DÉCRYPTAGE – Le président russe a promulgué une loi lui permettant de se représenter au terme de son mandat en 2024.
Vladimir Poutine déteste plus que tout, dit-on, avoir à agir sous la pression des hommes et des événements. Et c’est de toute évidence pour garder toutes les cartes en main concernant son avenir politique qu’il a engagé l’an dernier une réforme lui permettant théoriquement de rester au pouvoir jusqu’en 2036, soit douze ans après la fin de son mandat actuel, qui s’achève en 2024.
Ce projet, inclus dans un paquet d’amendements constitutionnels approuvés par référendum en juillet dernier, a fait l’objet d’un projet de loi déposé en novembre, et voté le mois dernier par les deux Chambres du Parlement russe. C’est ce texte qui a été promulgué lundi par Vladimir Poutine.
Élu une première fois en 2000, il a été réélu en 2004, puis en 2012 et en 2018 – après avoir cédé provisoirement la place à Dmitri Medvedev entre 2008 et 2012. Au terme de son quatrième mandat, dans trois ans, l’homme fort de la Russie aurait dû en théorie se retirer, la législation russe n’autorisant pas un président à faire plus de deux mandats consécutifs. Mais selon le texte qu’il a promulgué lundi, «cette restriction ne s’applique pas à ceux qui occupaient le poste de chef de l’État avant l’entrée en vigueur des amendements à la Constitution» approuvés par le référendum de l’été 2020. Un scrutin, étalé sur une semaine pour cause de pandémie et qui s’était soldé par 78 % de «oui», mais dont l’opposition avait dénoncé les irrégularités. D’autres amendements votés à cette occasion introduisaient aussi dans la Constitution russe des principes conservateurs chers au président – foi en Dieu, mariage réservé aux hétérosexuels, enseignement patriotique.
Les spéculations demeurent sur l’ambition que nourrirait Vladimir Poutine d’exercer un magistère d’influence après avoir quitté formellement la fonction suprême, afin de garantir la pérennité du « système » qu’il aura mis en place en un quart de siècle de présidence
Désormais, Vladimir Poutine, âgé 68 ans, serait en droit de se représenter en 2024 ainsi qu’en 2030 et de demeurer au Kremlin jusqu’en 2036. Il aura alors 84 ans. Va-t-il se maintenir jusqu’à cette échéance? La réponse à cette question clé, à laquelle la Russie va être suspendue, sans doute pour pas mal de temps encore, n’a rien d’évident.
Les spéculations demeurent sur l’ambition que nourrirait Vladimir Poutine d’exercer un magistère d’influence après avoir quitté formellement la fonction suprême, afin de garantir la pérennité du «système» qu’il aura mis en place en un quart de siècle de présidence. On a ainsi évoqué l’exemple du Kazakhstan où Noursoultan Nazarbaïev, après trois décennies à la tête de l’État, jusqu’en 2019, conserve néanmoins les rênes en tant que président du parti au pouvoir et d’un Conseil de sécurité nationale. Nombre d’observateurs prêtent même à Vladimir Poutine un fort penchant pour ce que l’historien Russell Fitzgibbon – un spécialiste de l’Amérique latine – désignait d’un terme explicite, le continuismo. Selon Maxim Trudolioubov, du site d’information Meduza, le président russe a pratiqué depuis longtemps cet art du maintien au pouvoir, d’abord avec l’élection de Medvedev comme «président par intérim» en 2008, l’extension cette année-là du mandat présidentiel de quatre à six ans, et enfin la «remise à zéro» du compteur des mandats à laquelle il vient de se livrer. «Le président russe rejoint désormais le club fermé des dirigeants qui ont levé plus de deux fois les obstacles constitutionnels à leur longévité politique», relève Maxim Trudolioubov, citant, pêle-mêle, Filip Vujanovic (Monténégro), Boris Tadic (Serbie), Rafael Correa (Équateur), Evo Morales (Bolivie) ou Hugo Chavez (Venezuela).
Déchéance des gérontes soviétiques
En Russie, «qu’ils passent dans la foulée une loi octroyant au président la vie éternelle», a ironisé lundi sur Twitter, Evguéni Roïzman, détracteur résolu du Kremlin et ex-maire d’Ekaterinbourg. D’autres observateurs doutent que Vladimir Poutine souhaite conserver la présidence durant six mandats, instruit par la déchéance des gérontes soviétiques Leonid Brejnev, Youri Andropov et Konstantin Tchernenko. Mais son exigence serait de rester le maître des horloges. «L’incertitude quant à la date de la cessation de ses fonctions est précisément ce que Vladimir Poutine cherche à obtenir», souligne Maxim Trudolioubov.
Dans le même esprit, Vladimir Poutine avait lui-même plaidé pour la réforme constitutionnelle, en expliquant que si les amendements ne sont pas adoptés, «il n’y aura d’yeux que pour la recherche d’un successeur, nuisant ainsi, à tous les niveaux, au bon fonctionnement du gouvernement».
Le président russe, qui n’évoque jamais sa succession, se donne ainsi le temps de faire émerger, ou non, un futur dirigeant
Le président russe, que 63 % des Russes continuent d’approuver, selon un sondage de l’institut Levada, et qui n’évoque jamais sa succession, se donne ainsi le temps de faire émerger, ou non, un futur dirigeant. Des élections législatives sont prévues en septembre prochain. Malgré l’absence d’une concurrence politique réelle, l’opposition, elle, veut croire que «la question de la durée d’un tel régime dépend de la manière dont il sera combattu», selon le mot du politologue Grigory Golosov.