Le gouvernement israélien à l’épreuve de Gaza

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La suite de la démission du ministre de la défense Avigdor Lieberman résume à la fois les mœurs du système parlementaire en vigueur et l’habilité de Benyamin Nétanyahou.

Tout ça pour ça. La scène politique israélienne a connu un psychodrame après la démission du ministre de la défense, Avigdor Lieberman. Cette séquence, conclue par la préservation d’une coalition famélique (61 sièges sur 120), résume à la fois les mœurs du système parlementaire en vigueur et l’habilité de son acteur central, Benyamin Nétanyahou. Le gouvernement le plus à droite de l’Histoire a failli se disloquer, prétendument parce que son chef ne penchait pas assez à droite. Les « faucons » ont fondu sur lui. Ils reprochaient au premier ministre d’avoir conclu un cessez-le-feu tacite avec le Hamas, maître de Gaza depuis 2007, alors même que les factions armées avaient déclenché un déluge de roquettes sur les villes israéliennes du Sud, le 12 novembre.
En reportant sur son ministre de l’éducation, Naftali Bennett, la responsabilité d’une éventuelle dissolution, M. Nétanyahou s’est joué de ses alliés. Ceux-ci ont préféré reculer et attendre que le fruit tombe de lui-même. Ils misent sur le fait que « Bibi » ne pourra sortir indemne des incendies sur sa route : une éventuelle inculpation dans les enquêtes judiciaires qui le visent ; le plan de paix de l’administration Trump, qui nécessitera des compromis côté israélien, s’il finit par être présenté un jour ; enfin, l’inextricable situation dans laquelle se trouve Gaza.
Le premier ministre israélien l’a dit à plusieurs reprises : il ne veut pas d’une guerre évitable. Comme l’état-major, il estime que le prix à payer pour un nouveau conflit serait dévastateur en termes de vies humaines et de destructions, mais aussi pour son propre avenir. Il compte apparaître comme le seul adulte au sein du cabinet de sécurité. Le seul à avoir un sens profond de l’Histoire et une stature d’homme d’Etat. Ce sera son argument central dans toute future campagne, avec l’épouvantail classique d’une victoire de la gauche et la célébration de la vigueur économique réelle du pays. M. Nétanyahou compte ainsi reléguer les concurrents sur sa droite à un rôle d’agitateurs susceptibles de mettre en danger la sécurité nationale. En somme : « Moi ou le chaos. »

Fierté de nombreux Israéliens

Jusqu’à présent, Nétanyahou a su déjouer l’usure classique du pouvoir. De nombreux Israéliens éprouvent une certaine fierté à le voir naviguer parmi les dirigeants les plus puissants, établissant des relations diplomatiques sans précédent en Asie ou en Afrique, jouant de sa proximité avec Donald Trump et de son expérience avec Vladimir Poutine. Pour dépasser David Ben Gourion en longévité et gagner un cinquième mandat, Nétanyahou comptera donc en 2019 sur une sélection naturelle au sein de l’électorat de droite : il n’y aurait personne d’autre capable de conduire Israël entre les écueils.
Tandis que la gauche demeure inaudible et désincarnée, Lieberman et Bennett, eux, s’opposent à toute entente avec le Hamas. Ils refusent les mesures de soulagement pour la population de Gaza avant toute démilitarisation du mouvement islamiste et une remise en liberté des deux civils israéliens détenus sur place. Bennett explique même que l’armée a fait preuve de trop de retenue le long de la clôture frontalière. Et ce alors que les soldats déployés sur place ont tué près de 180 Palestiniens et blessé par balles plus de 5 000 autres, dans le cadre des rassemblements de la « marche du retour ». M. Lieberman, lui, dit qu’il soutenait l’idée d’une campagne de frappes de grande ampleur, sans incursion terrestre.
Les deux responsables adoptent des postures martiales, mais ne présentent aucune stratégie réaliste pour Gaza. Veulent-ils réoccuper le territoire à l’agonie et endosser toute la responsabilité pour sa gestion, en exposant les soldats à un harcèlement quotidien et sanglant ? Prétendent-ils éradiquer le Hamas, mouvement armé mais aussi parti politique, organisation imbriquée dans la société gazaouie ? Ce projet paraît illusoire aux yeux de tous les experts sérieux des questions sécuritaires.

Un modus operandi avec le Hamas

Tout cela, Benyamin Nétanyahou le sait. Voilà pourquoi il cherche un modus operandi avec le Hamas. Une guerre lui assurerait une popularité immédiate dans les sondages, puis une chute aussi spectaculaire dès lors que l’armée s’embourberait. Et comment pourrait-il en être autrement, sans buts de guerre atteignables ? Dans son allocution solennelle, le 18 novembre, M. Nétanyahou a prétendu qu’il avait « un plan », en référence à Gaza. Le feu vert accordé au transfert par le Qatar de 15 millions de dollars (13,2 millions d’euros) en liquide pour payer les fonctionnaires s’inscrirait dedans, même si les photos des valises de billets ont eu un effet désastreux dans l’opinion publique.
La population du sud d’Israël a toutes les raisons d’être anxieuse et exaspérée. Pourtant, les factions se sont gardées d’employer tous les moyens à leur disposition et de viser Tel-Aviv, par exemple. De même, l’armée israélienne a procédé à des frappes très calculées sur des sites attribués au Hamas et au Jihad i slamique, dont beaucoup étaient des coups d’épée dans l’eau. Cette façon de tendre l’élastique sans le rompre avait déjà été observée lors des autres escalades militaires de 24 heures recensées depuis six mois. Chacun met en scène sa force, mais personne ne veut la mettre à l’épreuve de l’adversaire.
Cela étant posé, la lucidité de M. Nétanyahou sur les dangers d’une guerre est celle d’un myope au milieu d’aveugles. Il refuse en effet de sortir de la gestion de crise, ce traitement circulaire sans fin consistant à bombarder ponctuellement Gaza, puis à trouver des pansements ; à user de balles réelles, puis à discuter avec les Egyptiens et les Nations unies d’améliorations possibles pour l’électricité et les eaux usées. Il ne s’agit jamais de modifier le cadre politique et militaire qui enserre Gaza, mais de s’assurer de son étanchéité. Les pestiférés restent dans leur enclos, seule la taille de leur écuelle varie.