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Un « moment de vérité » : pour maintenir la trêve à Gaza, la périlleuse reprise des négociations

Les négociations entre Israël et le Hamas en vue de la seconde partie de la trêve à Gaza entrent ce lundi 3 février dans une phase cruciale à l’équilibre précaire. Le Hamas affiche sa force tandis que le président israélien est pris en étau.

Ofer Kalderon, Yarden Bibas et Keith Siegel. Le Hamas a relâché samedi trois nouveaux otages contre la libération de plus de 180 Palestiniens. Ce quatrième échange depuis le début de la trêve, le 19 janvier, a déjà permis à quinze otages et 400 prisonniers palestiniens de retrouver la liberté. Et ce n’est pas fini : durant les six semaines de la première phase, ce sont 33 otages israéliens au total, dont huit décédés, qui doivent être remis à Israël contre environ 1 900 prisonniers palestiniens.

Mais ce lundi déjà, les négociations doivent reprendre pour discuter des modalités de la deuxième phase, qui vise à la libération des derniers otages et la fin définitive de la guerre. Netanyahou s’entretiendra sur le sujet avec Steve Witkoff, envoyé spécial de Donald Trump au Moyen-Orient, qui en discutera ensuite avec le Premier ministre du Qatar et de hauts responsables égyptiens.

Surtout, le dirigeant israélien qui s’est envolé pour Washington sera mardi le premier dirigeant étranger reçu par Donald Trump depuis son investiture. « C’est un acte très volontaire du président américain, qui conforte sa synergie de pensée avec Netanyahou », note Emmanuel Dupuy, président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). Pour les actes concrets en direction de son allié indéfectible, Donald Trump a récemment débloqué la livraison à Israël de bombes de 900 kg, que son prédécesseur avait suspendue. Et annulé des sanctions financières contre des colons israéliens accusés de violences contre des Palestiniens.

Netanyahou sur une ligne de crête

Donald Trump entend bien faire tenir à Gaza le cessez-le-feu dont il s’attribue les mérites. Mais Netanyahou est tiraillé : une partie de sa coalition gouvernementale veut reprendre les combats dès la fin de la première phase. À défaut, le ministre d’extrême droite Bezalel Smotrich menace de quitter le gouvernement, dans le sillage du ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir. Ce qui priverait Netanyahou de majorité.

Dans une moindre mesure, le retrait des troupes de Tsahal de Gaza « est source d’inquiétudes, d’instabilité et de craintes » en Israël, appuie Sébastien Boussois, docteur en sciences politiques et spécialiste du Moyen-Orient. D’où un tiraillement, pour le Premier ministre, entre l’allié dont il ne peut se passer sur le plan international, et ses soutiens politiques intérieurs dont les réticences se multiplient.

Les préoccupations israéliennes sont renforcées par la « théâtralisation » des dernières libérations d’otages par le Hamas selon Emmanuel Dupuy, qui évoque une « guerre psychologique » sous l’œil des caméras. Mise en scène martiale, uniformes et pick-up flambant neufs : en « dansant sur un tas de cendres et d’os », le mouvement islamiste veut « montrer qu’il reste extrêmement puissant et ancré », abonde Sébastien Boussois.

De l’avis des experts interrogés, le Hamas a été renforcé par les libérations de prisonniers palestiniens comme l’enrôlement de nouvelles recrues, des Gazaouis « qui n’ont plus rien à perdre » après 15 mois d’une guerre dévastatrice.

Devant cette résurgence du mouvement à l’origine des attaques du 7 octobre 2023, la visite du Premier ministre israélien à Washington pourrait s’apparenter, selon Emmanuel Dupuy, à « une tentative d’obtenir auprès de Trump un blanc-seing » sur l’objectif d’éradication totale du Hamas, martelé par Netanyahou depuis le début de la guerre. « L’opinion publique a le sentiment que la paix s’est installée mais Israël et le Hamas se préparent à reprendre les combats », souligne l’expert.

« Trouver un compromis créatif »

La reprise des négociations est donc un « moment de vérité » pour les deux parties aux « objectifs contradictoires », selon David Khalfa, codirecteur de l’Observatoire du Moyen-Orient à la Fondation Jean- Jaurès. « Pour Israël, le jour d’après sera forcément sans le Hamas ». À l’inverse, ce dernier « veut survivre comme organisation militaire, mais aussi comme mouvement sociopolitique afin de maintenir sa férule sur la bande de Gaza, même indirectement », détaille le chercheur, auteur de « Israël Palestine, année zéro » (2024, Éd. Le bord de l’eau).

La tâche des États-Unis, pour éviter que les négociations n’implosent, consistera donc à « trouver un compromis créatif » dans lequel pourront se retrouver les deux parties. « Trump est l’un des seuls qui peut tourner le bras à Netanyahou, tout en faisant peur au Hamas et aux groupes terroristes de Gaza », souligne Elizabeth Sheppard- Sellam, maître de conférences à l’Université de Tours et spécialiste d’Israël. Le président américain sera, à cette fin, épaulé par le Qatar « dont la tâche sera de faire pression sur le Hamas », explique David Khalfa.

Pour Netanyahou, le tiraillement est de taille entre l’allié dont il ne peut se passer sur le plan international, et ses soutiens politiques intérieurs dont les réticences se multiplient. David Khalfa résume :

« Soit il maintient l’unité de sa coalition et s’aliène la nouvelle administration américaine. Soit il prend le risque de perdre sa majorité, mais obtient alors un soutien militaire américain, notamment pour mener une opération militaire contre les sites nucléaires iraniens ».