PORTRAIT – Beaucoup pensent qu’elle pourrait devenir la première présidente des États-Unis d’Amérique. Pourtant, sa personnalité garde encore une part de mystère.
Depuis qu’elle a été désignée comme colistière sur le ticket présidentiel de Joe Biden, on ne cesse d’évoquer l’aspect symbolique de l’arrivée de Kamala Harris, une belle Californienne de 55 ans à la personnalité trempée, à la vice-présidence. Première femme à occuper ce poste, mais aussi première femme noire (elle est née d’un père jamaïcain) et première femme d’origine asiatique (sa mère est d’origine indienne) à cette prestigieuse fonction, l’ancien procureur général de Californie aime à insister sur ces aspects identitaires dont raffole l’électorat démocrate. Mais derrière le symbole, sa personnalité garde encore un certain mystère, alors qu’avec un président Joe Biden âgé de 78 ans en pleine crise du Covid, il n’est pas exclu que Kamala Harris soit brutalement amenée à devenir la première présidente des États-Unis d’Amérique.
Ce flou est loin d’avoir été levé pendant la courte campagne, peu convaincante, que la nouvelle vice-présidente a menée pendant la primaire démocrate en 2019. Partie avec l’avantage que lui donnait sa qualité de femme forte, issue des minorités, servie par de longues années d’expérience comme procureure du district de San Francisco puis comme procureure générale de Californie, Harris a joué presque exclusivement sur le registre d’une rhétorique anti-Trump, se présentant comme une personnalité sans peur et sans reproche, qui saurait le battre.
Peu avant, elle avait frappé les esprits en attaquant avec virulence le juge Brett Kavanaugh, qui était accusé de harcèlement sexuel, lors de son audition au Sénat, en vue de sa nomination à la Cour suprême. C’est aussi sur ce registre assez agressif qu’elle s’en était pris à Joe Biden, alors son concurrent, pour s’indigner qu’il ait exprimé, des décennies plus tôt, son amitié pour deux sénateurs ayant eu des positions ségrégationnistes. Elle s’était ensuite quelque peu embrouillée sur ses intentions en matière de santé, commençant par soutenir un système d’assurance financé par l’État, dans le sillage de Bernie Sanders, avant de proposer son propre plan, en laissant la place à des assureurs privés. Sa volonté de donner des gages aux progressistes tout en affichant la modération d’une femme d’État, avait fini par brouiller les cartes et la rendre inaudible auprès des deux ailes, radicale et centriste, du parti. Fin 2019, avant même la première primaire de l’Iowa, elle était obligée d’abandonner la course, avec seulement 2 % d’opinions favorables.
Agir avec prudence
C’est un coup de fil d’un Joe Biden peu rancunier, l’invitant à rejoindre sa campagne, qui l’a soudain projetée au firmament de la politique. «C’est une battante», a-t-il expliqué, évoquant aussi l’amitié qui la liait à son fils Beau, avec lequel elle avait travaillé pendant la crise financière de 2008, alors qu’ils étaient tous deux procureurs.
Depuis qu’elle a été choisie, Kamala Harris a été présentée comme l’élément énergique du tandem présidentiel, susceptible de compenser l’âge avancé de son patron. Mais elle n’a pas mis fin à l’ambiguïté de sa position politique, s’affichant progressiste, tout en prônant le rassemblement et l’action comme remède à la crise du pays, une approche centriste proche de celle de Biden. Au fond, c’est ce que Kamala Harris a toujours fait alors à son poste de procureure générale de la Californie. Elle a toujours agi avec la plus grande prudence, se contentant souvent de mesures minimalistes et prenant systématiquement le parti des syndicats de police dans les affaires de violences policières. Dans son livre, Smart on Crime, elle écrivait notamment: «Tous les citoyens qui respectent la loi se sentent plus en sécurité quand ils voient des officiers de police faire leurs patrouilles.»
Je ne veux pas restructurer tout le pays, mais m’occuper des problèmes qui réveillent les Américains la nuit.
Un sujet sur lequel elle a exprimé des positions très différentes après l’affaire George Floyd, cet Afro-Américain mort étouffé sous le genou d’un policier en juin, à la suite d’une interpellation. «Croire que mettre plus de police dans la rue crée de la sécurité est tout simplement faux, tout à fait faux», a-t-elle lancé au New York Times. Un représentant des syndicats de police californien, cité par le quotidien américain, voit chez elle «un tournant à gauche très dur». «C’est Docteur Jekyll et M. Hyde par rapport à 2004. Ce n’est pas la Kamala Harris que j’ai connue», dit-il. Ce qui a poussé le New York Times à s’interroger: «Madame Harris est-elle essentiellement une pragmatique politique, ou a-t-elle vraiment changé? Sera-t-elle la femme qui sera capable de mener une réforme de la police, depuis la Maison-Blanche?»
Pour l’heure, Kamala Harris s’est positionnée au sein de l’Administration entrante comme la voix des minorités et une force de changement. Mais alors que Joe Biden se présente en rassembleur, il est difficile de prévoir si la nouvelle vice-présidente s’emploiera à tenir tête au camp des radicaux du Parti démocrate qui vont tenter d’exiger des «avancées» sur l’immigration, la police, la justice sociale et les questions identitaires… ou si elle chevauchera carrément leurs thèmes au risque de creuser les divisions déjà béantes du pays. Son passé professionnel indique en tout cas un penchant pour la prudence et la circonspection. «Je ne veux pas restructurer tout le pays, mais m’occuper des problèmes qui réveillent les Américains la nuit», a-t-elle confié pendant la campagne.