DÉCRYPTAGE – La récente découverte en Israël d’un individu vieux de 120.000 à 140.000 ans appartenant à un groupe encore inconnu, laisse supposer que cette zone était fréquentée par les différents groupes humains ayant peuplé la terre avant l’avènement des Homo Sapiens.
Il y a quelques dizaines de milliers d’années, plusieurs humanités peuplaient la terre. L’une d’elles, la nôtre, Homo sapiens , a fini par supplanter les autres. Mais avant cela, il y a plus de 50.000 ans, le monde était partagé entre trois principaux groupes.
L’homme de Néandertal occupait l’Europe. Plus à l’est, en Asie, évoluaient les dénisoviens, dont le nom vient de la grotte de Denisova en Sibérie, où ont été retrouvés leurs premiers restes. Nos ancêtres Homo sapiens vivaient, eux, en Afrique et s’étaient déjà dispersés en Asie et jusqu’en Australie. Aux frontières de ces mondes, ces groupes pouvaient se rencontrer, et des sites du Proche-Orient en attestent. Deux articles publiés dans la revue Science (24 juin 2021) apportent de nouveaux éléments sur la proximité entre ces groupes humains dans une zone géographique très réduite qui correspond aujourd’hui au territoire israélien.
Le premier décrit le reste fossile d’un individu vieux de 120.000 à 140.000 ans mis au jour à Nesher Ramla à l’est du pays et qui selon les auteurs appartient à un groupe encore inconnu. Le second évoque des outils de pierre associés aux différents groupes sur la même période. «Tous ces groupes humains n’ont pas vécu à la même époque, il y a eu des alternances, explique Dominique Grimaud-Hervé, professeur de paléoanthropologie au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), et coauteur de ces travaux. On a découvert en 2018 les restes d’Homo sapiens vieux de plus de 177.000 ans dans la grotte de Misliya au nord du pays. Grâce à la découverte de Nesher Ramla, on mesure bien cette alternance.»
L’analyse détaillée des restes de l’homme de Nesher Ramla (une partie du haut du crâne, une mandibule et quelques dents) fait dire aux auteurs que cet individu est une sorte de mélange entre Néandertaliens et des groupes humains plus archaïques comme Homo erectus. «Pourtant ces nouveaux fossiles sont tout à fait compatibles avec la lignée néandertalienne, juge Clément Zanolli, paléoanthropologue du CNRS à l’université de Bordeaux. D’après la morphologie de la dent et de la mandibule, il s’agit d’un Néandertalien plutôt similaire à ceux que l’on peut trouver en Europe à la même période.» Un avis partagé par de nombreux autres spécialistes joints par Le Figaro.
La région du Proche-Orient est un petit laboratoire de l’évolution
Amélie Vialet, paléoanthropologue au MNHN
Alors, nouvelle espèce ou Néandertal? Toute l’ambiguïté de cette question réside dans la définition que l’on donne d’une espèce et d’un groupe humain. L’évolution est un phénomène mouvant qui ne s’arrête pas. Dans la communauté scientifique, il existe ainsi des désaccords pour savoir à partir de quelle période on doit parler de Néandertalien. Des fossiles vieux de 300.000 ans en Europe sont considérés comme néandertaliens par les uns, et comme prénéandertaliens par les autres.
Quel que soit le nom d’espèce que l’on donne à l’homme de Nesher Ramla, c’est en tout cas la première fois que l’on met au jour les restes d’un Néandertalien, ou apparenté, aussi vieux dans cette zone. «On se rend compte qu’il y a en fait plusieurs petites lignées, plusieurs groupes sur un même laps de temps, explique Amélie Vialet, paléoanthropologue au MNHN et elle aussi cosignataire d’un des deux papiers. Le corridor levantin est une zone clef de l’évolution. Les premiers sapiens sortis d’Afrique s’y sont installés il y a déjà très longtemps. On y trouve ensuite cet homme de Nesher Ramla, puis d’autres sapiens plus récents dans les grottes de Skhul et Qafzeh (entre 90.000 et 120.000 ans), mais là encore avec des caractères mélangés. Cette région est un petit laboratoire de l’évolution.»
Impossible de savoir quels pouvaient être les liens entre ces groupes, même sur une zone géographique aussi petite, car ces fossiles sont séparés de quelques dizaines de milliers d’années. «Il y avait sûrement des échanges culturels entre eux, note Marion Prévost, de l’institut d’archéologie de l’université de Jérusalem. Il est impossible de différencier la production d’outils des uns et des autres. Tous deux utilisent une technique originaire d’Afrique importée par sapiens, ce qui plaide a minima pour un mimétisme.»