Le Liban, base arrière discrète du Hamas (Sunniva Rose – Le Figaro)

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Dans le camp palestinien d’al-Bass, dans le sud du Liban, l’eau des fontaines publiques est gratuite et potable. C’est assez rare pour être remarqué dans un pays où les camps palestiniens sont synonymes de misère, et où le niveau élevé de pollution oblige les habitants à boire de l’eau en bouteille.
Le Hamas, mouvement palestinien islamiste, affirme avoir installé trois unités de purification d’eau dans le camp. «Nous en avons aussi mis en place à Bourj Chemali, en plus d’avoir réparé des routes et construit un terrain de sport à Rachidié», énumère Abdel Majid Awad, responsable du Hamas à Tyr, en référence à deux autres camps palestiniens de la région. À l’entrée du bureau du jeune responsable, à la mise élégante dans son complet bleu foncé, des affiches de Palestiniens masqués, armés de pierres ou de kalachnikovs, rappellent l’histoire violente du mouvement en Israël.
Considéré comme une organisation terroriste par l’État hébreu et l’Union européenne, le Hamas se positionne comme un interlocuteur clé au Liban. Et ce malgré la méfiance réciproque entre Palestiniens et Libanais qui perdure depuis la participation de groupes armés palestiniens à la guerre civile (1975-1990).
Créé à Gaza par les Frères musulmans au début de la première intifada, le Hamas s’est exporté vers les camps palestiniens au Liban, au début des années 1990. Le mouvement islamiste est par la suite devenu la deuxième force politique palestinienne derrière le Fatah, parti non confessionnel fondé par Yasser Arafat, en 1959.
Au total, une petite vingtaine de factions palestiniennes sont représentées dans les 12 camps éparpillés dans le pays du Cèdre, des communistes aux islamistes les plus rigoristes. D’après un recensement récent conduit par l’État, le nombre de Palestiniens au Liban s’élève très exactement à 174 422.
À travers ses mosquées, ses cliniques et ses ONG, le Hamas est présent dans tous les camps. Dans le plus grand d’entre eux, Ein el-Héloué, près de Saïda, un peu moins de 90.000 personnes s’entassent sur un kilomètre carré. Le Hamas y possède une clinique, adossée à une mosquée également affiliée au mouvement. Dans la même rue, une grande banderole verte a été suspendue pour célébrer les 30 ans du Hamas: «Nous soutenons le droit au retour et les droits des Palestiniens au Liban.» Une position consensuelle dans le camp.

Liens avec le Hezbollah

Faten, jeune réfugiée syrienne d’origine palestinienne, attend dans la salle d’attente de la clinique Khalid ibn al-Walid, du nom d’un compagnon du Prophète. «Je viens tous les mois en ce moment pour mes dents. Je paie 5 dollars à chaque fois», explique-t-elle. La clinique ne tournerait pas sans donations internationales, notamment en provenance du Koweït. Le directeur montre avec fierté du matériel médical, financé par le petit pays du Golfe, à hauteur de 47.000 dollars.
Ce travail social permet au Hamas de jouir d’un certain poids politique, notamment dans la résolution de conflits. Comme l’armée libanaise ne rentre pas dans les camps, selon un accord datant de 1969, la sécurité est assurée par les factions palestiniennes. Mal coordonnées, elles peinent à remplir leur fonction et à éradiquer les groupuscules islamistes violents, en recrudescence depuis le début de la guerre civile syrienne.
Dans les ruelles étroites criblées de balles de Ein el-Héloué, on trouve encore des drapeaux noirs de l’État islamique peints sur les murs des maisons calcinées. Des affrontements entre le Fatah et des salafistes extrémistes ont fait une dizaine de morts en avril 2017.

«Le Hamas se pose en médiateur entre les groupuscules extrémistes et les forces de sécurité palestiniennes, dominées par le Fatah»

Nicolas Dot-Pouillard, chercheur associé à l’Institut français du Proche-Orient, à Beyrouth

Grâce aux bonnes relations qu’il a gardées avec le Fatah – malgré les tensions entre les deux partis à Gaza – ainsi qu’avec les islamistes les plus radicaux, le Hamas a joué un rôle d’intermédiaire pour mettre fin aux combats. «Comme le Hamas est un mouvement islamiste, il se pose en médiateur entre les groupuscules extrémistes et les forces de sécurité palestiniennes, dominées par le Fatah», indique Nicolas Dot-Pouillard, chercheur associé à l’Institut français du Proche-Orient, à Beyrouth.
«Nous coopérons aussi avec les appareils sécuritaires libanais pour pousser les personnes recherchées par l’État à quitter le camp», ajoute Ayman Chanaa, responsable du Hamas à Saïda. Certains djihadistes ont été remis aux autorités libanaises. D’autres ont rejoint des groupes rebelles en Syrie.

Le Hamas peut aussi compter sur un allié local de poids: le Hezbollah. Même si le Hamas est sunnite et que le Hezbollah est chiite, les deux mouvements politico-militaires ont construit leur identité sur la «résistance» à Israël. Les relations sont cordiales aujourd’hui, malgré les vives tensions nées de la guerre civile syrienne. Pour avoir pris le parti des rebelles contre Bachar el-Assad, le Hamas a été expulsé de Syrie en 2012, tandis que Hezbollah se bat aux côtés du régime.
Le QG du Hamas se trouve d’ailleurs dans un bâtiment résidentiel banal de la banlieue sud de Beyrouth, fief du Hezbollah. «Une mesure de sécurité», souligne Nicolas Dot-Pouillard. Une sécurité qui a été récemment mise à l’épreuve, lorsqu’un des cadres du Hamas a été la cible d’une tentative d’assassinat à Saïda en début d’année. Grièvement blessé par l’explosion de sa voiture, il a survécu. Le gouvernement libanais a rapidement arrêté plusieurs suspects accusés de collaboration avec Israël, qui a démenti toute implication dans l’attentat.