Joint Comprehensive Plan of Action), même s’il en reconnait les  faiblesses, Emmanuel Macron avait pour ambition de le convaincre de ne pas y renoncer, ou du moins, de trouver une alternative qui ne le compromette pas totalement.

Chaleureusement accueilli à son arrivée, le président français a rejoint Donald Trump dans le bureau Ovale pour une brève visite de ce lieu chargé d’histoire. Entre embrassades, poignées de main et accolades, l’opération séduction d’Emmanuel Macron pour tenter d’obtenir des concessions de Donald Trump a parfois semblé tourner à l’avantage du président américain, qui n’a rien lâché sur le fond mais a donné le ton sur la forme.

Une amitié affichée …

La relation très tactile entre Emmanuel Macron et Donald Trump aura marqué cette visite de trois jours et n’aura pas manqué d’être commentée par la presse américaine qui a souligné la « bromance » (amitié entre deux hommes) entre les deux présidents. « La bromance de Trump et Macron continue avec des bises et des louanges », a écrit la chaîne ABC sur son site. « Une bromance présidentielle pour Trump et Macron », a titré quant à lui le New York Times. Cependant, a souligné CNN, « la bromance entre Trump et Macron aura un prix ». Accord sur le nucléaire iranien, intervention en Syrie, taxes sur l’acier et l’aluminium, Accord de Paris sur le réchauffement climatique… autant de sujets sur la table des discussions franco-américaines.

L’amitié entre les deux chefs d’Etat n’est pas feinte. Emmanuel Macron et Donald Trump ont plusieurs points communs comme l’a rappelé le président français. Les deux hommes ne sont en effet pas issus des partis traditionnels. Emmanuel Macron a voulu transcender le traditionnel clivage droite-gauche tandis que Donald Trump n’est pas un républicain convaincu. Emmanuel Macron bouscule les codes et ambitionne de « disrupter le système ». C’est dans cet état d’esprit qu’il s’est exprimé sur Fox news, sachant mieux que personne adapter son discours à ses auditeurs. Il n’aurait sans doute pas tenu les mêmes propos sur une autre chaîne mais savait, avant même de se rendre à Washington qu’il devait « préparer le terrain » pour espérer tourner le séjour à son avantage.

Lors du dîner le premier soir, les deux présidents ont chacun porté un toast à l’amitié entre leurs pays. « Beaucoup commentent notre amitié personnelle », a remarqué Emmanuel Macron. « Des deux côtés de l’océan, il y a deux ans de cela, peu auraient prédit que vous et moi allions nous retrouver à cet endroit ». « C’est sans doute pour cela que vous et moi avons beaucoup en commun qui relève de la détermination, peut-être de la chance. Nous savons l’un et l’autre que nous ne changeons pas facilement d’avis, mais avons la volonté de travailler ensemble », a conclu le président français.

Mais au-delà de cette amitié, sincère mais surjouée, ils ne partagent pas les mêmes vues, notamment sur l’immigration, le protectionnisme, le climat, et surtout l’Iran.

… sur fond de dissonances

Les divergences sont apparues à l’occasion de l’intervention, mercredi 25 avril, d’Emmanuel Macron devant le Congrès des États-Unis. Au cours d’un discours d’une quarantaine de minutes, le président a plaidé haut et fort la cause du multilatéralisme, prenant à contre-pied « l’Amérique d’abord » de son homologue américain. « Nous pouvons choisir l’isolationnisme, le retrait et le nationalisme. Ce n’est pas une option. Ce peut être un remède tentant à nos peurs. Mais fermer la porte au monde n’arrêtera pas l’évolution du monde », a-t-il déclaré. La colère « ne construit rien », a-t-il ajouté.

Tout en soutenant « pleinement » les efforts des Etats-Unis pour obtenir la dénucléarisation de la Corée du Nord et son hostilité à la nucléarisation de l’Iran, le chef de l’Etat français a réaffirmé son souhait de ne pas « créer de nouveaux murs » au Moyen-Orient. Se référant au mur que veut créer Donald Trump avec le Mexique. Rappelant que l’accord sur le nucléaire iranien avait été signé à l’initiative des Etats-Unis, Emmanuel Macron a estimé qu’on « ne pouvait pas le jeter » comme Donald Trump souhaite le faire. « On ne déchire pas un accord pour aller vers nulle part, on construit un nouvel accord qui est plus large et qui permet de couvrir l’ensemble de nos préoccupations », a déclaré Emmanuel Macron. Une réponse directe à Donald Trump qui avait promis à ses électeurs de « déchirer » l’accord avec l’Iran et ne semble pas avoir changé d’avis sur sa volonté de supprimer cet accord qu’il a jugé à nouveau « très mauvais », mardi. En guise de consensus, le président français a promis de soutenir un nouvel accord, plus explicite, sans renoncer au premier. Ce plan comporterait quatre volets : bloquer toute activité nucléaire iranienne jusqu’en 2025, empêcher à plus long terme toute activité nucléaire, stopper les activités balistiques de l’Iran et créer les conditions d’une stabilité politique dans la région.

« Nous n’avons pas les mêmes positions de départ sur ce point » et « nous avons eu une Donald Trump a, de son côté réclamé un nouvel accord avec des fondations « solides ». « C’est un accord aux fondations pourries, c’est un mauvais accord, une mauvaise structure », a affirmé le dirigeant américain.

Concernant le conflit syrien, Donald Trump a répété sa volonté de retirer toutes les troupes américaines de Syrie. Le président américain a également appelé les pays arabes à relever « énormément » leurs contributions financières aux efforts occidentaux pour contrer l’influence de l’Iran au Proche-Orient, afin que Téhéran ne profite pas des victoires contre l’organisation Etat islamique. De son côté, Emmanuel Macron a affirmé que la France « a décidé d’augmenter [sa] contribution » à la coalition, répétant que l’objectif est « de terminer ce travail contre Daech et nos ennemis ».

« Au-delà de nos troupes, nous allons devoir construire la paix, et nous avons besoin d’un nouveau cadre inclusif pour être sûrs que le peuple syrien pourra vivre en paix. Nous devons être sûrs qu’il n’y aura pas d’hégémonie dans la région. »

Là encore, Emmanuel Macron et Donald Trump affichent une différence de vue importante : quand le premier aborde la question syrienne sur l’angle de la lutte contre le terrorisme, le second le fait sur l’angle de la lutte contre l’influence iranienne dans la région.

La stratégie d’Emmanuel Macron mise en branle

L’opération séduction initiée par l’interview donnée à la chaine Fox News peu avant son départ, n’a pas eu l’effet escompté. L’image projetée par les deux hommes est exactement à l’opposée de celle de mai 2017, lorsque le Français avait fait grand bruit avec sa poignée de main musclée avec l’Américain. Le président Macron en avait alors clairement fait un instrument diplomatique. « Il faut montrer qu’on ne fera pas de petites concessions, même symboliques, mais ne rien surmédiatiser non plus », avait-il déclaré.

Mardi, juste avant de poser devant les photographes dans le Bureau ovale, le président américain s’écrie: « Nous avons une relation très spéciale. D’ailleurs je vais lui enlever quelques pellicules. Vous en avez un peu ». Et d’épousseter de l’index la veste du Français surpris, qui finit par rire. « Durant ce voyage, Trump devient le mâle dominant et Macron se laisse dominer », a commenté le Washington Post. Pour le New York Times et le Spiegel, le Français se sert de cette amitié d’une manière calculée pour obtenir des concessions, mais avec un succès douteux. « Macron utilise cette relation pour se présenter comme le leader de l’Europe et restaurer la place de la France à l’international (…) mais savoir si ces manifestations ont un impact sur Trump n’est pas clair », écrit le journal allemand.

Son intervention au Congrès n’a pas convaincu les républicains. « Le président français est un socialiste militariste mondialiste et alarmiste sur le climat… le futur sombre du parti démocrate américain », a ainsi réagi sur Twitter Thomas Massie, député républicain du Kentucky.

Donald Trump est quant à lui resté fidèle à lui-même. En accord avec ses discours de campagne et son électorat. Alors qu’Emmanuel Macron a tenté de s’adapter, au risque de se perdre de vue. « Le pari initial » d’Emmanuel Macron de « charme » et de « séduction » envers Donald Trump « n’a pas fait bouger d’un iota les grands sujets », a déploré mercredi l’ancien ministre socialiste Matthias Fekl interrogé sur RFI.

Le retrait américain du JCPOA se profile

Pour surmonter leurs divergences sur l’Iran, Emmanuel Macron a proposé à Donald Trump un « nouvel accord » au-delà des seules questions nucléaires. Ces nouvelles négociations devraient porter sur les préoccupations exprimées par le président américain, tout en préservant l’accord d’origine qui deviendrait le premier des « quatre piliers » (cités précédemment) d’un futur texte.

Mais les inconnues l’emportent sur les chances d’aboutir, et ce pari semble voué à gagner du temps et à préparer l’avenir en cas de retrait américain. Personne ne connaît vraiment les intentions du président des Etats-Unis mais Emmanuel Macron n’a pas caché son pessimisme mercredi, estimant qu’il risque de sortir de l’accord de 2015 « pour des raisons de politique intérieure ». Si la proposition française semble en tout cas avoir donné de l’espoir aux partisans du texte de 2015, les deux hommes ne se sont pour l’instant pas mis d’accord et le retrait américain du JCPOA est de plus en plus probable. Par ailleurs, Téhéran et Moscou ont rejeté la proposition évoquée par Emmanuel Macron, ce qui la compromet d’emblée.

Le bilan de la visite d’Emmanuel Macron est donc plus que mitigé. Si la visite d’État du président français a confirmé ses bonnes relations personnelles avec Donald Trump, elle n’a pour autant pas fait bouger les lignes sur les grands dossiers.