Politique étrangère : qu’est-ce qui différencie Fillon et Juppé ?

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LE MONDE | Par Marc Semo

Les deux finalistes de la primaire de la droite s’opposent nettement sur le conflit syrien et en général sur ce que devrait être la politique française au Moyen-Orient.

L’un et l’autre veulent rendre à nouveau audible la voix de la France. Tous deux sont issus du gaullisme mais ils n’en ont pas moins une approche sensiblement différente des grands problèmes du monde et des défis à relever pour l’Union européenne (UE).
Ancien premier ministre de Nicolas Sarkozy, François Fillon est un « séguiniste » devenu libéral mais resté plutôt souverainiste qui appelle « à bâtir une nouvelle Europe plus respectueuse des nations ». Il insiste notamment sur l’intergouvernemental et les coopérations bilatérales. C’est un peu vieux jeu. Sur la carte de l’Europe qui illustre son programme sur Internet, il y a encore les deux Allemagnes ; les réseaux sociaux s’en sont donnés à cœur joie.
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Ancien titulaire de Matignon lui aussi, et deux fois ministre des affaires étrangères, Alain Juppé est un « chiraquien » qui n’hésite pas à assumer des interventions militaires au nom de l’humanitaire. Européen convaincu, il s’inquiète des risques de « dislocation » de l’UE.
Soulignant que « rien ne pourra se faire sans un couple franco-allemand qui fonctionne et qui ne peut bien fonctionner que s’il est équilibré », il insiste notamment sur la nécessité de construire « une Europe puissance comme l’un des grands pôles du monde de demain ».


Fillon et « le risque d’une France hors-jeu »

Les deux candidats à la candidature des Républicains (LR) s’opposent en revanche nettement sur le conflit syrien et en général sur ce que devrait être la politique française au Moyen-Orient.

« François Fillon se revendique du réalisme dans les relations internationales, c’est-à-dire d’une conception centrée avant tout sur les intérêts et les rapports de force », explique Serge Grouard, député (LR) du Loiret et chargé du « projet » dans l’équipe du candidat, soulignant « le risque, après la victoire de Donald Trump, d’un renforcement d’un binôme américano-russe mettant la France totalement hors-jeu ». La vision d’Alain Juppé s’inscrit dans la continuité de l’action diplomatique française de ces quinze dernières années et d’un resserrement du lien transatlantique. « Cela veut dire affirmer des valeurs communes, comme les droits de l’homme et la démocratie, mais aussi être capable de prendre quand il le faut ses distances par rapport à Washington et aussi de parler franchement à tout le monde », explique le député européen (LR) Arnaud Danjean. Proche du maire de Bordeaux pour les questions internationales, il souligne que « le dialogue avec Moscou ne doit pas signifier pour autant qu’il faille s’aligner sur les positions russes ou reprendre à son compte le narratif du Kremlin sur la lutte contre le terrorisme ».

Juppé écarte toute alliance avec Assad

La priorité des priorités pour François Fillon est, comme le clame le titre de son dernier livre, de « vaincre le totalitarisme islamique ». « Nous ne sommes pas confrontés à une menace ponctuelle, passagère, mais à un mouvement puissant, visant à prendre le contrôle d’une grande partie du monde avec des méthodes et une idéologie totalitaire, voire une tentation génocidaire à l’encontre des chrétiens d’Orient, des juifs qu’ils veulent expulser d’Israël », expliquait-il, début octobre, au site Atlantico, évoquant même « le risque d’une troisième guerre mondiale ». De ce constat découle son attitude vis-à-vis de Damas. « Il n’y a que deux camps en Syrie et non pas trois comme on le dit souvent. Le camp de ceux qui veulent mettre en place ce régime totalitaire [islamiste] et il y a les autres ; moi je choisis les autres », indiquait-il lors de l’un des débats télévisés d’avant le premier tour. François Fillon promet aussi « de rouvrir au moins un poste diplomatique pour avoir un canal de discussion avec le régime syrien ». Ce serait un tournant lourd de symbole. Paris avait décidé, en mars 2012, de fermer son ambassade et de rompre les relations avec le « boucher de Damas », coupable de massacrer son propre peuple. A l’époque, M. Fillon était premier ministre et M. Juppé ministre des affaires étrangères. Ce dernier, qui avait saisi toute la portée des printemps arabes assume ses choix. « En Syrie, nous sommes dans une impasse totale mais nous ne devons pas renoncer à l’exigence de justice et de paix pour le peuple syrien », répète-t-il volontiers. Il rappelle que si la priorité est de combattre l’EI, cela ne peut passer par une alliance avec Assad.

Des positions tout aussi tranchées sur la Russie

François Fillon estime, lui, que la diplomatie française s’est fourvoyée ces dernières années, « en s’accrochant à l’idée que tant que Bachar serait là, rien ne serait possible ». Certains de ses partisans, comme le député (LR) des Français établis hors de France, Thierry Mariani – il est par ailleurs vice-président du groupe d’amitié franco-russe à l’assemblée nationale –, et la députée (LR) des Bouches-du-Rhône Valérie Boyer, avaient pris le chemin de Damas, en mars, lors d’un voyage controversé. François Fillon s’y est toujours refusé. Mais il s’est engagé pour la défense des chrétiens d’Orient. Il appelle aussi à rééquilibrer en faveur de l’Iran les alliances de la France au Moyen-Orient, qui a misé sur les puissances sunnites et notamment l’Arabie saoudite accusée d’être « à l’origine du phénomène intégriste au sein de l’islam ». Face à Poutine leurs positions sont tout aussi tranchées. François Fillon se flatte de ses bonnes relations avec l’homme fort du Kremlin. Dans une intervention sur la chaîne publique russe, il a salué, le 23 novembre, « un homme politique qui se distingue nettement de ses homologues sur le reste de la planète ». Pour M. Fillon, la Russie est incontournable et pas uniquement dans la lutte contre le totalitarisme islamique. « L’enjeu est de savoir si l’on encourage un rapprochement de l’Europe avec la Russie, ou si on la rejette vers une Asie en passe de devenir le nouveau centre de gravité du monde », remarque Serge Grouard. Se disant « ni poutinolâtre, ni poutinophobe », Alain Juppé reconnaît la nécessité d’un dialogue politique avec la Russie tout en l’appelant « à tourner la page de l’après-guerre froide » et « à respecter les accords internationaux ». Une claire allusion à l’annexion par la force de la Crimée au printemps 2014, la première en Europe depuis la fin de deuxième guerre mondiale.