Le processus d’Oslo en état de mort clinique (Thierry Oberlé -Le Figaro)

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Vingt-cinq ans après la poignée de main entre Arafat et Rabin, la paix semble plus que jamais une chimère.

Le 13 septembre 1993, après six mois de tractations secrètes, Israël et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) signaient les accords d’Oslo. Vingt-cinq ans après la célèbre poignée de main entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin, l’interminable processus de paix est en état de décomposition. Ce jeudi, nul ne songe en Israël comme dans les Territoires palestiniens à célébrer l’événement. La paix est plus que jamais une chimère et l’idée de deux États coexistant côte à côte, l’un israélien, et l’autre palestinien, perd du crédit même parmi ses fidèles partisans.

Des jours d’enthousiasme, il reste en héritage le retrait de l’armée israélienne de certains secteurs des Territoires palestiniens et la reconnaissance du droit à l’existence d’Israël par l’OLP, à l’époque unique représentant des Palestiniens. Les deux camps représentés aujourd’hui par le gouvernement du premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, et par l’Autorité palestinienne du président Mahmoud Abbas sont également toujours liés par des accords économiques et par une coopération antiterroriste sans laquelle la relative stabilité sécuritaire pourrait voler en éclats.

Depuis des années, les négociations bilatérales sont à l’arrêt. Appuyé par son opinion publique, Benyamin Nétanyahou campe sur une ligne intransigeante.

Dressant un état des lieux dans les colonnes du Jérusalem Post, le politologue israélien Efraim Inbar estime que «le processus d’Oslo n’a pas abouti à une coexistence pacifique entre Israéliens et Palestiniens», mais il y voit un avantage. «S’il n’a pas réussi à instaurer la paix et la sécurité pour Israël, il a beaucoup soulagé l’État juif du fardeau palestinien. La présence militaire israélienne limitée en Cisjordanie ne se préoccupe que marginalement du bien-être des Palestiniens ; la sécurité des Israéliens est son principal objectif. Israël n’est plus responsable des Palestiniens, et ils sont seuls.» Seuls et dans l’impasse.

Depuis des années, les négociations bilatérales sont à l’arrêt. Appuyé par son opinion publique, Benyamin Nétanyahou campe sur une ligne intransigeante. Aux commandes du pays depuis bientôt une décennie, après un premier mandat de 1996 à 1999, il dirige un gouvernement de coalition dont des poids lourds réclament l’annexion d’une grande partie de la Cisjordanie. Ces derniers, ouvertement opposés à un État palestinien, n’ont pas de mots assez durs pour condamner les accords d’Oslo.

En face, le vieillissant Mahmoud Abbas est réduit à un rôle de figurant. La marge de manœuvre du dirigeant palestinien, affaibli par une série de revers, est de plus en plus réduite. Son leadership est contesté par le Hamas, qui dirige la bande de Gaza et refuse toujours de reconnaître Israël. Ses efforts pour une réconciliation entre l’Autorité palestinienne et les islamistes n’ont pas abouti. Mahmoud Abbas se raccroche aux accords d’Oslo, faute d’alternative, mais les habitants de la Cisjordanie doutent que des pourparlers permettent d’aboutir à la création d’un État souverain et ne croient plus, dans leur majorité, en l’Autorité palestinienne.

Dans ce marasme, l’entrée en scène tonitruante de Donald Trump a renversé les usages diplomatiques. La reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël, qui s’est traduite par le transfert de l’ambassade des États-Unis vers la ville sainte en mai, a brisé les tabous. Cette «claque du siècle», selon les mots de Mahmoud Abbas, a renforcé le refus obstiné des Palestiniens de revenir à la table des négociations. Le président américain tente depuis de leur forcer la main, tout en commençant à admettre qu’un accord israélo-palestinien est peut-être le plus difficile qui soit à conclure.

Sa politique de sanctions financières et politiques s’est traduite par la suppression des aides aux réfugiés et aux hôpitaux palestiniens de Jérusalem, et lundi par la fermeture du bureau de Washington de l’OLP, le signataire des accords d’Oslo. Donald Trump, qui n’a pas révélé quel était son plan pour relancer le dialogue, promet un accord diplomatique «ultime». En attendant Husam Zomlot, l’ex-représentant de l’OLP aux États-Unis qualifie les initiatives américaines de «liste des courses» de M. Nétanyahou.

Ancien négociateur des accords d’Oslo et de leur suivi, Nabil Shaat, juge les positions du président américain «fantaisistes».

Ancien négociateur des accords d’Oslo et de leur suivi, Nabil Shaat, juge, quant à lui, les positions du président américain «fantaisistes» tant sur le statut de Jérusalem que sur les questions des réfugiés ou de la création d’un État palestinien indépendant. «J’étais pour l’idée d’un État qui interdirait la discrimination, avec des juifs, des Arabes, des chrétiens vivant en paix et sans discrimination. Je l’ai écrit en 1969, mais Israël n’en voulait pas. En 1973, je me suis rallié à l’idée de deux États sur la base des frontières de 1967. Elle était pragmatique, viable et acceptable. Je ne vais pas changer d’avis», dit-il en dépit de vingt-cinq ans de désillusions.

L’absence de confiance entre Palestiniens et Israéliens renvoie ce projet aux calendes grecques. En Israël, selon un sondage réalisé en août par Israel Democracy Institute et l’université de Tel-Aviv, 47 % des personnes interrogées se déclaraient en faveur de la solution à deux États, 46 % y étaient opposées. Dans le même temps, 86 % des Israéliens considéraient que la probabilité de trouver une issue au conflit dans les douze prochains mois est «faible» ou «très faible».

Privilégiée par la communauté internationale, l’option de la création d’un État palestinien n’était pas mentionnée explicitement dans des accords d’Oslo considérés comme transitoires. Ce non-dit était sans doute l’une des faiblesses d’un arrangement détricoté avec une brève période d’euphorie. Car, très vite, les coups durs se sont multipliés. L’assassinat en novembre 1995 du premier ministre israélien Yitzhak Rabin par un extrémiste juif, puis le déclenchement en septembre 2000 de la deuxième Intifada, après l’échec du sommet de Camp David, ont engendré une montée des violences et du terrorisme et empoisonné un processus mal enclenché.

Les logements de colons se sont multipliés en Cisjordanie, sur des terres que les Palestiniens considèrent comme partie intégrante de leur futur État.

Pour la droite israélienne, qui a le vent en poupe, les accords d’Oslo portaient les germes de la deuxième Intifada et d’une violence toujours d’actualité. Les quelque 1600 morts israéliens, la plupart civils, et les milliers de blessés par des attaques terroristes et des tirs de roquettes palestiniens depuis 1993 témoignent de cet échec. Selon elle, la formule «terre contre sécurité» de Yitzhak Rabin n’a pas fonctionné. Moins sanglant que d’autres conflits qui endeuillent la région, l’affrontement a également coûté la vie à des milliers de Palestiniens. Plus de 3200 d’entre eux ont été ainsi tués entre janvier 2009 et avril 2018.

Dans le même temps, les logements de colons se sont multipliés en Cisjordanie, sur des terres que les Palestiniens considèrent comme partie intégrante de leur futur État. En 1993, lorsque Yasser Arafat et le premier ministre israélien Yitzhak Rabin se serrent la main à la Maison-Blanche, plus de 116.000 colons israéliens vivent en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, selon les chiffres de La Paix maintenant, une ONG israélienne anticolonisation. Ils sont désormais plus de 600.000 à coexister avec 3 millions de Palestiniens en Cisjordanie et à Jérusalem-Est alors que la bande de Gaza a été évacuée.

Les ultranationalistes appellent aujourd’hui à annexer la zone C de la Cisjordanie, où résident les 350.000 colons – voire l’ensemble de ce territoire devenu pour l’Autorité palestinienne une raison d’être. L’actuel statu quo est pour le pouvoir palestinien un moindre mal. Les aides financières de la communauté internationale sont pourvoyeuses d’emplois. Elles génèrent une relative prospérité économique. Une situation à laquelle Donald Trump entend mettre fin si Mahmoud Abbas ne cède pas à ses exigences.