Les présidents américain et russe ont fait campagne pour le premier ministre israélien, lors des élections générales du 9 avril. Il faut dire qu’ils ont beaucoup de points en commun, liste l’éditorialiste Alain Frachon dans sa chronique.
Ce mercredi 10 avril, à la Maison Blanche et au Kremlin, on se préparait à fêter la nouvelle avec la même et intense satisfaction. On restait prudent, bien sûr : la vie politique israélienne peut réserver des surprises. Mais le candidat de Donald Trump et de Vladimir Poutine est le mieux placé pour former le prochain gouvernement. En ce lendemain d’élections générales en Israël, « Bibi » est en tête. Ses tontons respirent.
L’Américain et le Russe ont ostensiblement fait campagne pour Benyamin Nétanyahou. Ce parrainage affiché à l’avance était, qu’ils le veuillent ou non, une manière de feu vert implicite à la politique que le chef du Likoud, la droite israélienne, entend mener à l’adresse des Palestiniens : l’enterrement définitif de la solution dite des deux Etats – un Etat palestinien aux côtés d’Israël.
Sur le point de réaliser un vieux rêve
Nétanyahou n’a pas caché ses intentions. Il va poursuivre la colonisation de la Cisjordanie. S’il exerce un cinquième mandat, il étendra la loi israélienne à toutes les implantations dans ce territoire palestinien. Cela revient à annexer une bonne partie de la Cisjordanie – rendant illusoire le projet d’en faire un jour le cœur d’un futur Etat palestinien. C’est une date dans l’histoire du conflit israélo-arabe.
Nétanyahou est poursuivi par la justice pour corruption. Il veut obtenir l’accord de ses partenaires de droite et d’ultradroite dans la prochaine coalition pour qu’ils votent une loi empêchant toute poursuite judiciaire contre un premier ministre en fonction. En contrepartie, ceux-ci seront d’autant plus à même d’exiger de « Bibi » la stricte application de leur programme : l’extension de la souveraineté israélienne de la Méditerranée au Jourdain.
Grâce à la poursuite continue des implantations en Cisjordanie, territoire occupé depuis 1967, la droite israélienne est sur le point de réaliser son vieux rêve. Faible et divisé, le mouvement national palestinien a sa part de responsabilité. Contraire au droit international, l’annexion va être banalisée, parce que la colonisation est, de facto, tolérée. Pas d’hypocrisie : depuis quelques années, cette évolution s’est faite avec l’accord implicite de « la communauté internationale » – et, notamment, des Etats-Unis et de la Russie.
Une jolie performance diplomatique
Outre une bonne situation économique et sécuritaire, « Bibi » peut ajouter à son bilan à la tête du gouvernement – presque dix années sans interruption – une jolie performance diplomatique. Il a su profiter des infinis déchirements du Moyen-Orient pour marginaliser la question palestinienne. Celle-ci est découplée des relations qu’Israël peut entretenir avec les Etats-Unis, la Russie, la Chine, l’Inde ou les vingt-huit membres de l’Union européenne. A l’exception du monde arabe, l’état du dossier israélo-palestinien n’est plus un paramètre pris en compte par le monde extérieur dans ses relations avec Israël.
Adoubant « Bibi » avant le scrutin du 9 avril, Trump et Poutine ont parachevé cette évolution. A quelques jours du vote, le Russe a invité Nétanyahou à Moscou et l’Américain l’avait reçu un peu plus tôt à Washington. Trump a offert le plateau du Golan (syrien) à son hôte et Poutine, aujourd’hui l’un des maîtres de la Syrie, lui a remis les restes d’un soldat israélien porté manquant depuis le début des années 1980. Gestes destinés à souligner auprès de l’électorat israélien le crédit dont Nétanyahou dispose chez les « grands » de ce monde.
Un soupçon de penchant pour la corruption
Dans Orient XXI, le journaliste arabe israélien Marwan Bishara dresse le portrait du trio « Bibi »-Trump-Poutine : « trois vieux hommes blancs, nationalistes, populistes et machistes (…) partageant la même détestation de ce que représentait Barack Obama, le multiculturalisme et des idéaux de liberté ».
On pourrait ajouter chez eux un soupçon de penchant pour la corruption, un culot – une chutzpah, dirait-on en yiddish – à toute épreuve et une conception de la vie politique assez similaire : sur cette scène-là, il y a deux camps, « eux et nous », le reste étant « des traîtres ».
Les Russes ont des relations avec le Fatah et avec le Hamas, mais jamais la question palestinienne n’a empêché « Bibi » de développer des liens étroits avec Poutine – à la grande satisfaction de la communauté russophone d’Israël. Protecteurs de Damas, les Russes ont protesté pour la forme au feu vert américain à l’annexion du Golan syrien par Israël ; ils ont toujours laissé la chasse israélienne bombarder en Syrie les positions des alliés iraniens et libanais de Bachar Al-Assad.
Avec Trump, les choses sont plus simples. Il est le plus antipalestinien des présidents américains. Sur chaque dossier conflictuel, les républicains – et nombre de démocrates – défendent aujourd’hui la position de la droite israélienne et, pour bien faire, l’administration Trump a drastiquement coupé l’aide financière américaine aux Palestiniens (dont la représentation à Washington a été fermée).
Les formules d’annexion de la Cisjordanie (l’autre territoire palestinien, Gaza, devant être un problème à régler avec l’Egypte) devront se couler dans le « plan de paix » que Jared Kushner, le gendre du président, doit prochainement présenter. Cela ne devrait pas poser trop de difficulté tant la convergence de vues est forte entre Trump et Nétanyahou. Poutine regardant cela de son air triste mais compréhensif.
Post-Scriptum : Européenne de cœur et de raison, l’essayiste Catherine Guibourg parle de son sujet comme personne. Elle en a fait une pièce, drôle et profonde et, suprême mérite, contradictoire, Nous le peuple européen, six personnages en quête d’Europe, jouée par la compagnie professionnelle Tyr et Sidon. Première le 30 avril à Lourmarin (Vaucluse), tournée dans une douzaine de villes (du 2 au 24 mai) dont Paris (le 9 mai). L’Europe sur les planches.