Pourquoi le monde entier se focalise sur Gaza et pas sur les autres guerres ?

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Quand plus de cent guerres se déroulent aujourd’hui sur la planète, pourquoi seul le conflit entre Israël et le Hamas focalise-t-il toute l’ire et toutes les vertus ?

Par Bérengère Viennot


La semaine dernière, en Italie, une jeune Russe handicapée s’est vu refuser l’accès au taxi qu’elle avait commandé (et qu’elle pouvait payer) parce que le chauffeur entendait protester contre la guerre que Poutine mène en Ukraine.

À Londres, un temple bouddhiste et une maternelle d’un quartier à prédominance chinoise ont été ciblés par un déséquilibré qui a répandu des excréments et de l’urine sur la porte. Les autorités ont tardé à l’arrêter. Cet homme ne pouvait plus supporter l’idée de ce que subissent les Ouïghours, parqués dans des camps et réduits en esclavage par le régime chinois.

Il y a quelques jours, un philosophe et journaliste français a été interdit de salon littéraire, où il allait présenter une biographie de sa mère, pour avoir expliqué que le régime iranien d’avant la révolution, celui du Shah, n’était pas particulièrement démocratique. Compte tenu de ce que font subir les ayatollahs à la population iranienne aujourd’hui, les responsables du salon ont avancé que la critique à l’égard d’un moindre mal n’était pas recevable et méritait une annulation pure et simple de la venue de son auteur.

En Espagne, la Vuelta, la fameuse course cycliste, a été interrompue par des manifestants arborant des drapeaux afghans, révoltés par ce que le régime fait subir à son peuple et tout particulièrement aux femmes, qui ont moins de droits que les animaux, et réclamant des actes de la part de l’Occident. Le chef du gouvernement, Pedro Sanchez, a clamé haut et fort son soutien à cette cause. Après tout, le monde entier ne s’est-il pas révulsé en apprenant qu’après le tremblement de terre qui a frappé l’Afghanistan, des femmes avaient été laissées à agoniser sous les décombres, les sauveteurs, des hommes, n’ayant pas le droit de les toucher.

À Paris, un colloque qui devait se tenir à l’Institut des arts africains a été la cible d’une opération de boycott de la part de chercheurs qui affirment, par ce geste, protester contre les massacres qui ont lieu au Soudan.

Aux États-Unis, deux employés de l’ambassade d’Algérie ont été abattus alors qu’ils s’apprêtaient à assister à un gala, par un homme qui a hurlé « Free, free Boualem Sansal ! » avant d’être arrêté.

Enfin, le dirigeant du PS, Olivier Faure, vient d’inviter toutes les mairies à hisser un drapeau israélien le 7 octobre prochain, en hommage aux otages détenus par le Hamas depuis le sanglant pogrom de 2023.

Je plaisante, bien sûr.


Le faux universalisme d’une cause unique

Aucune handicapée russe n’a été prise pour cible en guise de protestation contre un régime aussi dictatorial que lointain. Le racisme ordinaire est toujours implanté dans un rejet biologiquement ancré de la différence et n’a pas varié depuis la nuit des temps, quel que soit le prétexte qu’il se donne. Enfin, les boycotts et manifestations de soutien de divers dirigeants politiques ne sont jamais orientés vers des causes qui ne sont pas susceptibles de rassembler au nom du rejet antédiluvien d’une population singulière, toujours la même, dont ils sont certains qu’elle est détestée de façon suffisamment viscérale pour détourner l’attention de tout le reste.

En revanche, tous ces exemples sont vrais et ne sont qu’une poignée parmi des centaines d’autres. Ils se sont réellement produits et c’était, bien sûr, ce sont toujours des Israéliens – ou Israël – qui étaient visés. Et c’est toujours au nom de la Palestine.

La mode de l’exhibition ostentatoire du drapeau palestinien – car il s’agit bien d’un engouement tissé dans l’air du temps – est non seulement la manifestation d’un besoin immémorial de faire comme tout le monde pour mériter sa place au sein du groupe, mais également un moyen pratique et pas cher en énergie cérébrale de faire étalage de sa vertu. Et puis, surtout, c’est un cache-sexe efficace de la bonne vieille haine du juif, aujourd’hui drapée dans la virginale toge de la lutte pour la « libération de la Palestine ».

Comment expliquer que seul le combat pour le peuple palestinien justifie que l’Occident entier se mette à beugler « Free Palestine » comme un seul homme, quand le drame en cours à Gaza, qui subit une guerre parmi tant d’autres, est une goutte d’eau dans la mer des tragédies humaines à l’échelle de la planète ? Rappelons que le pilonnage de la Bande de Gaza par Israël n’est pas injustifié – ce qui ne veut pas dire qu’il soit juste. C’est une guerre. Selon la Geneva Academy, en ce moment il y a plus de 110 conflits armés sur terre. Relisez bien ce nombre. Cent dix.

Alors pourquoi ce conflit-là focalise-t-il toute l’attention, et pas un autre ? Pourquoi une société occidentale mieux nourrie, mieux vêtue, mieux logée, plus libre et mieux divertie que jamais dans son histoire se soucie-t-elle à une si ample échelle d’un seul conflit qui concerne en tout et pour tout 12 millions de personnes sur huit milliards : 10 millions d’Israéliens (dont 8 millions de juifs) et 2 millions de Gazaouis (au milieu desquels se trouvent, depuis bientôt deux années, une cinquantaine d’otages israéliens, morts ou agonisants).


Quand le drapeau se désémantise

En linguistique, quand un mot est vidé de son sens, on dit qu’il est désémantisé. C’est souvent le cas des jurons par exemple : quand on s’exclame « merde » ou « putain », on n’évoque pas forcément des excréments ou une prostituée. Le drapeau palestinien s’est lui aussi désémantisé : de bannière d’un peuple, il est devenu une proclamation de vertueuse exécration. Par glissement, il est devenu un objet symbolique dont le message est : « Je suis comme vous, je déteste, vertueusement, les mêmes personnes. »

Car de tout temps et dans toutes les sociétés humaines, rien n’a jamais été aussi rassembleur que la haine et l’acharnement en meute contre une minorité. Les populistes, dictateurs et fascistes de tout poil l’ont bien compris. C’est notamment cette formule qui a fait le succès de Trump en 2016 : ce frénétique de la bouc-émissarisation (qui conspuait tour à tour les Mexicains, les Chinois, la presse, les démocrates et les élites intellectuelles) a su mieux que personne rallier derrière lui des gens qui avaient tout simplement besoin de détester quelqu’un et s’étaient trouvé un chef de meute pour se ruer dans la bonne direction.

Il faut être aveugle et sourd pour ne pas voir que derrière ce drapeau, il y a un prétexte, et qu’il n’est pas question des souffrances, réelles, des Gazaouis, sauf à admettre qu’on se tamponne le coquillard de toutes les autres souffrances humaines. Et que chaque personne qui le brandit a ses propres raisons de le faire : les élus parce qu’ils ont compris que la haine était le meilleur des ciments populaires et qu’occupés à s’écharper sur un conflit auquel ils ne connaissent pas grand-chose, les électeurs les suivent comme un seul homme, et les citoyens parce que pétris d’ennui et de paresse intellectuelle, ils y trouvent un moyen de défouler leurs plus bas instincts tout en se drapant dans une vertu aux couleurs de pastèque.