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La tragédie syrienne, « tombeau » des Nations unies

Par Le Monde – Marie Bourreau


Le Conseil de sécurité doit se prononcer sur le déploiement d’observateurs à Alep pour superviser les évacuations et l’assistance humanitaire.
Du début de la crise syrienne à la tragédie d’Alep, l’échec des Nations unies est patent. Cet échec est d’abord celui des Etats membres, incapables de s’accorder pour trouver une issue honorable. Depuis le début du siège imposé aux quartiers rebelles, en juillet, le Conseil de sécurité de l’ONU s’est réuni quasiment chaque semaine autour de la fameuse table en forme de fer à cheval. Sous le titre très général de « situation au Moyen-Orient », les cinq membres permanents, disposant du droit de veto, et les dix membres non permanents ont écouté l’horreur « de cette descente vers l’abîme », selon les mots de l’ambassadeur français, François Delattre, pour qui le conflit syrien est « la pire tragédie humanitaire du XXIe siècle».
Le 13 décembre, lors d’une réunion à couteaux tirés, Samantha Power, représentante américaine, s’est adressée directement à l’ambassadeur russe, Vitali Tchourkine. « Etes-vous littéralement incapable de honte ? », lui a-t-elle lancé en évoquant, la voix blanche de colère, « ces enfants traités comme des terroristes, même les bébés ». Stoïque, le Russe a renvoyé l’Américaine « aux actions passées » des Etats-Unis. « Les Occidentaux mettent la pression en accusant désormais directement Moscou et ses alliés pour tenter ainsi de l’isoler, mais cela ne semble guère impressionner le Kremlin », note un diplomate. La Russie semble en effet bien décidée à poursuivre son soutien au régime de Damas et sa stratégie du fait accompli.
Passes d’armes hebdomadaires
Ces passes d’armes hebdomadaires ont conduit de nombreux spécialistes à pointer « la mort clinique » du Conseil de sécurité, paralysé par des intérêts divergents et la succession de veto russes et chinois sur le conflit syrien. Ces deux pays se sont opposés respectivement à six et cinq reprises à des résolutions pour mettre un terme aux bombardements en Syrie et pour permettre la livraison d’aide humanitaire à une population soumise à des privations « constitutives de crimes de guerre ». Une résolution franco-britannique pour sanctionner les responsables d’attaques chimiques contre les populations civiles est en négociation depuis des semaines, sans résultat. Au point que l’ambassadrice Power s’est ouvertement interrogée sur « la pertinence du Conseil de sécurité à agir sur le conflit en Syrie ».
« La France avait pris l’initiative de faire en sorte que les règles changent sur l’utilisation du droit de veto en cas d’atrocités sur les populations civiles, nous y sommes », déclarait la semaine dernière sur LCI le ministre français des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault. Ce projet de réforme, lancé en 2014 par Paris, propose que les cinq membres permanents (France, Etats-Unis, Royaume-Uni, Russie, Chine) « s’engagent volontairement et collectivement à ne pas recourir au veto lorsqu’une situation d’atrocité de masse est constatée ». La proposition faite en commun avec le Mexique est soutenue désormais par 99 pays sur 193.
« Ce soutien croissant montre qu’il s’agit d’une question bien réelle, le veto ne doit pas être un privilège mais une responsabilité, avec tout ce que cela implique », note un haut diplomate français. Le projet n’implique aucune modification de la Charte mais pose de nombreux problèmes. Qui décide qu’il y a crime de masse ? La proposition franco-mexicaine suggère que le secrétaire général de l’ONU, après avoir été sollicité par le haut-commissaire aux droits de l’homme et/ou 50 Etats membres, puisse saisir le Conseil de sécurité demandant alors que les membres permanents renoncent pour la circonstance à leur droit de veto. La France est consciente « que la discussion sera longue » faute d’accord des quatre autres membres.
 L’Assemblée générale en recours
Nombre d’experts restent sceptiques. « Le droit de veto est le fondement même de la Charte et il est constitutif de l’ONU qui a tiré les leçons de l’échec de la SDN. Jamais les pays membres permanents du Conseil de sécurité n’auraient accepté d’être dans l’Organisation s’ils devaient être soumis au vote de la majorité »,
souligne Serge Sur, professeur émérite de droit international à Panthéon-Assas et directeur de la revue Questions internationales. En outre, ce droit de veto traduit une réalité des rapports de force. « Si la résolution était votée contre la Russie, la situation ne serait guère différente : ou elle resterait lettre morte, ou sa mise en œuvre impliquerait un affrontement », rappelle le juriste.
Dans cette logique de blocage et de choc des « grandes puissances », il reste une alternative, envisagée par de nombreux Etats, qui consisterait à se reposer sur l’Assemblée générale. Le 9 décembre, cette instance a voté, à l’initiative du Canada, une résolution exigeant une trêve, la livraison d’aide humanitaire et la levée de tous les sièges en Syrie. Une décision « plus symbolique et plus inclusive », note un de ses membres arabes, mais dont le caractère reste toutefois « non contraignant ». Cette prise d’initiative de l’Assemblée générale ranime non seulement l’esprit du préambule de la Charte des Nations unies – « Nous, peuples des Nations unies, résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre… » – mais pourrait encourager de nouvelles actions « pour qu’Alep ne devienne pas le tombeau de l’ONU », selon les mots de François Delattre.