DÉCRYPTAGE – La deuxième puissance mondiale craint la chute du régime des mollahs, partenaire clé dans une région essentielle à sa sécurité énergétique.
Par Sébastien Falletti, correspondant en Asie
En pleine escalade au Moyen-Orient entre Israël et l’Iran, le porte-avions nucléaire américain USS Nimitz appareille vers la région afin d’offrir des options militaires supplémentaires à Donald Trump, délaissant la mer de Chine méridionale où il patrouillait ces derniers jours. Une maigre consolation pour Pékin qui dénonce rituellement les incursions de l’US Navy dans ces eaux disputées en Asie-Pacifique, où l’USS Carl Vinson doit bientôt prendre le relais. Mais la deuxième puissance mondiale ne cache pas son anxiété alors que la crise conflit menace d’embraser une région essentielle à ses approvisionnements énergétiques et sur laquelle elle n’a que peu de prise.
Face au cavalier seul de Benyamin Netanyahou et à l’ambiguïté stratégique distillée par le président américain, Xi Jinping a exprimé sa « profonde inquiétude », le 17 juin, appelant à la désescalade, proposant les bons offices de la Chine. « Toutes les parties doivent œuvrer pour que le conflit s’apaise au plus vite et pour éviter une nouvelle escalade des tensions », a déclaré le dirigeant chinois depuis le Kazakhstan, en plein sommet avec les pays de l’Asie centrale. Le régime communiste a déjà évacué 800 de ses ressortissants en Iran, appelant ceux en Israël à quitter le pays « dès que possible » via la Jordanie.
Le Moyen-Orient fournit à la Chine environ la moitié de son pétrole
En plein bras de fer commercial avec l’Amérique, le régime accuse Trump de « jeter de l’huile sur le feu », après les appels du président américain aux habitants de Téhéran à « évacuer » la capitale. « Proférer des menaces et exercer des pressions ne fera qu’intensifier les tensions et étendre le conflit », a prévenu un porte-parole du ministère des Affaires étrangères. La Chine redoute que le conflit « puisse devenir incontrôlable », poussant la région vers « un gouffre inconnu », a déclaré mercredi Wang Yi, le chef de la diplomatie chinoise, lors d’appels avec ses homologues d’Égypte et d’Oman. Avec des préoccupations géostratégiques à long terme, dépassant les fluctuations des cours de l’or noir.
L’empire du Milieu redoute un conflit généralisé dans une région clé pour ses approvisionnements énergétiques, synonyme de volatilité pour la croissance mondiale, et menaçant ses positions diplomatiques gagnées pas à pas dans cette chasse gardée américaine ces dernières années. Le Moyen-Orient fournit à la Chine environ la moitié de son pétrole, selon le Centre for Strategic and International Studies (CSIS), et 60 % de ses approvisionnements en énergie selon la People’s Tribune, revue de recherche affiliée au Quotidien du peuple.
La Chine est profondément préoccupée par l’escalade pour des raisons de sécurité énergétique et de positionnement géopolitique. Toute perturbation menace ses importations et donc sa stabilité économique
Emilie Tran, chercheuse à la Hongkong Metropolitan University
L’envolée des cours du brut et les perturbations des approvisionnements en provenance du Golfe sont une mauvaise nouvelle pour le géant asiatique, qui bataille pour relancer une croissance en berne. « La Chine est profondément préoccupée par l’escalade pour des raisons de sécurité énergétique et de positionnement géopolitique. Toute perturbation menace ses importations et donc sa stabilité économique. L’instabilité régionale compromet également ses nouvelles routes la soie, projet stratégique du président Xi », juge Emilie Tran, chercheuse à la Hongkong Metropolitan University. Néanmoins, Pékin peut voir venir grâce à des stocks de réserve de brut au plus haut accumulés ces trois derniers mois par précaution, lui permettant d’amortir la hausse des prix jusqu’en août selon les analystes.
Un partenaire autoritaire précieux
L’avenir de l’Iran est l’autre enjeu qui tenaille les stratèges de Zhongnanhai. Après la chute de Bachar el-Assad en Syrie, un vacillement de la République islamique priverait Pékin d’un point d’appui précieux dans la région. Les appels à la « reddition » de l’Iran lancés par la Maison-Blanche attisent le spectre d’un « changement de régime » assumé par le premier ministre israélien à l’encontre des mollahs et d’un big bang régional plein d’incertitude. Principal bailleur de Téhéran, la Chine a dénoncé l’attaque israélienne, malgré ses relations anciennes avec Tel-Aviv. « Nous nous opposons à toute action qui porte atteinte à la souveraineté d’autres pays », a ajouté Xi, qui n’a jamais dénoncé l’invasion russe de l’Ukraine lancée par son « vieil ami » Vladimir Poutine. Un réflexe reptilien du Parti, hanté par la chute de l’URSS et les « révolutions de couleur » fomentées par l’Occident. Pékin redoute de perdre un partenaire autoritaire précieux, résolument anti-occidental, relais d’influence de sa diplomatie dans la région et le « Sud global ».
Xi avait pu se profiler en « faiseur de paix » en 2023 en y parrainant le rapprochement spectaculaire entre la République islamique chiite et l’Arabie saoudite sunnite, dans le dos de Washington. Aujourd’hui, le dirigeant présente du bout des lèvres une offre de « médiation », mais est condamné à la prudence face aux missiles israéliens s’abattant sur la capitale de son « partenaire stratégique ». La Chine ne « peut rester les bras croisés », a martelé Wang, mais elle reste prudemment en retrait du chaudron, faute de leviers décisifs, et par crainte de se brûler. L’attaque de Tsahal et le blanc-seing des États-Unis « sont contraires aux intérêts et à la philosophie de la Chine, mais elle ne peut rien faire de substantiel pour l’empêcher », juge Shi Yinhong, professeur à l’université Renmin, à Pékin.
« La Chine est un ami par temps clair »
La Chine possède certes une lourde influence à Téhéran, représentant un débouché indispensable à la survie du régime des mollahs, absorbant 90 % des exportations de pétrole iranien, dribblant les sanctions américaines. Pékin a promis d’investir 400 milliards de dollars en Iran en 25 ans en retour d’approvisionnement pétrolier à prix réduit, selon un accord de coopération conclu en 2020. De quoi plaider en coulisse en faveur d’un compromis pour prévenir un effondrement cataclysmique, source d’instabilité, qu’abhorrent les stratèges rouges. Quitte à pivoter vers les nouveaux maîtres du pouvoir en cas d’improbable « révolution » dans les rues de l’ancienne Perse. « La Chine est un ami par temps clair, mais n’a aucun intérêt à être entraînée dans un rôle sécuritaire loin de ses bases », juge John Sawers, ancien patron du MI6, dans le Financial Times.
La Chine ne dispose ni de la capacité militaire ni de la volonté de projeter sa puissance au Moyen-Orient à une échelle qui pourrait changer le cours du conflit
Emilie Tran, chercheuse à la Hongkong Metropolitan University
L’accélération de la crise et l’éventuelle entrée en scène des États-Unis laissent peu d’espace à la diplomatie et la Chine adopte une stratégie attentiste familière, tout en appelant à un « cessez-le-feu ». « Pékin redoute tout changement de régime brutal et offre une bouée de sauvetage à l’Iran, mais son soutien n’est pas illimité. Malgré sa rhétorique, son influence concrète sur la crise reste limitée. La Chine ne dispose ni de la capacité militaire ni de la volonté de projeter sa puissance au Moyen-Orient à une échelle qui pourrait changer le cours du conflit », juge Tran.
La crise offre néanmoins l’opportunité au pays de Mao de parfaire sa stature de porte-voix des pays du Sud, en dénonçant bruyamment « l’interventionnisme » d’Israël et de ses alliés occidentaux aux relents « néocoloniaux ». Se drapant en champion de la cause palestinienne, Pékin soigne ses relations avec les chancelleries comme les populations des pays émergents, axe stratégique de la diplomatie planétaire de Xi Jinping. Tout en guettant une éventuelle recomposition du Moyen-Orient, fort de ses relations grandissantes avec les pays du Golfe, en particulier l’Arabie saoudite.