« Les Palestiniens de Syrie sont devenus très vulnérables »

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Les Etats-Unis ont gelé une partie de leur contribution à l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens au Proche-Orient.

La guerre qui ravage la Syrie n’a pas épargné les réfugiés palestiniens. Le conflit les a plongés dans la misère, ils côtoient la mort. Plus d’un sur cinq a fui le pays. Parmi ceux restés sur place, 60 % sont des déplacés : certains sont réduits à vivre dans des abris collectifs, d’autres sont parfois retournés s’installer, faute d’alternative, dans des camps en ruine ou exposés à des engins explosifs. Ils risquent d’être parmi les premiers à faire les frais des suppressions de subventions américaines à l’UNRWA, l’agence de l’ONU chargée des réfugiés palestiniens au Proche-Orient.

En décidant de geler plus de la moitié de sa première contribution annuelle, à la mi-janvier, Washington a aussi posé, de façon inédite, des conditions pour l’emploi de la somme dégagée : celle-ci est réservée à des activités de l’UNRWA à Gaza, en Cisjordanie et en Jordanie. L’organisation onusienne n’a reçu aucune assurance que d’autres versements suivront dans les mois à venir, de la part de son plus gros donateur. En 2017, les financements américains avaient couvert à hauteur de 60 % l’action d’urgence pour les Palestiniens de Syrie. Environ 438 000 vivent toujours dans ce pays en guerre.

Mercredi 31 janvier, l’UNRWA a lancé, depuis le Liban, un appel aux dons internationaux, plaidant pour l’octroi de 409 millions de dollars (330 millions d’euros) afin de répondre, en 2018, aux besoins humanitaires de ces réfugiés, restés en Syrie ou vivant un second exil dans les pays voisins. Sans de nouveaux financements, plusieurs aides d’urgence, comme l’allocation d’une somme mensuelle pour payer loyer ou nourriture, pourraient être suspendues dès le mois de mars. Ce serait un scénario catastrophe pour les Palestiniens de Syrie : 95 % d’entre eux sont devenus dépendants du soutien de l’UNRWA, quand moins d’un réfugié sur dix en avait besoin avant 2011.

« Ils sont très vulnérables »

Prenant la parole à Beyrouth, Mohammed Abdi Adar, le directeur de l’UNRWA en Syrie, a décrit de façon vibrante le dénuement de la communauté. « Les camps ont eu leur lot de combats », a-t-il rappelé. Sur les quelque 160 000 Palestiniens vivant à Yarmouk, dans la banlieue sud de Damas, ville qui s’est développée autour d’un camp, seuls 10 000 sont encore présents, selon l’UNRWA. Assiégé par l’armée syrienne et ses alliés, après être devenu une place forte de la rébellion dès 2012, Yarmouk a été largement détruite par les bombardements et les combats et est en majorité contrôlée aujourd’hui par des groupes extrémistes, dont l’organisation Etat islamique.

« Il y a une demande pour un soutien psychosocial dans nos écoles, c’est nouveau », a ajouté M. Adar, faisant référence aux traumatismes des enfants. Une partie des établissements scolaires administrés par l’UNRWA sont en ruine, d’autres ont été transformés en abris collectifs. L’agence de l’ONU a aussi payé un lourd tribut au conflit : dix-huit de ses employés ont été tués, et sept autres sont « portés disparus – présumés morts, kidnappés ou détenus », selon M. Adar.

La guerre a fait basculer plus de 80 % des Syriens sous le seuil de pauvreté et causé des millions de déplacés internes et d’exilés. Pour les Palestiniens, c’est aussi leur statut social, bâti au fil des ans depuis l’arrivée de la première génération, en 1948, qu’ils ont perdu. S’ils étaient privés de droits politiques, ils bénéficiaient d’une bonne intégration sociale : accès au travail, à l’éducation, à la santé…

« Les Palestiniens de Syrie sont devenus très vulnérables », déplore Laura Sunnen, membre de l’équipe de l’UNRWA en Syrie. Désespérés, soumis à de dures restrictions de la part des pays voisins lorsqu’ils tentent d’y trouver un répit, ces réfugiés ont été parmi les premiers à prendre la meurtrière route de la mer Egée afin de gagner l’Europe, avant la grande vague migratoire de l’année 2015.

Ceux qui ont fui vers le Liban y font l’amère expérience des discriminations imposées aux Palestiniens. Ils évoquent souvent avec nostalgie la « stabilité » sociale dont ils jouissaient en Syrie. Haya, 16 ans, originaire de Yarmouk, et désormais installée dans la banlieue de Beyrouth, espère que l’aide puisse, en temps voulu, permettre aux réfugiés de « retourner vivre [en Syrie] dans la dignité ». Rawane, 18 ans, veut émigrer pour « poursuivre ses études et aider [sa] famille. » Elle ne se voit pas d’avenir au Liban : 90 % des Palestiniens de Syrie y vivent dans la pauvreté.

L’UNRWA a beau opérer sur le fil du rasoir depuis plusieurs années, jonglant avec le manque de fonds, ses responsables sur le terrain sont unanimes. Pour eux, les mesures américaines, prises pour des raisons politiques – il s’agit, entre autres, de faire pression sur l’Autorité palestinienne, en rébellion ouverte depuis la reconnaissance unilatérale par Washington de Jérusalem comme capitale d’Israël – ont ouvert la voie à la crise financière la plus grave de son histoire. Pour Haya, une baisse de l’aide de l’UNRWA plongerait sa famille dans davantage de détresse, et « détruira[it] [leurs] rêves ». Le sien, dans l’immédiat, est de poursuivre sa scolarité, afin de devenir médecin.