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Or Levy, ex-otage à Gaza: «Après 647 jours dans l’enfer, tous les otages doivent être libérés»

Enlevé le 7 octobre 2023, Or Levy a été libéré en février 2025. Il livre le témoignage de sa captivité en exclusivité au Figaro.

C’est un appartement banal de Tel-Aviv, au rez-de-chaussée d’un immeuble moderne. Des jeux d’enfant dans le salon, des photos de famille aimantées sur la porte du réfrigérateur. Gonflé à l’hélium, un gros ballon multicolore en forme de chiffre 4 flotte, accroché à une chaise : Almog, le petit garçon d’Or Levy, vient de célébrer son anniversaire. Il y a un an, Almog avait fêté ses 3 ans sans ses parents : sa mère, Eynav, a été assassinée par les terroristes du Hamas le 7 octobre 2023. Son père était encore quelque part, otage, dans un tunnel.

Or Levy a été libéré le 8 février 2025, après 491 jours de captivité. Si cet homme discret a accepté de livrer au Figaro son premier témoignage dans la presse internationale, c’est parce qu’il est animé d’un sentiment d’urgence. Le voyage de Benyamin Netanyahou à Washington, il y a une semaine, a suscité l’espoir d’un cessez-le-feu avec le Hamas. Comme tous les Israéliens, Or Levy croyait imminente la libération de nouveaux otages, peut-être même celle de son camarade de misère, Alon Ohel. Il est très inquiet pour lui. « J’ai peur qu’il soit tout seul là-bas », dit-il. Alon Ohel a perdu un œil le 7 Octobre.

50 otages toujours à Gaza

Sur les 250 personnes enlevées le 7 Octobre, 50 sont toujours aux mains du mouvement islamiste, une vingtaine seraient encore en vie. Depuis le début de cette guerre, la grande majorité des otages ont été libérés à la faveur des deux cessez-le-feu négociés avec le Hamas : en novembre 2023 puis entre janvier et mars 2025.

Benyamin Netanyahou est resté quatre jours à Washington. Quand il est rentré en Israël, c’était pour que soit constaté, une fois de plus, l’échec des négociations. Or Levy sait comment ses compagnons d’infortune restés à Gaza ont vécu ces journées d’espoir et de dépit. « Quand on est dans les tunnels, on est conscient qu’un deal approche. Cela se sent à l’attitude de nos geôliers, à leur voix. Parfois, on peut voir les infos sur Al Jazeera. Alors, quand vous comprenez que le deal s’éloigne une fois de plus, c’est difficile. »

En Israël, l’opposition accuse le premier ministre de faire durer la guerre à dessein, pour se maintenir au pouvoir. Or Levy ne veut pas entrer dans cette polémique.

« C’est très simple, les gens doivent sortir de captivité, c’est tout. Après 647 jours dans cet enfer, rien d’autre n’a d’importance. Enfin, appelez ça enfer si vous voulez, vous serez toujours loin de la réalité », lâche-t-il.

Le massacre du festival Nova

Ingénieur dans l’informatique, cet homme de 35 ans n’aspirait qu’à une vie simple et discrète. Le 7 Octobre lui a offert une célébrité empoisonnée. Ce matin-là, il s’est rendu avec son épouse au festival de musique Nova, organisé près du kibboutz Reim, dans le Néguev occidental. « On est arrivés sur place à 6 heures 28 », se rappelle-t-il. Une minute plus tard, le Hamas lance son offensive.

Les roquettes pleuvent, des terroristes équipés de paramoteurs ont réussi à franchir la barrière de sécurité, ils se dirigent vers les centaines de jeunes gens qui dansent depuis des heures. En tout, 378 personnes seront assassinées. Or Levy et sa femme battent en retraite et se réfugient dans un de ces abris anti-bombes disposés partout dans cette région où, depuis des années, les tirs de roquette du Hamas rythment le quotidien des habitants. « Vingt-neuf personnes étaient dans l’abri », se souvient Or Levy.

Les tueurs du Hamas les massacrent à la grenade. Or Levy voit venir la mort. Sa femme est tuée. Il survit. Cinq personnes sont prises en otage, dont Or, embarqué dans une voiture qui franchit la frontière en sens inverse : il est dans la bande de Gaza.

« J’avais des blessures partout à cause des grenades »
— Or Levy

« J’avais des blessures partout à cause des éclats de grenades », décrit-il. On l’emmène dans deux hôpitaux où il se fait recoudre « sans anesthésie, évidemment ». Puis il se retrouve dans un appartement « quelque part dans le centre de la bande de Gaza ». Il y passera 52 jours avec Elyah Cohen, Alon Ohel et Eli Sharaby : désormais, ces quatre-là partageront tout. « J’étais effrayé, triste, je pensais que ma femme était peut-être morte, je pensais à mon fils. Depuis cet appartement, nous entendions tout, les bombardements, les tirs… C’était comme un cauchemar dont on ne pouvait pas se réveiller. Mais petit à petit, j’ai dû accepter que ce soit là ma nouvelle réalité. Un jour, ils nous ont donné une orange », raconte-t-il. Il trouve ça étrange.

« Ils nous ont dit qu’ils avaient une bonne nouvelle, qu’ils allaient nous emmener dans un endroit vraiment sécurisé où ils pourraient bien s’occuper de nous, où on aurait une assistance médicale, plus de nourriture… Bien sûr, ce n’étaient que des mensonges », dit-il. On leur bande les yeux, on les embarque en voiture. « Quand on nous a enlevé nos bandeaux, nous étions dans une sorte de grand bâtiment, un peu comme une mosquée. Par terre, il y avait une trappe. » Or Levy comprend tout de suite où l’on s’apprête à le conduire.

Des gardiens cruels

« Quand vous êtes dans le tunnel, à 50 mètres sous le sol, vous êtes comme oublié. C’est l’endroit le plus effrayant que vous puissiez imaginer. Le tunnel tremble à chaque bombardement, vous avez peur d’être enterré vivant s’il est touché. Il n’y a presque pas de lumière, juste des LED si faibles que parfois on ne voit pas sa propre main. Vous mangez très peu, vous vous lavez à peine, vous n’avez pas de brosse à dents, les toilettes sont dépourvues de papier. »

Dans le tunnel, ils rejoignent trois autres otages : Ori Danino, Almog Sarusi et Hersh Goldberg-Polin. Ils restent trois jours ensemble. Hersh Goldbeg-Polin a eu l’avant-bras explosé le 7 Octobre, sa santé est mauvaise. « Au bout de trois jours, ils leur ont dit qu’ils les ramenaient chez eux », témoigne Or Levy. Ses compagnons de détention sont emmenés. Le premier cessez-le-feu n’est pas terminé : Or Levy croit la version du Hamas. Ce n’est qu’après sa libération qu’il apprendra qu’en réalité, ces trois hommes ont été assassinés, fin août 2024, avec trois autres otages, alors que des soldats israéliens s’approchaient de leur tunnel. « Nous sommes les dernières personnes à les avoir vus en vie », relève Or.

« Ensuite, il n’y a eu que nous quatre. » Chaque jour est une torture. « Ils étaient cruels. Ils nous traitaient horriblement. Nous étions enchaînés, nous dormions à même le sol, sans couverture. Ils jouaient avec nous, ils nous disaient que tout le monde s’en foutait de nous, qu’on allait mourir ici. Ils se mettaient en colère et nous frappaient. Ils étaient obsédés par notre conversion à l’islam, cela revenait sans cesse. »

Dans cette religion, la coutume veut qu’un croyant appelle les autres avant la prière.
« Ils faisaient l’appel à la prière dans la pièce où nous étions. Puis tous ceux qui étaient dans le tunnel arrivaient et ils faisaient leur prière devant nous, cinq fois par jour, dès le petit matin. »

Parler pour survivre

L’accès aux toilettes est restreint. « Ce sont eux qui nous disaient quand on avait le droit d’y aller. Parfois, j’avais tellement envie de pisser que j’avais l’impression d’exploser, ça les faisait rigoler. » Quand il obtient enfin le droit d’aller se soulager, il entend ses geôliers faire claquer la culasse de leur fusil à son passage. « Ils voulaient nous faire comprendre qu’à chaque seconde, ils pouvaient nous tuer. »

« C’était l’apocalypse, j’ai accepté la mort une deuxième fois »
— Or Levy

Un jour, leur tunnel est bombardé. « C’était l’apocalypse. On a dû partir à toute vitesse. Ils nous ont emmenés dans la rue, on courait, on n’avait que des tongs, les bombes tombaient partout, ça tirait partout. Ils nous avaient chargés de toutes leurs affaires, comme des mules. À ce moment, pour la deuxième fois, j’ai accepté la mort. »
Cet athée reconnaît que quelque chose a changé en lui : « Quand vous survivez à ce genre de moment, vous vous dites qu’il y a quelque chose, que les gens l’appellent Dieu ou autrement, peu m’importe, et qui m’a aidé à vivre quand je faisais face à la mort. »

Leurs ravisseurs parviennent à les emmener dans un autre tunnel. « Là, c’est devenu pire », raconte Or Levy. La nourriture se fait de plus en plus rare. « Vers juin ou juillet 2024, notre condition s’est encore aggravée. Ils nous ont dit : à partir de maintenant, que vous mourriez ou que vous rentriez chez vous, peu nous importe, vous mangerez une fois par jour. » Ils doivent se satisfaire d’une petite galette de pain et d’un peu de lentilles ou de fèves.

Pour survivre, ils parlent. « Quand quelqu’un n’allait pas bien, on essayait de le soutenir, de l’aider à s’en tirer. Mais il faut comprendre que quand on est en captivité, on est prêt à tout pour survivre. J’ai dû faire des choses dont je ne suis pas fier, des choses que je ne veux plus jamais faire, parce que j’avais faim, ou pour d’autres raisons encore… » Une fois de plus, ils changent de tunnel.

Deux cents, trois cents, quatre cents jours…

Les mois s’égrènent. Bien que coupés du monde sans montre, ni téléphone, Or Levy et ses camarades développent une conscience aiguë du temps.
« Nous pouvions compter chaque seconde, chaque heure. Quand le repas arrive, vous savez qu’il est environ trois heures. Et puis, il y a les cinq prières musulmanes qui rythment les journées. Dans la vraie vie, ici, on est constamment sollicités. Mais dans un tunnel, dans la pénombre, sans rien, les sens s’affûtent. Vous comprenez tout ce qui se passe, vous savez que des pitas viennent d’arriver dans le tunnel parce que vous sentez l’odeur du pain, vous savez combien de boîtes de conserve on va vous donner à manger parce que vous entendez quand on les ouvre… »
Chaque petite chose devient un événement plein de significations.

Ils observent leurs gardiens.
« Je peux vous assurer qu’ils ne sont pas en bon état psychologique. Parfois, eux non plus n’ont rien à manger. Ils pleurent tout le temps. Ils veulent que tout cela s’arrête, autant, peut-être plus que nous. Ils se plaignent de ne pas voir leur famille : je les entendais se lamenter auprès d’elles au téléphone et je me disais, c’est drôle, moi je ne peux même pas entendre la voix de mon fils. »

Deux cents, trois cents, quatre cents jours s’écoulent.
Comment supporter cette interminable attente ?
« C’était vraiment dur pour moi de passer à côté de la vie de mon fils. Je peux survivre à tout, la torture, les privations. Mais savoir que la vie continue sans vous, que mon fils grandissait sans moi, c’était terrible : 491 jours de captivité, c’est irréel. Vous essayez de penser à ce qui se passe dans la vie des autres. À nous quatre, chaque jour, on avait un petit événement à raconter aux autres, un petit événement de plus qu’on avait loupé… »

Un transfert dans un autre tunnel

En novembre 2024, Donald Trump est réélu président des États-Unis. Une de ses premières préoccupations est d’obtenir un accord à Gaza et de faire libérer les otages. Le 19 janvier 2025, la veille de son retour au pouvoir, un nouveau cessez-le-feu est conclu. Il est censé conduire à une « paix durable » mais sera rompu le 18 mars par Israël. Entre-temps, 33 otages ont été libérés.

« Deux semaines avant notre libération, ils ont commencé à mieux nous traiter. Ils nous ont donnés à manger, ils ont enlevé nos chaînes, ils nous ont donné des brosses à dents. Ils voulaient qu’on ait l’air en forme. On a compris que quelque chose était en train de se passer. Puis, un chef du Hamas est venu nous annoncer qu’Ely Sharabi et moi, nous allions bientôt sortir. Bien sûr, je ne les croyais pas à 100 %, c’est le Hamas quand même. Mais je me suis dit : OK, dans une semaine, je serai peut-être chez moi. » Il se retient de laisser éclater sa joie car Alon Ohel n’est pas sur la liste.
« Cinq mois plus tard, on l’attend toujours », constate-t-il, amer.

« Ils m’ont fait dire que j’étais un soldat, c’est faux, mais j’étais comme un robot, j’étais prêt à dire n’importe quoi, à faire n’importe quoi, pourvu que je sorte »
— Or Levy

Trois jours avant sa libération, on l’emmène dans un autre tunnel.
« C’est le pire endroit où je sois jamais allé. On était à 70 mètres de profondeur, il y avait des rats et des cafards partout, je ne pouvais pas tenir debout. » Le Hamas le filme.
« Ils m’ont fait dire que j’étais un soldat, c’est faux, mais j’étais comme un robot, j’étais prêt à dire n’importe quoi, à faire n’importe quoi, pourvu que je sorte. »

Libre

Le 8 février a lieu cette étrange cérémonie, pendant laquelle le monde entier découvre sa longue silhouette émaciée prendre la pose sur une estrade, encadré par deux miliciens du Hamas, en tenue de militaire, un « diplôme » entre les mains. Avec lui, Ely Sharabi et Ohad Ben Ami.

« Quand j’ai vu des soldats, puis ma famille, j’ai compris que c’était fini »
— Or Levy

Enfin, une voiture de la Croix-Rouge arrive. Ils entrent. On ferme la porte.
« À ce moment, pour la première fois depuis 491 jours, je n’étais plus sous le contrôle du Hamas. » Il attend d’être sorti de la bande de Gaza pour souffler.
« Quand j’ai vu des soldats, puis ma famille, j’ai compris que c’était fini. » Il retrouve enfin son fils.

Aujourd’hui, il va bien.
« J’élève mon fils seul. C’est dur mais c’est bien. C’est quelque chose que j’ai attendu si longtemps… » Il n’a pas encore repris le travail.
« J’ai une nouvelle chance dans la vie. Je veux la saisir et d’abord être présent à 100 % pour mon fils. C’est dur pour lui. Il doit apprendre à vivre sans sa maman, juste avec son père. Il n’y a plus que nous deux, et ce vide. »

Déclenchée par l’attaque du 7 Octobre, la guerre dans la bande de Gaza dure depuis 647 jours. Elle a fait 1 644 morts côté israélien, dont 444 soldats, et 2 781 blessés.
Selon le ministère de la Santé du Hamas, seule source disponible ne distinguant pas les civils des combattants, 57 680 Palestiniens ont été tués, 137 409 blessés.