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Messages grossiers, frappes de missiles et appel à l’amour : la drôle de guerre de Donald Trump au Moyen-Orient

RÉCIT – Le président américain a fustigé Israël et l’Iran pour ne pas avoir respecté son cessez-le-feu, dans un épisode échevelé de la diplomatie trumpienne.

Par Adrien Jaulmes, correspondant à Washington

Après avoir félicité les Israéliens et les Iraniens pour avoir accepté son cessez-le-feu, Trump les accuse de l’avoir violé. « Ils se battent depuis si longtemps et si durement qu’ils ne savent plus ce qu’ils foutent », a lancé Trump aux journalistes mardi matin avant de s’envoler pour le sommet de l’Otan à La Haye. « Ces gars doivent se calmer ! », a dit Trump d’un ton excédé. « C’est ridicule ! Je n’ai pas aimé beaucoup de choses hier. Je n’ai pas aimé le fait qu’Israël ait riposté juste après que nous avons conclu l’accord. Ils n’étaient pas obligés de riposter, et je n’ai pas aimé la violence de leur riposte », a aussi dit Trump, s’emportant particulièrement contre Israël.

Moins de douze heures plus tôt, le ton était triomphant. Trump avait annoncé la fin du conflit sur son propre réseau Truth Social, alors même que les bombardements étaient encore en cours. « FÉLICITATIONS À TOUS ! Israël et l’Iran ont convenu d’un commun accord qu’un CESSEZ-LE-FEU complet et total serait instauré pendant 12 heures, à l’issue desquelles la guerre sera considérée comme TERMINÉE ! », avait écrit Trump lundi à 19 heures, heure de Washington. Cette proclamation, publiée alors qu’Israël menait des raids aériens intenses contre l’Iran et que plusieurs salves de missiles iraniens s’abattaient sur Israël, avait été un nouveau coup de théâtre dans la guerre commencée le 13 juin dernier.

Donald Trump, diplomate
Trump avait même décrit les étapes de l’entrée en vigueur du cessez-le-feu. « Officiellement, l’Iran commencera le CESSEZ-LE-FEU et, à la douzième heure, Israël commencera le CESSEZ-LE-FEU et, à la vingt-quatrième heure, et la FIN OFFICIELLE DE LA GUERRE DES DOUZE-JOURS sera saluée par le monde entier », avait écrit Trump. « Pendant chaque CESSEZ-LE-FEU, l’autre camp restera PACIFIQUE et RESPECTUEUX. En supposant que tout se passe comme prévu, ce qui sera le cas, je tiens à féliciter les deux pays, Israël et l’Iran, pour avoir eu l’endurance, le courage et l’intelligence nécessaires pour mettre fin à ce qu’il convient d’appeler “LA GUERRE DES DOUZE-JOURS”. »

Quelques heures plus tard, vers 22 heures, dans un second message, Trump avait tenu à commenter sans plus attendre son rôle diplomatique : « Israël et l’Iran sont venus me voir presque simultanément et m’ont dit : PAIX ! J’ai su que le moment était venu. Le monde et le Moyen-Orient sont les véritables GAGNANTS ! Les deux nations connaîtront à l’avenir un immense AMOUR, une PAIX et une PROSPÉRITÉ. Elles ont tant à gagner, et aussi tant à perdre si elles s’écartent du chemin de la JUSTICE et de la VÉRITÉ. L’avenir d’Israël et de l’Iran est ILLIMITÉ et empli de grandes PROMESSES. QUE DIEU VOUS BÉNISSE TOUS LES DEUX ! »

Sans que l’on sache encore très bien son dénouement, ce nouvel épisode diplomatique a poussé encore un peu plus loin le mélange des genres de la doctrine Trump : à la fois belligérant et négociateur, Trump est devenu aussi son commentateur, annonçant la fin du conflit, et lui donnant même son nom de « guerre des Douze-Jours », avant qu’il n’ait pris fin. Le sens de la dramaturgie trumpienne était aussi à l’œuvre. Menant sa politique comme dans un feuilleton télévisé, Trump a multiplié les coups de théâtre, et alterné entre les déclarations pacifiques et belliqueuses.

Ces gars doivent se calmer !
Donald Trump, président des Etats-Unis

Utilisant son réseau social comme outil de négociations, de communication et aussi de distraction, il a été constamment au centre de l’attention depuis le début du conflit. L’annonce d’une décision officielle majeure engageant les États-Unis et touchant à une guerre en cours sur un réseau privé dont il est le propriétaire, entre des messages d’autopromotion, de vente de produits dérivés, et d’attaques contre des adversaires politiques, a donné une touche d’irréalité supplémentaire.

L’annonce prématurée de son dénouement a été le dernier épisode de ce conflit singulier. Livrée entièrement par voie aérienne, la guerre a commencé par l’attaque surprise d’Israël contre l’Iran le vendredi 13 juin, alors qu’une nouvelle réunion de négociations entre les États-Unis et l’Iran devait se tenir deux jours plus tard à Oman. Les États-Unis avaient commencé par se tenir à l’écart du conflit. Mais Trump avait rapidement multiplié les déclarations belliqueuses, se félicitant des premiers succès Israéliens, utilisant même le « nous » pour commenter les opérations.

Engagement américain
Il avait ensuite pendant plusieurs jours laissé planer le suspense, volontairement ou non, sur l’entrée possible des États-Unis dans le conflit. Puis il avait annoncé qu’il reportait sa décision de deux semaines, alors même qu’une opération aérienne américaine était en préparation. Trump avait été le premier à annoncer quelques heures après son exécution le raid aérien lancé contre les trois principaux sites nucléaires iraniens, apportant ainsi à Israël l’aide des bombardiers stratégiques américains B-2.

Il avait revendiqué immédiatement la « destruction totale » des cibles, en particulier l’usine d’enrichissement nucléaire de Fordo, profondément enterrée. Son chef d’état-major interarmées, le général Dan Caine avait été plus circonspect, reconnaissant que les dégâts infligés étaient encore en cours d’évaluation. Mais Trump avait aussitôt pivoté, présentant ce raid non pas comme le début d’un conflit majeur, mais plutôt comme une opération ponctuelle, appelant de nouveau à des négociations. L’Iran avait d’abord rejeté toute idée de pourparlers, promettant de riposter et laissant présager des conséquences imprévues.

La perspective d’un nouvel engagement des États-Unis dans une guerre au Proche-Orient avait semblé se confirmer lundi par le tir d’une douzaine de missiles iraniens contre la base américaine au Qatar, le quartier général du Central Command américain. Mais cette attaque, la première frappe directe de l’Iran contre des cibles américaines, avait été largement symbolique : l’Iran avait averti de son lancement, et les missiles avaient été interceptés ou avaient manqué leur cible, ne faisant aucune victime américaine.

Quelques heures plus tard, Trump était déjà repassé à la diplomatie. Selon des sources citées par les médias américains, un accord de cessez-le-feu aurait été négocié presque simultanément. Trump a communiqué directement avec le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou. Le vice-président, JD Vance, le secrétaire d’État, Marco Rubio, et l’envoyé spécial de Trump, Steve Witkoff, auraient mené le dialogue avec les Iraniens avec l’aide de l’émir du Qatar, Tamim Ben Hamad al-Thani.

Le plus extraordinaire est peut-être que la manœuvre ait presque réussi. L’étape la plus délicate d’un cessez-le-feu reste sa mise en œuvre. Et si Trump a peut-être annoncé un peu rapidement la fin des combats, et que « l’immense amour, la paix et la prospérité » se feront peut-être attendre, il n’est pas impossible qu’il parvienne à une suspension des hostilités. Netanyahou ne peut se permettre d’ignorer trop longtemps la volonté du président américain, comme il le faisait avec Joe Biden. Les Iraniens, qui ont tout intérêt à sortir d’un conflit qui leur a coûté très cher, cherchent avant tout un moyen de sauver la face. La diplomatie trumpienne a sans doute plus de chances de réussir sur ce théâtre que sur d’autres champs de bataille…