Par Emilie Lopes pour le Figaro
«C’est moi qui ai trouvé les corps, je suis arrivé quelques secondes après les tirs…». Le silence de Jean-Michel Cohen est pesant, ses souvenirs douloureux. Le 19 mars 2012, vers 8 heures, Mohamed Merah vient d’abattre Jonathan Sandler, ses deux fils Arieh et Gabriel, et Myriam Monsonego âgée de 7 ans. Ce matin-là, ce père de famille accompagne comme tous les jours ses enfants à l’école Ozar Hatorah. «Nous avons vécu le massacre en direct. C’était très dur.»
Ce chirurgien-dentiste de 49 ans qui jouissait d’une situation «très confortable» en France, a quitté Toulouse deux ans et demi après. «Avec ma femme, nous avions le projet de faire notre alya depuis très longtemps. L’attentat de Merah a été le déclencheur», explique-t-il. «À chaque événement au Proche-Orient, j’avais des retombées. On me traitait de “sale Juif”. La situation était devenue insupportable et j‘avais peur pour ma famille » Comme eux, trois cents familles ont quitté Toulouse pour faire leur alya depuis 2012. «Toulouse a été la ville française la plus touchée par les départs, il reste entre 12.000 et 15.000 Juifs» dans la Ville rose, estime Marc Fridman, vice-président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) Midi-Pyrénées).
«Ici, c’est le paradis pour nous»
Aujourd’hui, Jean-Michel Cohen vit à Tel-Aviv avec sa femme et leurs deux fils de 14 et 17 ans. Il ne peut toutefois pas exercer son métier de chirurgien-dentiste faute d’équivalence en Israël. Il a préféré changer complètement de voie.
«Comme j’ai un très bon niveau de tennis, je participe à des tournois internationaux et je donne des cours.» Sa femme, elle, chirurgien-dentiste aussi, veut persévérer. «Elle va pouvoir bénéficier d’une nouvelle loi qui lui permettra d’exercer son métier bientôt», espère son mari.
Le couple apprécie d’avoir retrouvé une certaine sérénité. «Ici, c’est le paradis pour nous. Nous sommes en sécurité. Mes enfants vont à pied à l’école. Je ne me fais aucun souci pour eux. Ils peuvent vivre normalement. Ils sont plus libres qu’en France», poursuit Jean-Michel Cohen. Par- dessus tout, c’est le mode de vie qu’ils aiment. «Ici, les gens sont nationalistes, ils aiment leur pays et le respectent. On ne tague pas les murs, on se lève quand il y a une personne âgée dans un bus, les incivilités n’existent pas. Tout le monde respecte la loi. La grande force c’est l’entraide. En France on a perdu une bonne partie des valeurs», regrette-t-il. Un sentiment que partage Laurent Mardoukh, parti depuis quatre ans. «Après l’attentat, régulièrement, nous avons été victimes d’insultes antisémites. Le samedi qui a suivi l’attentat on m’a lancé “on va continuer le travail de Merah et tous vous tuer”. Après cela, il m’était impossible d’imaginer un avenir pour ma famille à Toulouse.»
Ils partent dix mois plus tard avec leurs trois enfants, dont l’un était élève à Ozar Hatorah, l’école juive attaquée par Merah. Son épouse travaille désormais dans l’éducation au sein de la mairie de Netanya. Quant à lui, il poursuit ses activités dans l’immobilier en France depuis Israël et commence une activité similaire dans le pays après une période d’observation nécessaire. «Notre seule crainte avant le départ était l’intégration des enfants mais ils ont appris la langue en l’espace de quelques mois et sont aujourd’hui bilingues. Grâce à un système éducatif tourné vers l’enfant, ils ont appris énormément de choses, chacun dans son domaine. Comme la Torah, le développement artistique et, plus généralement, l’épanouissement personnel», énumère ce père de 47 ans. «En définitive, nous réalisons que nous avons mis trop de temps à partir, reprend-il.
Le seul endroit où un Juif peut se sentir en sécurité, c’est Israël. Nous ne regrettons absolument pas notre décision, et encourageons vivement de nombreuses familles à le faire.»
Un long temps d’adaptation
L’expérience est en revanche plus mitigée pour Audrey, qui vit avec sa famille à Hadera. Cette professeure de français et d’histoire a fait son alya avec son mari et ses quatre enfants. «Je ne suis pas partie pour un problème d’insécurité mais par exaspération, explique-t-elle. Je ne pouvais plus entendre “Mohamed Merah est un héros, un martyr”.» Et d’ajouter: «Mon mari est instituteur. Il travaillait à l’école et a perdu un de ses élèves. Après les attentats, j’ai tout de suite voulu partir, mais lui a préféré faire un travail de deuil avec ses élèves. Nous avons donc quitté Toulouse à l’été 2014.»
Il faudra à cette famille un long temps d’adaptation. «Ce n’est jamais simple de quitter un pays, de reconstruire un réseau après avoir passé quarante ans, souligne Audrey. Je suis professeure aujourd’hui mais je ne suis pas titulaire. Mon mari a fait plusieurs petits boulots. Nous avons perdu notre confort de vie, c’est certain. La famille nous manque, nos amis aussi. On n’exclut pas de revenir en France. Mais c’est vrai qu’on se sent quand même mieux ici, mes enfants portent la kippa sans problème. C’est important.»
L’apprentissage de la langue a été très difficile pour toute la famille mais tous ont pu compter sur le soutien de la communauté française, nombreuse en Israël.
«Depuis quelque temps, observe Audrey à regret, ce sont surtout des jeunes étudiants qui viennent et moins des familles. Je pense que la décision n’est jamais facile à prendre.»Depuis un an, tous constatent que les alyoth diminuent . Marc Fridman tente une explication. «Il y a eu un effet de masse après les attentats mais aujourd’hui ce ne sont plus uniquement les Juifs qui sont visés, c’est toute la nation. Cependant, on a eu un sentiment terrible d’isolement et de frustration après 2012. 10.000 personnes seulement ont participé à la marche blanche pour l’école Ozar Hatorah alors qu’il y en a eu bien plus pour Charlie Hebdo ou le Bataclan.»
Célébrations à l’école Ohr Torah dimanche
Un hommage sera rendu ce dimanche aux victimes de Mohamed Merah , cinq ans après les attentats perpétrés les 11, 15 et 19 mars 2012, à Toulouse et à Montauban. Une cérémonie se tiendra à 10 h 25 à l’école Ohr Torah, à Toulouse, où le terroriste avait abattu trois enfants et un enseignant. Une sculpture commémorative, réalisée par l’artiste Stratos, sera dévoilée dans la cour de l’école. Une allocution du ministre de l’Intérieur, Bruno Le Roux, et du directeur de l’établissement scolaire est prévue. À la mi-journée, un instant de recueillement se tiendra square du Général-de-Gaulle, en présence de nombreux élus locaux, dont la présidente de la région Occitanie, Carole Delga, et du maire de Toulouse, Jean-Luc Moudenc.