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Quand l’affaire de l’étudiante de Gaza ravive le spectre de la collaboration entre nationalisme palestinien et nazisme

Par Ambre Xerri – L’Express – Publié le 05/08/2025 à 18:30


Alors qu’une étudiante gazaouie récemment expulsée avait relayé un discours de Hitler appelant à tuer « tous les juifs », un journaliste lui aussi originaire de Gaza a été identifié comme l’auteur de messages incitant à « faire comme Hitler ». Des références qui rappellent les heures sombres de l’alliance entre le grand mufti de Jérusalem et l’Allemagne nazie.


Huit décennies après sa mort, le Führer est toujours aussi radioactif.

Depuis 1945, personne en France n’a par exemple osé baptiser son enfant Adolf avec cette orthographe et il n’y a que dans les films comme Le Prénom que l’on s’autorise à faire mine d’envisager un pareil projet. Que l’architecte d’un génocide soit toujours tabou a de quoi rassurer ; qu’il soit érigé en modèle ne peut à l’inverse que susciter l’effroi.

Ainsi, les extraits d’un discours d’Adolf Hitler appelant à tuer les juifs, exhumés sur les réseaux sociaux d’une réfugiée gazaouie accueillie par Sciences Po Lille, ont-ils conduit Jean-Noël Barrot à ordonner le gel de l’accueil de Palestiniens. D’autant qu’à quelques jours d’intervalle, un autre réfugié gazaoui, collaborateur régulier de France 24, a été identifié comme l’auteur d’un appel à « faire comme Hitler ».

Teintées d’admiration, ces références à Hitler s’inscrivent dans un héritage idéologique ancien, bien antérieur à la résurgence du conflit israélo-palestinien, et renvoient à un épisode de la Seconde Guerre mondiale toujours très débattu : la collaboration du nationalisme palestinien avec le régime nazi, impulsée par le grand mufti de Jérusalem, Mohammed Amin al-Husseini.


Un discours religieux imprégné d’antisémitisme

Les propos de ces deux réfugiés gazaouis rappellent la rhétorique utilisée par le chef religieux et leader nationaliste palestinien qui, en novembre 1943, dans une allocution à l’Institut islamique central, exhortait les musulmans à suivre l’exemple de l’Allemagne nazie, ayant « su se sauver du mal causé par les juifs ». En 1944, il déclarait que « l’islam et le national-socialisme sont très proches l’un de l’autre dans leur combat contre la juiverie ».


L’anéantissement du peuple juif comme horizon commun

Pour comprendre la nature des liens entre al-Husseini et le régime nazi, il faut se plonger dans The Mufti of Jerusalem and the Nazis: The Berlin Years (Vallentine Mitchell, 2015), de l’historien allemand Klaus Gensicke.

Dès mars 1933, soit deux mois après l’arrivée d’Hitler au pouvoir, le mufti cherchait à entrer en contact avec les autorités nazies. Le consul allemand Heinrich Wolff relate : « Le mufti m’a expliqué aujourd’hui que les musulmans, tant en Palestine qu’à l’étranger, saluaient le nouveau régime en Allemagne et espéraient la diffusion de formes de gouvernement fascistes dans d’autres pays. »

Il aurait aussi exprimé son soutien à l’opération de boycott des juifs, considérés comme des « ennemis de l’État ». Si les nazis sont d’abord méfiants, le mufti finit par élargir son réseau nazi au fil du temps. En juillet 1937, il approche Heinrich Doehle, consul général à Jérusalem, pour obtenir un soutien explicite contre les juifs.


Rencontre avec Hitler

En novembre 1941, al-Husseini, réfugié à Berlin, est reçu par Hitler en personne, en présence de Joachim von Ribbentrop. Il propose de mobiliser des volontaires arabes détenus en Allemagne pour combattre les Anglais, les communistes, et les juifs. Hitler accepte et promet un soutien matériel.

Le Reich envisageait alors un plan d’extermination des juifs de Palestine. Dans un télégramme de 1943, Heinrich Himmler écrit au mufti que le combat contre le judaïsme mondial est le fondement idéologique commun entre nazis et musulmans.

Le philosophe Pierre-André Taguieff évoque dans ce contexte la création, le 10 février 1943, de la 13e division de la Waffen SS, composée de musulmans bosniaques : une concrétisation de cette alliance idéologique.


Bloquer l’émigration des juifs

Le mufti ne s’est pas contenté de soutenir les nazis : il a activement tenté d’empêcher l’émigration des juifs d’Europe vers la Palestine. En 1943, quand la Bulgarie envisage d’autoriser l’émigration de 4 000 enfants juifs et 500 adultes, al-Husseini intervient auprès des gouvernements bulgare, italien et allemand pour bloquer l’opération. Le télégramme allemand parle d’un « intérêt germano-arabe commun à empêcher » le sauvetage.

Un fonctionnaire allemand témoigne après la guerre : « Le mufti surgissait partout pour protester » — ministère des Affaires étrangères, bureau de presse, SS… L’historien Gensicke conclut : « Il est particulièrement monstrueux que al-Husseini se soit opposé aux rares cas où les nazis autorisaient l’émigration juive. Pour lui, seule la déportation en Pologne était acceptable, car il savait qu’il n’y aurait aucune échappatoire pour les juifs là-bas. »