L’Iran refuse des négociations directes avec Washington sur le dossier nucléaire

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DÉCRYPTAGE – Donald Trump a menacé d’utiliser la force alors que le régime iranien n’a jamais été aussi près de la bombe nucléaire et qu’il pourrait choisir de s’en doter pour compenser sa faiblesse après l’effondrement de l’« axe de la résistance ».

Par Isabelle Lasserre

Avec l’Ukraine, le nucléaire iranien est l’autre dossier prioritaire de Donald Trump, qu’il a promis de régler le plus rapidement possible pour pouvoir se concentrer sur ce qui lui importe le plus, la menace chinoise. Mais sur le flanc est comme sur le flanc oriental, son ambition d’imposer un « deal » rapide et suffisamment solide pour ne plus avoir à se préoccuper de la situation pendant quelques années se heurte à la realpolitik et à l’intransigeance des autocrates. Face à celle de Vladimir Poutine, le président américain, pour l’instant, s’incline. Mais face à celle du président iranien, il hausse le ton et tape du poing sur la table.

Le 20 mars, il avait donné deux mois à l’Iran pour signer un accord sur le nucléaire. Son président, Massoud Pezechkian, a répondu dimanche qu’il rejetait l’idée de négociations directes avec les États-Unis sur le sujet. En cas d’échec des pourparlers sur le nucléaire, a-t-il prévenu, « il y aura des bombardements d’une ampleur jamais vue auparavant ». Qu’à cela ne tienne, a répliqué de son côté en substance l’ayatollah Khamenei, promettant une « riposte ferme » contre les États-Unis. L’Iran « n’aura d’autre choix » que de se doter de l’arme nucléaire, a ajouté son conseiller.

« Les Américains ont au moins dix bases dans la région autour de l’Iran, et ils ont 50.000 soldats », a mis en garde le général Amir Ali Hajizadeh, commandant de la force aérospatiale des Gardiens de la révolution, l’armée idéologique de l’Iran.

« Quelqu’un qui se trouve dans une pièce en verre ne devrait pas jeter la pierre à qui que ce soit », a-t-il ajouté.

Disparition de l’«axe de la résistance»

Avec l’Iran, Donald Trump rêve d’un meilleur accord que celui qui avait été signé en 2015, le JCPOA, dont il s’était retiré unilatéralement en 2018, lors de son premier mandat, dénonçant ses faiblesses. Destiné à ralentir le programme nucléaire iranien et non à l’éradiquer, le JCPOA ne prenait pas en compte le programme de missiles balistiques ni les activités déstabilisatrices de l’Iran dans la région. Aujourd’hui, le président américain, qui a promis d’empêcher l’avènement de la bombe iranienne, voudrait réintégrer ces deux dimensions dans un futur accord diplomatique, tout en poussant Téhéran à démanteler une partie de son programme.

En théorie, l’Iran, affaibli par la quasi-disparition de l’« axe de la résistance » au Moyen-Orient depuis la guerre israélienne menée contre le Hamas et le Hezbollah en réponse aux massacres du 7 Octobre, aurait intérêt, selon Washington, à opter pour le compromis. Pour le forcer, Donald Trump a appliqué sa politique de « pression maximale », basée sur la menace d’augmenter les sanctions. L’état catastrophique de l’économie iranienne devrait aussi, selon les diplomates américains, inciter Téhéran à faire preuve de souplesse.

12 jours pour fabriquer une bombe nucléaire

En réalité, c’est sans doute tout l’inverse qui se passe. « L’Iran ne négociera pas sous la pression », a prévenu l’ayatollah Khamenei. Depuis la nouvelle accélération du programme nucléaire en 2019, les Iraniens sont désormais tout près du but. Pourquoi renonceraient-ils maintenant alors qu’ils ne l’ont pas fait il y a dix ans, quand ils multipliaient les mensonges et les tricheries et construisaient secrètement de nouvelles installations clandestines à l’abri de la surveillance des Occidentaux ? « Le programme militaire iranien n’a jamais été aussi avancé. Nous sommes face à une grave crise nucléaire. Et si dans l’esprit de Donald Trump un accord signifie un démantèlement du programme iranien, il ne se passera rien », résume un diplomate. La plupart des experts considèrent qu’il ne faudrait aux Iraniens qu’une douzaine de jours pour fabriquer leur première bombe nucléaire, quand ils l’auront décidé. Et une année pour la miniaturisation et l’assemblage.

Le programme militaire iranien n’a jamais été aussi avancé. Nous sommes face à une grave crise nucléaire

Un diplomate

En faisant sauter le premier barrage de la dissuasion iranienne dans la région, l’affaiblissement des alliés de Téhéran, à Gaza et au Liban mais aussi en Syrie, avec la chute de Bachar el-Assad, a déstabilisé le régime. Le compromis avec les États- Unis serait une première manière de répondre à cette faiblesse. L’accélération du programme nucléaire, pour renforcer la dissuasion iranienne, en est une autre.

Cette hypothèse a la préférence des meilleurs spécialistes, qui rappellent que certains dirigeants, dans leurs discours, évoquent désormais la possibilité d’un changement de doctrine nucléaire, voire d’une sortie du traité de non-prolifération (TNP). Pourquoi en effet les Iraniens offriraient-ils aux États-Unis un meilleur accord que celui de 2015 alors qu’ils ont depuis largement progressé dans tous les domaines de leur programme militaire ? Et que le processus de « snapback » prévu par le JCPOA pour permettre le rétablissement des sanctions expire le 18 octobre 2025 ?…

 

Fenêtre de tir pour Israël

« Je préférerais un deal à l’autre possibilité », a dit Donald Trump. Mais alors que, comme en Ukraine, l’espoir d’un accord rapide s’éloigne, la tentation de la force revient dans le débat, à Washington comme à Tel-Aviv. En Israël, les partisans des frappes militaires considèrent que la période actuelle présente une fenêtre de tir unique pour agir contre le programme iranien, considéré comme une menace existentielle. Le déclin de l’axe pro-iranien au Moyen-Orient a affaibli le pouvoir de Téhéran. Mais, surtout, les interventions menées par Israël en octobre, en représailles aux attaques lancées par l’Iran contre l’État hébreu, ont détruit les batteries aériennes S300 qui protégeaient les sites stratégiques. En cas d’intervention militaire, le ciel iranien est désormais libre pour les avions israéliens et américains.

Si l’hypothèse d’un bombardement des sites nucléaires iraniens est envisagée à Washington comme à Tel-Aviv, personne n’en sous-estime la difficulté. En 1981, Israël avait facilement détruit le réacteur nucléaire d’Osirak, en Irak. En 2007, une opération similaire avait été lancée contre celui d’al-Kibar, en Syrie. Mais en Iran les sites sont multiples, disséminés dans le pays et surtout enterrés. Israël pourrait difficilement agir sans les États-Unis, qui possèdent à la fois les avions ravitailleurs et les bombes anti- bunkers dont l’État hébreu aurait besoin.

L’utilisation de la force ne fournirait en outre qu’un répit aux Israéliens, aux Américains et aux Européens qui ont investi, notamment les Français, depuis plus de vingt ans pour empêcher une nouvelle crise de prolifération nucléaire en essayant de contenir le programme iranien. « Cela réglerait le problème pendant trois ou quatre ans. Puis ça recommencerait, car on ne peut pas annuler la connaissance nucléaire des Iraniens », explique un diplomate israélien. Mais, comme le dit un spécialiste français de la prolifération, « un retard de quelques années, c’est toujours mieux que la bombe iranienne ».