DÉCRYPTAGE – Christophe Gomart (LR), député européen, invite à plus de vigilance sur les milliards annoncés pour la reconstruction du pays. Christelle d’Intorni (UDR) demande une commission d’enquête sur la diplomatie française.
Par Emmanuel Galiero
Les massacres perpétrés en Syrie contre les Alaouites, trois mois après la chute de Bachar el- Assad, ont provoqué un sursaut d’effroi et de prudence dans le monde parlementaire. Depuis son installation le 8 décembre, le nouveau pouvoir est observé avec circonspection car son incarnation, Ahmed Hussein al-Charaa connu sous le nom de guerre Abou Mohammed al- Joulani, fut reliée à des organisations terroristes. Et si la France a salué la fin de la dictature el- Assad comme l’ouverture d’une nouvelle page politique pour ce pays frontalier du Liban, de la Jordanie, de l’Irak, de la Turquie et de la Méditerranée, certains observateurs estiment qu’il serait plus sage d’attendre avant d’ouvrir les vannes d’un soutien financier, au-delà des aides de premières urgences jugées indispensables. « Les bons sentiments ne font pas une politique, ni une stratégie », met en garde le député européen LR, Christophe Gomart qui fut le directeur du renseignement militaire français et siège désormais au sein de la commission sécurité et défense au Parlement européen.
« L’État de barbarie est tombé. Enfin », avait commenté Emmanuel Macron le 8 mars, dès les premières heures de la victoire des rebelles de Hayat Tahrir al-Cham (HTC), l’ancienne branche syrienne d’al-Qaida, qui se définit comme un mouvement islamiste révolutionnaire syrien. Pour sa part, le ministère français des Affaires étrangères décrivait un « jour historique », tout en appelant au « silence des armes ». Mais selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, certaines communautés syriennes n’échappent pas aux violences et sont contraintes à l’exil.
Les ONG ont déploré près de 1500 morts dans l’ouest du pays, dont une majorité de civils.
Contrôler la bonne utilisation des fonds alloués
Pour le député européen Christophe Gomart, membre du Parti populaire européen (PPE), la situation exige une grande vigilance. Général de corps d’armée, il ne peut s’empêcher d’observer les choses du haut de son expérience professionnelle, lui qui fut aussi commandant des opérations spéciales françaises. Une alerte destinée à ses collègues élus, tant au Parlement européen que dans les hémicycles français. « Le nouveau président al-Joulani fut un adversaire direct de la France. C’est un terroriste. Je m’en méfie beaucoup parce que la volonté de ce pouvoir est d’instaurer un régime de charia dans tout le pays. Il dit qu’il veut reconstruire mais ce territoire reste une mosaïque. Tant mieux s’il lance une commission d’enquête sur les massacres mais entre dire et faire, il y a une différence », souligne-t-il.
Au-delà de cet appel à la méfiance, l’élu tire aussi la sonnette d’alarme sur les aides financières débloquées au niveau européen. L’engagement annoncé par la commissaire européenne Dubravka Suica le 17 mars, à l’issue de la neuvième conférence internationale des donateurs à Bruxelles, se situe à hauteur de 5,8 milliards d’euros, dont 4,2 milliards d’euros en dons et 1,6 en prêts, soit 2,5 milliards débloqués par l’Europe. Mais le parlementaire juge indispensable de prévoir des « conditionnalités » et d’obtenir des garanties vérifiables. Christophe Gomart ne remet pas en question l’aide d’urgence, ni la nécessité d’envoyer des signaux positifs en direction d’un pays meurtri par un quart de siècle de dictature mais si l’Europe veut être certaine de ne pas financer « la charia », il considère qu’elle doit se donner les moyens de contrôler la bonne utilisation des fonds alloués.
« L’argent est certainement une arme d’influence mais l’Europe en donne beaucoup. J’avais déjà dénoncé les fonds verts accordés à la Turquie pour financer des adaptations aux normes européennes. Dans le cas de la Syrie, il faut des clauses car nous devons avoir les moyens de vérifier la traçabilité des fléchages comme la nature des projets financés, en nous assurant que le régime prend bien en compte les besoins des différentes communautés non sunnites… Je note que nous allons donner plus d’argent à la Syrie que pour financer le réarmement d’Edip, notre programme européen pour l’industrie de la défense ». Le général juge urgent de ne pas se précipiter et d’avancer ces financements de manière progressive, par paliers, en s’appuyant sur le contrôle des diplomates que plusieurs pays européens s’engagent à rétablir sur le sol syrien, comme la France et l’Allemagne l’ont annoncé. « Dans ces pays où le pouvoir est mal établi, on peut supposer que la corruption reste, malheureusement, une réalité. C’est pour cela qu’il faut être prudent », insiste Christophe Gomart.
«Situation ahurissante»
À Paris, une autre parlementaire monte au créneau pour dénoncer la diplomatie française qu’elle accuse de « faute politique et morale ». Députée des Alpes-Maritimes et membre du groupe UDR présidé par Éric Ciotti, Christelle d’Intorni se dit inquiète sur le sort réservé aux communautés chrétiennes de Syrie, pays considéré comme l’un des berceaux du christianisme où le nombre de chrétiens ne cesse de s’effondrer depuis vingt ans (200.000 estimés aujourd’hui contre 1 million en 2001).
Critique à l’égard de l’activité diplomatique d’Emmanuel Macron conduite depuis 2017, elle déplore une « situation ahurissante » en regrettant que le chef de l’État ne « tienne pas compte » des avertissements lancés par certains parlementaires, tels le sénateur LR des Hauts-de-Seine Roger Karoutchi, l’eurodéputée CRE Marion Maréchal ou encore François Fillon.
Dans un message posté sur les réseaux sociaux le 9 mars, l’ex-premier ministre s’était fait l’écho des appels au secours lancés par les religieux chrétiens de Syrie face aux massacres de djihadistes, accusés d’œuvrer avec la complicité du nouveau régime. « J’en appelle au président de la République pour agir sur le gouvernement syrien qui ne peut pas se prévaloir de ses relations avec la France tout en laissant cyniquement faire ce qui pourrait devenir une opération d’élimination systématique des populations alaouites et chrétiennes ».
Cette semaine, la députée Christelle d’Intorni doit déposer une proposition de résolution sur le bureau de la présidente de l’Assemblée nationale demandant la création d’une commission d’enquête sur les « défaillances coupables » de la diplomatie française en Syrie. Le groupe UDR n’a pas encore décidé d’inscrire ce projet dans sa niche parlementaire de juin mais l’élue souhaite interroger les relations de la France avec la Syrie, tant à l’égard du régime el-Assad que du régime al-Joulani. « Faute politique et morale », « complicité », « incohérences », « défaillances », « inconséquences », « trahisons aux valeurs de la diplomatie française »… Dans l’exposé des motifs de cette résolution, auxquels Le Figaro a eu accès, la députée va jusqu’à dénoncer la promotion dans l’ordre des Arts et Lettres du photographe officiel du régime el-Assad, Ammar Abd Rabbo, élevé au grade de chevalier le 25 septembre 2017. Christelle d’Intorni estime que cette promotion allait dans le sens d’une « crédibilisation » regrettable du régime et devrait être révisée. Elle souhaite que les auditions permises dans le cadre d’une commission d’enquête puissent faire la lumière sur les liens « ambigus » liant la France et la Syrie. « Pour que les erreurs coupables d’hier ne se répètent plus », soutient-elle.