ENTRETIEN – Pour Me Thibault de Montbrial, l’avocat de l’une des policières brûlée et lapidée en 2016 à Viry-Châtillon, le verdict prononcé en appel est d’une clémence incompréhensible. Les peines n’ont pas été durcies et trois prévenus supplémentaires ont été acquittés.
LE FIGARO.- La cour d’assises des mineurs de Paris a prononcé en appel des peines plus clémentes qu’en première instance. Comment avez-vous accueilli ce verdict ?
Thibault DE MONTBRIAL.- C’est un naufrage judiciaire. Nous savons qu’il y avait seize assaillants, le 8 octobre 2016, qui s’en sont pris aux deux voitures de police incendiées. On le sait car une vidéo a filmé toutes les silhouettes. Il y avait à ce procès treize accusés ; en première instance huit d’entre eux avaient été condamnés et cinq acquittés. Il y a eu un appel croisé, car personne n’était satisfait de ce premier verdict : les condamnés clamaient leur innocence et le parquet considérait les peines trop clémentes et contestait les acquittements. On se retrouve cette fois avec huit acquittements, et des peines pour les condamnés toujours autant en décalage avec la gravité des faits jugés.
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Ma cliente, qui a été brûlée et lapidée dans cette attaque, a assisté à toutes les audiences. À l’annonce du verdict, elle était à la fois effondrée et en colère. Ce sont ses vingt années de carrière dans la police au service de nos concitoyens qui sont mises à l’épreuve par ce jugement incompréhensible. Après l’audience, le sentiment qui domine est celui d’une faillite judiciaire totale, et ce qui est plus grave, d’une fracture béante entre deux mondes.
La réalité a sauté brutalement aux yeux de tous puisque au moment où le verdict a été rendu en audience publique une double bagarre a éclaté entre les accusés
Il y a eu de nombreux incidents pendant les audiences et au moment du verdict…
Oui, pendant les sept semaines d’audience à huis clos, certains accusés se sont mal conduits, ont interrompu les débats, ont invectivé à voix plus ou moins haute les magistrats, les avocats généraux, les parties civiles… J’aurais aimé que la presse puisse assister à ce procès, et qu’à travers elle le pays puisse voir l’attitude de ces accusés. Un monde sépare les personnes qui ont été jugées et le reste de la société. La réalité a sauté brutalement aux yeux de tous dans la nuit de samedi, puisque au moment où le verdict a été rendu en audience publique, une double bagarre a éclaté, non seulement entre les accusés, mais également dans la salle. Certains accusés, y compris parmi les acquittés de fraîche date, s’en sont pris en particulier à l’un d’entre eux qui avait donné quelques informations en début d’enquête, ainsi qu’aux forces de l’ordre présentes. Le naturel des quartiers a ainsi vite repris le dessus, et a explosé aux yeux de tous. La présidente a été copieusement injuriée par un des condamnés. Une de mes collaboratrices l’avait également été lors des débats.
Pendant le procès, les réquisitions du parquet ont été assez bien organisées dans la partie démonstrative, mais difficiles à suivre pour les peines demandées : à partir du moment où le parquet fait appel parce que les peines sont jugées trop clémentes, comment expliquer des réquisitions d’appel moins sévères ? La défense a eu beau jeu de s’engouffrer ensuite dans cette incohérence, ainsi que dans les failles de l’enquête dues en particulier à l’impressionnante loi du silence qui a prévalu dans ce dossier où se sont succédé menaces, pressions et agressions de ceux qui parlaient. L’un des deux avocats généraux a conclu ses réquisitions en déclarant à l’intention des accusés qu’ils avaient selon lui « de l’empathie », et qu’ils constituaient à ses yeux « une richesse pour le pays ». Cette conclusion était lunaire, émanant de l’accusation et au regard des débats. Pour ce qui est de l’empathie, les policiers ont été déshumanisés depuis les faits eux-mêmes jusqu’au bout du procès. Quant à l’appréciation selon laquelle ces personnes constituent une richesse pour le pays, je ne la partage certes pas à titre personnel, mais au-delà de cette considération je crois surtout qu’elle n’a pas sa place dans la conclusion d’un réquisitoire contre les auteurs d’une tentative d’homicide barbare sur des policiers français.
Ce procès aura été une nouvelle illustration de la rupture entre certaines populations et l’autorité de l’État.
Estimez-vous que la justice des mineurs est de manière générale trop clémente en France ?
Le problème politique se pose en effet mais je ne pense pas qu’il ait joué dans ce dossier puisque l’excuse de minorité a été écartée pour le mineur condamné à la peine la plus élevée. Ce n’est donc pas le sujet ici.
Mais ce que ni moi, ni ma cliente, ni l’ensemble des policiers de tous grades avec lesquels j’échange depuis ce verdict ne comprenons pas, c’est comment une cour d’assises peut déclarer certains des accusés coupables pour tentative d’homicide volontaire sur personnes dépositaires de l’autorité publique par le moyen atroce qui consiste à les brûler vifs, tout en prononçant ensuite des peines aussi faibles. Il s’agit pourtant de l’un des crimes les plus graves du Code pénal, et la peine prononcée de 18 années de réclusion criminelle est empreinte d’un relativisme incompréhensible.
En définitive cette affaire aura été dans toutes ses composantes une nouvelle illustration de la rupture entre certaines populations et l’autorité de l’État. Je crains que ce verdict ne suscite dans la police deux sortes de réaction : d’une part un écœurement qui la conduirait à prendre toujours moins de risques, c’est-à-dire à laisser le champ libre aux voyous, et d’autre part une volonté de riposte sur le terrain dont il ne faudra pas s’étonner de l’ampleur.
Nous commençons à payer l’addition des politiques de ces quarante dernières années, et je crains que ce ne soit qu’un début.