ANALYSE – En s’attaquant aux programmes nucléaires et balistiques de l’Iran, Israël tente d’éradiquer une menace dont l’urgence était reconnue par les pays occidentaux et par une grande partie des États arabes.
Par Isabelle Lasserre
Il a dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas, en Israël et parfois aussi en Occident. En attaquant les installations nucléaires et balistiques iraniennes, Israël « fait le sale boulot pour nous tous », a estimé Friedrich Merz en marge du G7. Le chancelier allemand s’est félicité de l’affaiblissement du régime iranien, qui « a apporté la mort et la destruction dans le monde ». Sans ces frappes, a-t-il dit, « nous aurions peut-être continué à subir pendant des mois et des années le terrorisme de ce régime, qui aurait peut-être même fini par se doter de l’arme atomique ».
Depuis la révolution iranienne en 1979, le régime appelle à la destruction d’Israël, voire à son « éradication ». Il a financé, armé, créé ou soutenu des groupes armés dans la région, devenus ses mandataires et les principaux artisans de la déstabilisation : le Hamas à Gaza, le Hezbollah au Liban, les houthistes au Yémen, les milices chiites en Irak. Soutien du terrorisme international, le régime iranien a envoyé son principal affidé, le Hezbollah, rejoindre le front ouvert contre Israël par le Hamas le 7 octobre 2023. « Nous sommes en guerre avec l’Iran depuis bientôt deux ans », rappelle l’ambassadeur israélien en France Joshua Zarka à ceux qui accusent Israël de s’être affranchi des règles du droit international en lançant une guerre préventive.
En Europe, tous les pays ne placent pas l’Iran au cœur de l’instabilité régionale. Contrairement au chancelier allemand, la France « ne partage pas la vision des Israéliens selon laquelle l’Iran est le principal problème dans la région et que s’il est réglé, tout ira mieux » affirme un haut dirigeant. Mais tout le monde convient que le chaos généré par les bras armés de l’Iran au Moyen-Orient a irradié la politique internationale et projeté son poison bien au-delà de ses frontières.
Éradiquer une menace urgente
En s’attaquant militairement aux programmes nucléaires et balistiques de la République islamique, le gouvernement israélien tente d’éradiquer une menace dont l’urgence était reconnue par les pays occidentaux et par une grande partie des pays arabes. Même la Russie et la Chine faisaient la moue devant les ambitions nucléaires de l’Iran. À l’avant-garde de la lutte contre la prolifération nucléaire, les diplomates français avaient bataillé pendant de longues années pour tenter d’enrayer le programme nucléaire iranien, avant et après la courte vie (2015-2018) de l’accord de Vienne, le JCPOA.
Redoutant une future crise de prolifération dans la région, qui aurait entraîné les pays sunnites, notamment l’Arabie saoudite, l’Égypte et la Turquie, à se lancer à leur tour dans l’aventure nucléaire si l’Iran devenait un État doté, les Français avaient toujours été, sur la question, les plus en phase avec les gouvernements israéliens. Et quand on l’interrogeait, il y a un an, sur ce que serait la réaction de la France en cas d’intervention militaire israélienne contre les sites nucléaires iraniens, voilà ce que répondait une haute diplomate française : « Nous soutiendrons Israël à la deuxième étape, pour l’aider à se défendre contre la réponse iranienne. »
Le nouveau chancelier allemand, qui par son franc-parler, ses opinions tranchées et ses choix clairs, apparaît comme l’exact opposé de son prédécesseur, a aussi affirmé qu’il avait « le plus grand respect pour le courage de l’armée israélienne » à assumer cette mission. En quelques jours, les résultats engrangés par les frappes militaires sont effectivement impressionnants. Selon des sources du renseignement israélien, Tsahal aurait déjà détruit, au 17 juin, 40 % des lanceurs, un tiers des missiles et un tiers des drones iraniens.
Échec de la diplomatie
Quant aux installations nucléaires, une grande partie a été considérablement endommagée. « À Natanz, il leur faudra du temps pour redémarrer l’enrichissement », estime une source diplomatique israélienne. Les installations souterraines de Fordo sont plus difficiles à atteindre sans les bombes antibunkers américaines. « Si les États-Unis nous aident, la guerre sera plus courte. Mais nous la poursuivrons de toute façon jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à ce que l’Iran n’ait plus la capacité de nous menacer. Et par la même occasion, de vous menacer. Nous la poursuivrons jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien à négocier pour l’Iran », poursuit la source diplomatique. Elle rappelle que la solution militaire succède à « vingt-trois ans d’échec de la diplomatie ».
Et si les experts occidentaux considèrent qu’il est vain de vouloir détruire complètement le programme nucléaire iranien, car on ne peut pas effacer le savoir-faire, les services de renseignements israéliens affirment vouloir relever le défi. « Nous allons effacer cette connaissance. Nous sommes en train d’éliminer, en plus des infrastructures militaires et nucléaires, tous les scientifiques qui sont au cœur du programme nucléaire. Nous détruisons aussi et nous nous emparons de toutes les archives nucléaires iraniennes », explique une source.
La guerre, dont les deux cibles désignées sont le programme nucléaire et le programme balistique, qui avaient récemment subi un coup d’accélérateur, s’étendra-t-elle jusqu’à obtenir la chute du régime ? De nombreux pays occidentaux, dont la France, en font une ligne orange. Leurs arguments sont réfutés par les Israéliens, qui espèrent qu’un changement de régime, outre le fait qu’il libérera les Iraniens de la dictature, qu’il rendra leur vie aux femmes qui manifestent au péril de leur vie pour pouvoir enlever leur voile, qu’il redonnera une chance à l’amitié historique et civilisationnelle entre la Perse et Israël, modifiera profondément les relations des pays de la région. « Si l’Iran n’est plus un pays révolutionnaire, il y a une chance pour qu’Israël puisse vivre en paix avec ses voisins », commente l’ambassadeur Joshua Zarka.
Mais les pays occidentaux craignent les changements de régime, en Russie comme en Iran. L’Irak et l’Afghanistan ont rappelé que la décapitation violente des dictatures ne finissait pas toujours bien. Et comme le dit un haut diplomate français : « Israël pousse l’Iran et Donald Trump à revoir leurs copies. L’opération militaire peut donc avoir des effets positifs. Mais elle est tellement risquée ! » Quel risque est-il préférable à l’autre ? C’est toute la question…