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Compte rendu du Forum de Strasbourg – 29 avril 2021 Endiguement ou dissuasion ? L’avenir du JCPoA et le défi iranien pour l’Europe et le Moyen-Orient

La deuxième table ronde du Forum de Strasbourg s’est déroulée le 29 avril 2021. Elle était consacrée à l’avenir du JCPoA communément appelé “Accord de Vienne sur le nucléaire iranien”, signé en 2015. A cette occasion, des parlementaires français et allemands ont pu échanger de façon approfondie avec Alexis Lamek, Directeur général adjoint des affaires politiques et de sécurité au Ministère français de l’Europe et des affaires étrangères et l’Ambassadeur Christian Buck, Directeur régional pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord du Ministère allemand des Affaires étrangères.

Parmi eux, Christophe Arend, Président du groupe d’amitié parlementaire France-Allemagne et co-président de l’Assemblée parlementaire franco-allemande, Natalia Pouzyreff, Membre de la Commission de la Défense et des forces armées, coordinatrice française du groupe de travail « Politique étrangère et de défense » à l’Assemblée parlementaire franco-allemande, Ursula Groden-Kranich, Membre de l’Assemblée parlementaire franco-allemande et de la Commission des Affaires Etrangères, le Dr. Franziska Brantner, Responsable du groupe parlementaire Alliance 90/Les Verts pour la Commission des Affaires Européennes, Membre du bureau de l’Assemblée parlementaire franco-allemande, et le Dr. Daniela de Ridder, Vice-présidente de la Commission des Affaires Etrangères.

Ainsi qu’une experte, Tomisha Bino, analyste de programme à l’Institut des Nations Unies pour la recherche sur le désarmement (UNIDIR).

 

1- La situation actuelle du JCPoA

Comme l’ont rappelé Christian Buck et Alexis Lamek, l’objectif initial du JCPoA lors de sa signature était clair : empêcher par tous les moyens l’Iran de se doter de l’arme nucléaire – qualifiée de “vision d’horreur” par l’ambassadeur Christian Buck – par le biais de restrictions à son programme. En échange, les sanctions économiques avaient été levées en janvier 2016. Alexis Lamek a souligné que la méfiance était de rigueur, incitant la France à afficher une ligne dure à l’égard de Téhéran. Côté allemand, Christian Buck a affirmé que le dispositif du JCPoA « n’était pas parfait » mais qu’il valait mieux cela que pas d’Accord du tout.

Alexis Lamek a considéré le retrait américain de l’Accord comme désastreux car il a renforcé les extrémistes du régime iranien. Selon lui, cette politique a donné un prétexte à l’Iran pour violer les termes de l’Accord depuis 2019. Ainsi Téhéran en a profité pour reprendre des activités qui ont déséquilibré l’Accord, comme le développement d’un programme de missiles sans justification pour les besoins de sa défense. Or, les missiles de longue portée ne sont pas employés pour transporter des charges conventionnelles mais plutôt des armes nucléaires.

Alexis Lamek a rappelé que Téhéran n’a jamais été aussi proche des capacités du seuil et en particulier de la production d’uranium métal et de l’enrichissement à 60%, deux étapes essentielles dans la production d’armes nucléaires sans justification civile crédible.

L’Iran poursuit la recherche et le développement sur une vingtaine de centrifugeuses avancées et enrichit ses connaissances de façon irréversible. Téhéran étant en mesure de produire beaucoup plus rapidement et efficacement de la matière nucléaire qu’en 2015, la garantie de non-prolifération offerte par le JCPoA est désormais moins solide qu’elle ne l’était à la signature de l’Accord.

Autre sujet d’inquiétude : l’Iran a suspendu une partie des activités de vérification de l’AIEA à la fin du mois de février 2021, rendant l’agence partiellement aveugle sur l’état du programme nucléaire iranien. Or, le JCPoA organisait un système de vérification robuste, conçu pour détecter rapidement tout manquement iranien à ses obligations.

L’Ambassadeur Christian Buck a rappelé que de nombreuses milices étaient présentes dans la région et que des centaines d’attaques de roquettes et de drones téléguidés avaient été perpétrées ces derniers mois, preuve que la menace n’est pas seulement verbale mais concrète et dangereuse. Autant d’indices qui poussent à remettre en cause les intentions de l’Iran.

La réintroduction des sanctions économiques a plongé la population iranienne dans la paupérisation, premier pas vers le nationalisme selon l’ambassadeur Christian Buck. Une situation largement regrettée par plusieurs intervenants dont le Dr. Daniella de Ridder qui a appelé à déterminer les objectifs de ces sanctions. Alexis Lamek a ajouté que les sanctions étaient peu flexibles en raison du comportement de certains acteurs financiers, soucieux de la “sur-conformité” (“over compliance”). Les banques ont parfois tendance à amplifier les mesures prises sans prendre en considération les dérogations. Une situation qui peut avoir des conséquences non négligeables pour l’Iran lorsque les sanctions sont mal interprétées, par exemple sur le plan humanitaire. Dans le contexte actuel de pandémie mondiale, le blocage du transfert de biens médicaux peut s’avérer problématique pour les populations.

Il s’agit donc d’ajuster au maximum les outils afin qu’ils soient les plus efficaces possibles lorsqu’ils visent un objectif particulier : faire pression sur l’Iran pour mettre fin à la déstabilisation tout en évitant les effets collatéraux.

Comme l’a souligné Natalia Pouzyreff, les sanctions économiques ne touchent pas seulement l’Iran. En décidant de soumettre à nouveau Téhéran aux mesures restrictives, les Etats-Unis ont créé de la frustration du côté des entreprises françaises forcées d’interrompre des contrats. Autre sujet de préoccupation : l’extraterritorialité du droit américain qui fait toujours peser une menace sur les intérêts européens.

En conséquence, Alexis Lamek a ajouté que la situation actuelle était insatisfaisante et le retour au JCPoA tel qu’il était en 2015 ne serait pas suffisant pour protéger les intérêts sécuritaires de l’Europe sur le long terme. Il semble donc plus que nécessaire de retrouver un mode de fonctionnement plus équilibré dans lequel les contraintes mises en place seront acceptées par l’Iran grâce à une solution négociée. C’est ce que s’emploient à faire les négociateurs actuellement à Vienne.

Tous se sont accordés sur un point essentiel : la sécurité d’Israël doit être garantie en toutes circonstances. La chancelière allemande l’a qualifiée de “Raison d’Etat“, comme l’a rappelé l’ambassadeur Christian Buck.

2- La nécessité d’un “JCPoA 2.0” ?

Avec l’arrivée au pouvoir du Président américain Joe Biden, une nouvelle donne diplomatique semble émerger. Malgré des méfiances toujours prégnantes des deux côtés, l’administration démocrate a souhaité reprendre les négociations en vue d’un nouvel accord compte tenu des nombreux changements observés dans la région.

En effet, l’année 2020 a également été marquée par des bouleversements géopolitiques au Moyen-Orient avec notamment la signature des accords de normalisation entre Israël et plusieurs pays arabes. L’ambassadeur Christian Buck, Franziska Brantner et Ursula Groden-Kranich ont souligné la nouvelle dimension régionale qui prévaut et pourrait créer une dynamique positive aussi bien sur le plan politique qu’économique. Ces nouveaux acteurs pourraient être impliqués dans les discussions d’un potentiel “JCPoA 2.0“.

Selon Alexis Lamek, le nouvel accord vise également à demander de nouvelles garanties plus solides et de plus long terme. Le “JCPoA 2.0” ne serait donc pas une alternative au précédent accord mais plutôt un complément pour prolonger dans le temps et renforcer le volet nucléaire du JCPoA.

Une position partagée par l’ambassadeur Christian Buck. Selon lui, l’Europe ne se sent pas directement menacée par l’Iran mais a pleinement conscience que les enjeux sécuritaires concernant Israël seraient de nature à déstabiliser le continent européen. Pour lui, il faut faire le premier pas et endiguer la politique agressive des milices. Les missiles sont également une source de préoccupation : leur portée s’allonge et leur précision s’affine. Une menace sérieuse et inacceptable, qu’ils atteignent Athènes ou Tel Aviv.

Néanmoins, Tomisha Bino a affirmé que les Européens, les Etats-Unis et les Etats arabes ne parlent pas la même langue en ce qui concerne les missiles balistiques. Originaire de Jordanie, elle a précisé la conception des Etats arabes ainsi que d’Israël. Selon elle, les missiles balistiques ou de longue portée ne sont pas le plus gros problème. De même, elle a considéré que le danger n’est pas tellement élevé pour les Européens.

Même si les milices situées au Yémen, au Liban, en Syrie ou encore à Gaza, disposent de capacités de production avancées, il s’agit plutôt de “kits de précision avancés” (“precision guided kits”) qui devront être attachés aux roquettes iraniennes. Pour elle, il est probable que le régime des Mollahs refuse les nouvelles obligations envisagées dans un potentiel accord 2.0. Des négociations seraient éventuellement possibles sur les systèmes de missiles encore en développement ou en cours de tests.

Enfin, le Dr. De Ridder a mentionné l’enjeu de politique interne que constitue la tenue prochaine d’élections présidentielles en Iran. Elles doivent se tenir le 18 juin prochain et pourraient introduire de nouveaux acteurs dans le jeu politique. Pour l’heure, Christian Buck a précisé que la campagne électorale n’a pas encore véritablement débuté mais il semble qu’elle sera dure et que l’Iran ne prendra pas de tournant libéral à la suite du scrutin.

3- Le rôle de l’échelon parlementaire

En tant que co-Président de l’Assemblée parlementaire franco-allemande, Christophe Arend a insisté sur le rôle de cette instance composée également d’un groupe de travail autour de la défense et de la politique étrangère. C’est en discutant de façon approfondie entre députés français et allemands qu’une position franco-allemande commune pourra émerger, y compris dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité, dans l’intérêt de l’ensemble de l’Europe.


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