Proche-Orient : Macron veut laisser sa chance à l’initiative de Trump

Share on facebook
Share on twitter
Share on linkedin
Share on print
Share on email

Le plan américain consisterait à reconnaître un État palestinien avec pour capitale Abou Dis, un faubourg de Jérusalem.

La Maison-Blanche, qui a récemment admis ne plus avoir de contact avec les dirigeants palestiniens depuis qu’elle a reconnu Jérusalem comme capitale d’Israël, verrait d’un bon œil que la France apporte son soutien à une initiative de paix désormais mal en point. C’est en tout cas ce qu’a fait savoir Jared Kushner à Jean-Yves Le Drian le 17 décembre dernier à Washington. Lors de cet échange, le gendre du président américain a présenté à son interlocuteur les grandes lignes du plan de paix sur lequel il travaille depuis près d’un an, sans cependant en dévoiler tous les détails. Dans la foulée, Emmanuel Macron a envoyé son conseiller diplomatique adjoint en mission à Ramallah afin de sonder les Palestiniens sur leur état d’esprit vis-à-vis de l’initiative américaine.

Selon un participant à l’entretien du 17 décembre, le plan échafaudé par Jared Kushner consisterait dans une première étape à reconnaître un État de Palestine ayant sa capitale dans le faubourg d’Abou Dis, à l’est de Jérusalem, et dont l’autorité s’exercerait d’emblée sur la bande de Gaza ainsi que sur environ 38% de la Cisjordanie. Des négociations débuteraient ensuite entre le gouvernement israélien et les représentants de l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) afin de déterminer les frontières définitives de cette entité ainsi que le sort des dizaines de colonies situées dans la zone C, qui recouvre les 60 % restant de ce territoire, et où résident actuellement près de 400.000 Israéliens. L’ampleur et la durée du maintien d’une présence militaire israélienne en Cisjordanie, tout comme la nature de la «juste solution» à apporter au problème des réfugiés, seraient également traitées dans le cadre des pourparlers. Le plan présenté à Jean-Yves Le Drian coïncide pour l’essentiel avec le compte rendu inquiet que le président Mahmoud Abbas a livré à plusieurs de ses interlocuteurs à l’issue de sa rencontre, en novembre dernier, avec le prince saoudien Mohammed Ben Salman.

Une France prudente

Quelles que soient les zones d’ombre qui l’entourent encore, la proposition américaine semble peu compatible avec les positions traditionnellement défendues par la France. Tout comme l’Union européenne, celle-ci estime que les négociations doivent être encadrées par des paramètres appelant à la création d’un État palestinien sur la base des frontières du 4 juin 1967, avec sa capitale à Jérusalem-Est. En reconnaissant le 6 décembre dernier que la ville sainte est la capitale d’Israël puis en indiquant, jeudi à Davos, que «le problème de Jérusalem a été retiré de la table», Donald Trump semble exclure un tel scénario – même s’il a par ailleurs indiqué que sa décision ne préjuge pas le tracé des frontières de cette souveraineté. En s’abstenant de toute référence aux lignes de 1967, son plan renforce par ailleurs la marge de négociation du gouvernement israélien tant sur le maintien des colonies au cœur de la Cisjordanie que sur la perpétuation d’une présence militaire dans la vallée du Jourdain. «Il évoque même de façon explicite la possibilité que les colonies demeurent sous souveraineté israélienne», assure une source bien informée.

Le France, en dépit de ces divergences de fond, opte à ce stade pour la prudence. La réflexion sur l’opportunité de reconnaître l’État de Palestine, brièvement relancée par la décision américaine sur Jérusalem, a depuis lors été mise en veille sur ordre d’Emmanuel Macron. Celui-ci a indiqué le 22 décembre ne pas vouloir répondre au geste de Donald Trump «par une erreur de type pareil». «Nous attendons d’en savoir plus sur les détails du plan américain avant de nous prononcer», dit un diplomate français, qui admet toutefois ne pas rester l’arme au pied. Comme l’a révélé la dixième chaîne de télévision israélienne, le conseiller diplomatique adjoint d’Emmanuel Macron, Aurélien Lechevallier, s’est rendu il y a une dizaine de jours à Ramallah afin d’y rencontrer Saeb Erekat, le négociateur en chef de l’OLP, ainsi que Majed Faraj, le patron des services de sécurité. Que se sont-ils dit? «Le diplomate français nous a demandé de calmer le jeu et d’examiner la proposition américaine avant de nous prononcer», confie, déçu et amer, un Palestinien qui a assisté à l’un de ces entretiens. «Faux», réfute une source française, qui évoque de simples consultations destinées à prendre le pouls de la direction palestinienne sur ses intentions après le coup de tonnerre du 6 décembre.

Craintes palestiniennes

Donald Trump, qui a de nouveau menacé jeudi dernier de couper les vivres aux Palestiniens «s’ils ne reviennent pas à la table des négociations», mise à l’évidence beaucoup sur le levier financier pour sortir de l’impasse. Lors de son entretien avec Jean-Yves Le Drian, Jared Kushner lui a assuré que l’Arabie saoudite est prête à débloquer des milliards de dollars afin d’accompagner la construction et le développement économique du futur État. En prolongement de ce chèque, Mohammed Ben Salman envisagerait d’engager, sans attendre un règlement final du conflit, une normalisation des relations entre Israël et les pays du Golfe afin de créer à terme une large alliance contre l’Iran.

Pressée par Riyad de renouer avec Washington et peu soutenue dans les faits par les autres grands pays arabes, la direction palestinienne craint de voir ses soutiens européens transiger à leur tour avec leurs positions pour donner une chance à l’initiative américaine. «Les pays qui essaient de nous convaincre d’attendre les Américains ne comprennent pas ce que Trump est en train de faire, s’alarme un officiel palestinien, alors que ses propos jeudi dernier à Davos devraient pourtant servir de signal d’alarme pour la France et beaucoup d’autres. Même si la Maison-Blanche finit par mettre quelque chose sur la table, on ne peut pas prétendre soutenir la solution des deux États tout en restant immobile face à l’extension inédite de la colonisation à laquelle nous assistons actuellement.»

Le Figaro