EXCLUSIF – Deux avocats portent devant l’ONU une requête visant à reconnaître le «soutien matériel, financier, opérationnel et idéologique» au Hamas dans les attaques du 7 octobre 2023. Une position soutenue, notamment, par le témoignage d’un espion français.
Par Steve Tenré et John Timsit
Jamais l’ONU n’a encore officiellement dénoncé l’Iran quant à sa complicité présumée dans les attaques du 7 octobre en Israël – et ce, malgré de nombreux éléments incriminant le régime des Mollahs. Mais cet état de fait pourrait prochainement changer, grâce à une requête portée par deux avocats auprès du rapporteur spécial sur la protection des droits de l’Homme et la lutte antiterroriste, que Le Figaro a pu consulter en exclusivité.
Aujourd’hui occupé par l’Australien Ben Saul, spécialisé dans le droit international public, ce poste est compétent pour « recommander l’adoption de législations et de politiques antiterroristes », et, surtout, pour communiquer sur les « violations des droits de l’Homme dans le contexte de la lutte antiterroriste, y compris lorsque est mis en cause l’appui d’un État à des acteurs non étatiques. »
Un volet que comptent exploiter Me Sarah Scialom, avocate au barreau de Paris, et Me Elliot Martin, avocat au barreau du Nevada. Les deux défenseurs vont déposer ce mardi 7 octobre, deux ans jour pour jour après les attaques terroristes du Hamas en Israël, une requête visant à inciter les Nations unies à reconnaître que « la République islamique d’Iran a manqué à ses obligations positives (en matière de droits de l’Homme, NDLR) et a apporté un soutien matériel, financier, opérationnel et idéologique aux groupes directement responsables (des attaques du 7 octobre 2023, en l’occurrence le Hamas), en contradiction avec son devoir de lutte contre le terrorisme et ses engagements internationaux ».
Pour ce faire, les avocats ont réalisé un long document de 26 pages, qui revient sur l’ensemble des actions de soutien au terrorisme imputées à l’Iran au fil des années. Autant d’éléments qui pourraient pousser l’ONU à dénoncer Téhéran dans une résolution inédite.
Les deux avocats représentent avec cette requête Maurice Schnaider, un homme de nationalité israélienne « directement et personnellement affecté par les crimes » du 7 octobre 2023. Ce jour-là, sa sœur, Margit Shnaider Silberman, et son beau-frère, José-Luis Silberman, ont été assassinés dans leur maison du kibboutz Nir Oz. Maurice Schnaider est en outre l’oncle maternel de Shiri Bibas, l’oncle par alliance de Yarden Bibas, mari de Shiri, et le grand-oncle des jeunes enfants Ariel et Kfir Bibas, dont les corps avaient été restitués en février dernier par le Hamas, après leur enlèvement le 7 octobre 2023.
« Ces événements ont provoqué pour le requérant un traumatisme profond, durable et irréversible », précisent les avocats dans leur requête. « En une seule journée, cinq membres directs de sa famille ont été tués ou enlevés, parmi lesquels sa sœur, son beau-frère, sa nièce, ses deux arrière-neveux et son neveu par alliance. La disparition successive de trois générations – grands-parents, enfants et nourrisson – a laissé le requérant dans une situation de deuil multiple. »
Le témoignage d’un infiltré
Un « deuil multiple » dont serait responsable l’Iran, d’après de nombreux éléments mis en exergue par les deux avocats dans leur requête. Ils estiment, notamment, qu’« aucune opération terroriste majeure contre Israël n’est conduite sans l’aval direct de Téhéran ».
Pour étayer leurs dires, ils citent d’abord un « ancien infiltré des services de renseignement iraniens pour le compte du contre-espionnage français », dont les avocats ont pu obtenir une attestation jointe au dossier.
Cet ancien officier de la Direction nationale de la police judiciaire française a assuré que « la mission explicite » de la Force al-Qods, unité d’élite du Corps des Gardiens de la révolution islamique spécialisée dans les opérations extérieures, est « de créer, former, financer et équiper militairement des forces alliées dans la région, dans le but d’organiser un front global contre Israël et contre les opposants à la République islamique. »
« (Son) témoignage confirme que la Force al-Qods est devenue la véritable agence de renseignement extérieure de l’Iran, cumulant les fonctions de commandement, de financement, de conseil militaire et de coordination stratégique des principaux groupes constitutifs de l’“axe de la résistance”: Hezbollah, Hamas, Djihad islamique palestinien… », indiquent les avocats.
Et d’ajouter : « Ce constat d’un ancien infiltré, recoupé par ses enquêtes menées en France sur des réseaux liés au renseignement iranien, conforte (le fait que) l’“axe de la résistance” ne constitue pas une alliance informelle, mais bien une constellation hiérarchisée, financée, formée et dirigée par l’Iran à travers son bras armé extérieur. »
Les avocats poursuivent leur argumentaire en listant les différentes entrevues et entretiens des hauts dignitaires du Hamas à Téhéran : en juin 2023, quand Ali Khamenei a « exposé la vision stratégique iranienne » à l’ancien chef du bureau politique de l’organisation islamiste Ismaïl Haniyeh ; ou en mai 2021, lorsque le général iranien Hossein Salami a discuté par téléphone avec Ismaïl Haniyeh et Ziad Nakhaleh, secrétaire général du Djihad islamique palestinien, de l’« effondrement du régime usurpateur d’Israël ».
Transfert de centaines de millions de dollars
La requête note également les différentes « déclarations publiques d’adhésion politique » au lendemain du 7 octobre, avec le président iranien, Ebrahim Raïssi, qui a indiqué que l’« Iran soutient la légitime défense de la nation palestinienne » et, cent jours plus tard, que « la résistance contre Israël a fonctionné ».
Mais au-delà des paroles, l’Iran, par le biais de la force al-Qods, aurait également formé pas moins de 500 combattants affiliés au Hamas et au Djihad islamique palestinien jusqu’en septembre 2023. Un entraînement qui se serait déroulé dans des installations iraniennes, selon une enquête du Wall Street Journal citée par les avocats.
Ces derniers abordent aussi les financements iraniens à l’égard du Hamas et les multiples sanctions américaines, dès 2023, de l’Office américain de contrôle des avoirs étrangers, visant des responsables du Hamas et « les mécanismes par lesquels l’Iran apporte son soutien au Hamas et au Djihad islamique palestinien ».
Les avocats évoquent également les multiples « lettres », « notes de réunions » et « correspondances » entre l’Iran et les responsables du Hamas, retrouvées par l’armée israélienne entre 2021 et 2024 et publiées par The Times, Haaretz ou le Wall Street Journal, qui attestent de demandes de financement du Hamas à hauteur de centaines de millions de dollars.
« Des lettres saisies à Gaza révèlent que l’Iran aurait transféré au moins 222 millions de dollars entre 2014 et 2020 au profit direct de l’organisation », lit-on aussi. « Ces documents décrivent un mécanisme d’acheminement en espèces, depuis l’Iran vers le Liban, puis vers Gaza, grâce à un réseau d’intermédiaires financiers et logistiques. »
Des assertions corroborées par une analyse de l’« Association of Certified Financial Crime Specialists » (ACFCS), également citée par la requête, qui « met en lumière un réseau complexe de transferts clandestins impliquant des sociétés écrans, des fondations caritatives, des maisons de change et, plus récemment, l’usage de cryptomonnaies. »
« Cette architecture financière parallèle permet non seulement de canaliser des centaines de millions de dollars vers Gaza, mais aussi de masquer l’origine iranienne de ces fonds. L’étude souligne que le financement iranien ne se limite pas à des flux ponctuels mais relève d’une stratégie de long terme visant à assurer la résilience du Hamas malgré l’intensification des contrôles et des sanctions internationales », dissèquent les deux avocats.
Une liste de demandes
Autant d’éléments qui laissent penser que l’Iran a « manqué à l’obligation de prévention du génocide », « à son obligation de protéger la vie », « à s’abstenir d’incriminer ou d’interrompre des financements illicites », et « à faire respecter le droit humanitaire » puisque le pays a « facilité les violations graves commises le 7 octobre, telles que les homicides intentionnels, les attaques contre des civils, les prises d’otages et les traitements inhumains. »
Ces accusations permettent, selon les avocats, « de qualifier juridiquement le comportement de l’Iran comme un manquement grave et répété à ses engagements internationaux ».
Face à ces faits, les requérants ont dressé auprès du rapporteur une liste d’une dizaine de demandes. Ils réclament notamment au rapporteur de notifier officiellement à la République islamique son soutien apporté à des groupes terroristes, pour que l’Iran puisse ensuite formuler « des observations détaillées sur ces allégations ».
Ils souhaitent également que l’Iran « indique quelles mesures concrètes ont été adoptées pour se conformer à (ses) obligations internationales en matière de prévention du terrorisme et de respect des droits fondamentaux ».
Ils veulent enfin que le rapporteur « demande à la République islamique de clarifier sa position et son rôle par rapport aux enlèvements et détentions arbitraires, et d’indiquer quelles démarches elle entreprend pour obtenir la libération immédiate et inconditionnelle des otages » israéliens.