Le premier ministre israélien est de plus en plus cerné par les affaires

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Le Figaro  – Cyrille Louis – correspondant à Jérusalem


Benyamin Nétanyahou affrontait son quatrième interrogatoire en moins de deux mois, le 6 mars dernier, lorsqu’il a soudain prié les policiers de l’excuser un instant. Le président des États-Unis, leur fut-il précisé, cherchait à le joindre en urgence. L’entourage du premier ministre a par la suite fait savoir que l’entretien entre les deux hommes avait duré une demi-heure, et qu’il avait porté sur «les dangers liés à l’accord sur le nucléaire iranien ». Un message à l’évidence calibré pour faire comprendre que le chef de l’exécutif, dont le nom est cité dans plusieurs enquêtes judiciaires, n’en continue pas moins d’assumer d’écrasantes responsabilités. «J’appelle mes amis de l’opposition à ne pas se réjouir trop vite, avait-il assuré quelques semaines plus tôt devant les instances dirigeantes du Likoud. Nous entendons rester ici et continuerons à diriger le pays pour de nombreuses années.»

À en croire les révélations distillées au cours des dernières semaines par Channel     2, Channel 10 et le quotidien Haaretz, le premier ministre israélien est visé de façon plus ou moins directe par au moins trois enquêtes. L’une porte sur les dons qu’il aurait reçus de riches hommes d’affaires, l’autre sur ses relations discrètes     avec un puissant patron de presse et la troisième sur les circonstances dans   lesquelles son gouvernement a acheté quatre corvettes et trois sous-marins   nucléaires au groupe allemand ThyssenKrupp. Dénonçant un complot ourdi par     ses opposants et encouragé par les médias, Benyamin Nétanyahou ne cesse de clamer son innocence. «Aucun crime n’a été commis et vous ne remplacerez pas       un premier ministre à la faveur d’une affaire», a-t-il déclaré en janvier devant la Knesset. Mais l’avancée de l’enquête, ponctuée par les auditions de ses proches et colorée par les indiscrétions peu glorieuses sur sa pratique du pouvoir, sème le doute. Son parti, usé par huit années d’un règne ininterrompu, plafonne dans les sondages. Et les candidats à sa succession ne dissimulent plus leur impatience.

Le premier dossier, baptisé «affaire 1000» par les enquêteurs, est sans doute le plus trivial – mais pas forcément le moins menaçant sur le plan judiciaire. La police soupçonne le premier ministre d’avoir sollicité, sur une période d’environ huit ans et pour un montant total estimé à plus de 100.000 euros, la générosité de riches hommes d’affaires pour améliorer l’ordinaire de sa famille. Le producteur israélien Arnon Milchan, qui a financé plus d’une centaine de longs-métrages dont Pretty Woman, admet avoir régulièrement fait livrer des caisses de cigares et de champagne rosé à Benyamin Nétanyahou, ainsi qu’à son épouse, Sarah. À une occasion au moins, il aurait aussi offert à cette dernière des bijoux dont la valeur est estimée à 8000 euros.   Arnon Milchan aurait indiqué aux policiers qu’il expédiait ces cadeaux à la   demande expresse du premier ministre. Le milliardaire australien James Packer,     qui possède une résidence voisine de celle des époux Nétanyahou dans la     bourgade huppée de Césarée, aurait, pour sa part, gracieusement hébergé leur fils Yaïr, lors d’un voyage aux États-Unis.

Intrigués par ces libéralités, les enquêteurs cherchent à savoir si elles ont fait l’objet d’une contrepartie. Arnon Milchan s’en défend, mais le journal Haaretz affirme que Benyamin Nétanyahou est intervenu en sa faveur auprès du secrétaire d’État américain John Kerry pour faciliter le renouvellement de son visa de long séjour aux États-Unis. Le premier ministre israélien évoque, pour sa part, de simples cadeaux entre amis, et assure que les sommes avancées par la presse sont sans lien avec la réalité.

La proposition ratée de Benyamin Nétanyahou au propriétaire du quotidien Yedioth Ahronoth, opposé au premier ministre israélien, en échange du blocage de la distribution du journal concurrent, Israel Hayom

L’«affaire 2000», dans un tout autre registre, éclaire les relations complexes de Benyamin Nétanyahou avec l’univers des médias. Elle a démarré par la mise au jour, apparemment fortuite, de négociations secrètes qu’il aurait engagées avec le patron de presse Arnon Mozes. Propriétaire du quotidien Yedioth Ahronoth, celui-ci est depuis longtemps la bête noire du premier ministre, qui l’accuse d’utiliser son influent journal pour le déstabiliser. On imagine la surprise des enquêteurs lorsqu’ils ont découvert l’enregistrement d’une conversation entre les deux hommes dans le téléphone d’un ex-collaborateur de Nétanyahou. À en croire les extraits retranscrits par la presse, le premier ministre aurait proposé à Mozes de bloquer la distribution gratuite du quotidien Israel Hayom, dont le lancement, en 2008, a torpillé les ventes du Yedioth, en contrepartie d’un traitement plus favorable. «Je te parle de réduire le niveau d’hostilité à mon encontre de 9,5 à 7,5», aurait précisé Benyamin Nétanyahou. «Si on tombe d’accord, lui aurait répondu Mozes, je ferai tout mon possible pour que tu puisses rester à ce poste aussi longtemps que tu le souhaiteras.»

Ces pourparlers ont finalement capoté et l’affrontement entre les deux hommes a redoublé de violence durant la campagne des législatives du printemps 2015.

Mais l’opposition estime que leur teneur trahit une volonté de contrôle incompatible avec les fonctions occupées par Benyamin Nétanyahou. Sous le feu des critiques, celui-ci s’est d’ailleurs tout récemment résigné à «lâcher» le ministère de la Communication, qu’il disait jusqu’alors vouloir se réserver pour réformer le secteur.

Les enquêteurs chargés de l’«affaire 3000», enfin, s’intéressent à l’annulation inexpliquée d’un appel d’offres portant sur l’acquisition de quatre corvettes destinées à la surveillance des champs gaziers israéliens en Méditerranée. Sitôt la procédure interrompue, fin 2014, le gouvernement a passé commande de ces navires, ainsi que de trois sous-marins nucléaires, directement auprès du constructeur allemand ThyssenKrupp. Le ministre de la Défense de l’époque, Moshe Yaalon, affirme qu’il était personnellement opposé à ce revirement. Les investigations se concentrent désormais sur le rôle     joué par l’avocat israélien David Shimron, qui est, à la fois le conseil personnel de Benyamin Nétanyahou, et celui d’un agent du groupe ThyssenKrupp impliqué   dans ces transactions.

Le soupçon d’avoir passé commande de ces navires sur la base de considérations qui ne seraient pas exclusivement techniques menace d’agir, s’il devait prospérer, comme un poison redoutable. «Se faire offrir des cigares et du champagne n’est sans doute pas très reluisant, mais nous parlons ici d’une affaire autrement plus grave, estime le député travailliste Erel Margalit, qui enquête depuis plusieurs mois sur ces contrats et vient d’obtenir l’ouverture d’une information judiciaire. La plupart des citoyens israéliens considèrent en effet que les questions de sécurité sont sacrées. L’idée qu’un de nos dirigeants puisse gagner ne fût-ce qu’un shekel sur l’acquisition de matériel essentiel pour notre défense provoquerait, à coup sûr, un choc sans précédent dans l’opinion.»