Europe, Syrie, Irak, Russie… les chantiers diplomatiques de Macron et de ses ministres

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Le Monde – Par  Philippe Ricard et Marc Semo


Si la grande priorité du titulaire du Quai d’Orsay sera l’Europe, qu’Emmanuel Macron appelle à « refonder », d’autres sujets-clés attendent l’exécutif français.

La Constitution de la Ve République donne un rôle central au chef de l’Etat dans l’élaboration et la conduite de la politique étrangère. Emmanuel Macron, qui n’a cessé de répéter vouloir être « un président qui préside », la mènera avec Jean-Yves Le Drian au Quai d’Orsay, dont le nouvel intitulé est révélateur : il est ministre « de l’Europe et des affaires étrangères ». C’est la grande priorité du chef de l’Etat, qui appelle à « refonder » l’Europe et à relancer le moteur franco-allemand. « La relation avec Berlin est consubstantielle à sa vision de ce que doit être la politique étrangère française, et c’est à partir de ce pilier que tout se déploie », relève Thomas Gomart, directeur de l’Institut français des relations internationales (IFRI). Très attendu sur la scène internationale, Emmanuel Macron dispose d’une marge de manœuvre considérable : « Son élection marque la fin d’une série noire après le Brexit et celle de Trump, souligne un diplomate. Ce qu’il incarne est déjà en soi un symbole, et sa voix n’en sera que plus audible ces prochains mois. »

La refondation de l’Europe

Le Conseil européen des 22 et 23 juin sera l’occasion pour M. Macron – qui a dîné mercredi 17 mai avec le président de cette instance, Donald Tusk – de prendre contact avec l’ensemble de ses homologues européens. A la différence de François Hollande, entré en fonctions en 2012 en pleine crise existentielle de la zone euro, son successeur n’est pas dans une situation d’urgence pour assurer la relance de l’Union européenne, qu’il appelle de ses vœux, en étroite concertation avec la chancelière allemande, Angela Merkel.

Lundi 15 mai, à Berlin, les deux dirigeants ont ouvert la porte à une éventuelle modification des traités européens, afin de renforcer la zone euro, ébranlée comme jamais par la crise des dettes souveraines et le naufrage de la Grèce, voici bientôt huit ans. Cela doit passer, du moins dans l’esprit du nouveau président français, par la création d’un budget, d’un Parlement et d’un ministre des finances de l’union monétaire. Mais M. Macron devra convaincre les capitales du nord de l’Europe, à commencer par Berlin, qui l’attendent avant tout au tournant sur le plan des réformes et du pilotage budgétaire de la France. Rien de définitif ne pourra de surcroît être scellé avant les élections législatives allemandes de septembre, le sujet restant politiquement délicat pour la grande coalition au pouvoir à Berlin.

Sans attendre, dès le 25 mai, le sommet de l’OTAN, à Bruxelles, sera pour Paris l’occasion d’insister sur la nécessité d’une défense européenne plus unifiée et renforcée au sein de l’Alliance atlantique, comme Emmanuel Macron l’a rappelé à Berlin le 15 mai, au lendemain de son investiture. Le chef de l’Etat entend pousser l’avantage de la France dans ce domaine, afin d’inciter les pays volontaires à mieux coopérer pour protéger le continent dans un environnement lourd de menaces. L’Allemagne semble prête à faire plus, en complément de l’OTAN, à laquelle restent attachés de nombreux partenaires européens.

En attendant des progrès sur ces deux grands dossiers, Paris aura à cœur de faire entendre sa voix sur les dossiers sensibles du moment, comme la négociation qui s’engage à propos de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, ou les questions commerciales. Sans oublier la refonte de la directive sur le travail détaché, qui oppose les pays de l’ouest à ceux de l’est du continent, accusés de « dumping social ». En cas de succès, cette réforme sera une façon de répondre aux critiques virulentes formulées par les candidats eurosceptiques ou europhobes, à commencer par Marine Le Pen, lors des échéances électorales françaises.

L’hostilité de la Russie et la paix en Ukraine

Parrainés par Paris et Berlin, les accords de Minsk de février 2015 avaient permis d’instaurer un cessez-le-feu en Ukraine avec les rebelles séparatistes de l’est du pays, soutenus par Moscou. Ils restent l’un des grands enjeux de la difficile relation de la France avec la Russie. La levée des sanctions décrétées par les Européens dépend de la pleine mise en œuvre de ce plan de paix, qui reste en bonne part lettre morte, notamment en ce qui concerne son volet politique.

Moscou dénonce la mauvaise volonté de Kiev vis-à-vis de la mise en œuvre de la décentralisation, et les autorités ukrainiennes pourfendent le soutien russe aux rebelles, qui renforcent de mois en mois leur mainmise sur les zones occupées. Paris reste, en Europe, l’une des capitales les plus fermes. Le candidat Macron, au début de sa campagne, était assez prudent.

Une attaque de hackeurs liés à la Russie sur le site d’En marche ! et les attaques personnelles du site de propagande Sputnik ont eu un effet boomerang, lui faisant comprendre pleinement la capacité de nuisance du pouvoir russe. Dès la mi-mars, lors de son grand discours de politique extérieure et de défense, il avait durci le ton face à Moscou. « Devenu président, il ne peut que réaliser encore plus précisément, grâce aux sources d’information dont il dispose, la densité de l’ingérence russe en France », relève un diplomate. Mais la fermeté n’empêche pas le dialogue et le maintien du contact avec le Kremlin, interlocuteur-clé sur d’autres dossiers, comme la Syrie.

Les relations avec Donald Trump

Le président américain a téléphoné à Emmanuel Macron le 8 mai, au lendemain de sa victoire, et ils se rencontreront dès le 25 mai. Entretenir de bonnes relations avec les Etats-Unis est essentiel, notamment dans le cadre de la lutte antiterroriste, dont les deux pays sont les piliers. François Hollande n’a jamais rencontré Donald Trump, mais il s’est entretenu avec lui plusieurs fois depuis l’investiture de ce dernier, en janvier.

L’une des priorités de Jean-Yves Le Drian sera de tenter d’éviter une dénonciation par Washington de l’accord de Paris sur le climat, qui a représenté l’un des grands succès de la diplomatie française des dernières années. Au-delà de cette question, le caractère pour le moins imprévisible des initiatives du locataire de la Maison Blanche inquiète la diplomatie française.

Sauver le multilatéralisme et l’ONU

« Alors même que les Etats-Unis et le Royaume-Uni, par leurs votes récents, tournent le dos aux valeurs d’ouverture qui caractérisent le projet de l’Occident depuis 1945, la France pourrait représenter un pôle de raison qui assume ses valeurs dans le monde », souligne Laurence Nardon, de l’IFRI, précisant qu’elle dispose pour cela de son statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies.

La prochaine Assemblée générale des Nations unies, à l’automne, sera l’occasion pour M. Macron de faire entendre de nouveau la voix de la France. « Le dire en politique étrangère est très important, et il y a une attente sur le nouveau président français », analyse Bertrand Badie, professeur à Sciences Po. Celui-ci souligne qu’Emmanuel Macron, qui se veut ouvert à la mondialisation comme au multilatéralisme dans les relations internationales, se devrait de lancer depuis la tribune de l’ONU une initiative forte, « par exemple sur une gouvernance mondiale des migrations » ou sur « une gouvernance sociale mondiale ».

La lutte contre l’EI et la guerre en Syrie

C’est un dossier-clé que le nouveau titulaire du Quai d’Orsay a suivi depuis la défense. Alors que la bataille de Mossoul (Irak) entre dans sa phase finale et que celle de Rakka (Syrie) se profile, la France est le deuxième contributeur – avec 5 % des frappes effectuées en 2016, très loin derrière les Etats-Unis – à l’engagement militaire de la coalition internationale contre l’organisation Etat islamique (EI), en Irak et en Syrie. Cet effort devrait se poursuivre.

Depuis le début de la révolution syrienne au printemps 2011, puis de l’implacable répression menée par le régime, les autorités françaises ont été les plus fermes soutiens des insurgés exigeant le départ du président syrien, Bachar Al-Assad. Jean-Yves Le Drian n’en rappelle pas moins volontiers que, si Assad est « l’ennemi du peuple syrien », l’EI est celui de la France.

L’intervention russe de septembre 2015 puis la reconquête de l’intégralité de la ville d’Alep en décembre 2016 ont renforcé le régime. La position française rappelant qu’« Assad ne peut représenter l’avenir de son peuple » est néanmoins de nouveau plus audible après que le régime a bombardé au gaz sarin un village de la région d’Idlib, début avril. Le président américain, Donald Trump, qui semblait jusque-là vouloir s’accommoder d’Assad, avait ordonné une frappe punitive.

Si l’on évoquait déjà, pendant la campagne, dans l’équipe de Macron, une « grande initiative humanitaire sur la Syrie », les contours en restent flous. Le processus de Genève est enlisé et, sur le terrain, le régime contrôle l’essentiel de la zone ouest de la Syrie appelée « Syrie utile », où vit 70 % de la population.

Le conflit au Proche-Orient

« La France se croit toujours attendue dans la région, mais elle a du mal à y retrouver sa place », affirmait Dorothée Schmid dans un texte de l’IFRI publié avant la présidentielle sur les enjeux du nouveau quinquennat en politique étrangère. « La diplomatie française doit jouer pleinement son rôle d’honnête courtier à même de discuter avec toutes les parties », assure un diplomate. Elle s’y essaie. En témoigne, par exemple, la conférence organisée à Paris, en janvier, pour rappeler, au moins symboliquement, l’importance de relancer un processus de paix israélo-palestinien, fondé sur une solution à deux Etats. C’est l’un des sujets que reprendra la nouvelle équipe, alors même que M. Macron n’a cessé de répéter la nécessité de créer les conditions d’une paix juste et durable entre Israéliens et Palestiniens. Mais le Proche-Orient restera-t-il une priorité de la France, alors qu’elle veut mener une diplomatie à l’unisson avec une Allemagne toujours de plus en plus active dans la région, mais encore gênée par le poids de son passé ?